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de ce nom : d’un juste qui n’avait commis aucune faute, et que, néanmoins, les pécheurs ont fait mourir, qu’un traître a livré aux mains de ses ennemis : tu me donnes pour exemple le Christ lui-même : certes, nous ne pouvons dire qu’il y ait eu en lui aucun péché, puisqu’il payait des dettes qu’il n’avait pas contractées[1]. Que répondre à cette objection ? – Je te tiens, me diras-tu. – Moi aussi je te tiens. Tu me proposes une difficulté relativement au Christ : il me servira lui-même à la résoudre. Nous savons quels ont été les desseins de Dieu à l’égard de son Fils : il a lui-même pris soin de dissiper à cet égard notre ignorance. Puis donc que tu connais les motifs pour lesquels le Seigneur a permis à des scélérats de faire mourir son Fils, et que ses desseins sont de nature à obtenir ton assentiment, et, si tu es juste, à ne point te révolter, tu dois croire aussi qu’à l’égard des autres Dieu a ses vues, quoique tu ne les connaisses pas. Mes frères, il a fallu le sang d’un juste pour effacer la cédule de nos péchés : nous avions besoin d’un exemple de patience et d’humilité : le signe de la croix était nécessaire pour triompher du démon et de ses anges[2]. Il était indispensable pour nous que Notre Seigneur souffrit, car il a racheté le monde par sa passion. De quels bienfaits ses souffrances ont été pour nous la source ! Toutefois, le Sauveur, le juste par excellence, ne les aurait jamais endurées, si les pécheurs ne l’avaient attaché à la croix. Mais est-ce bien à ses bourreaux qu’il faut imputer les heureux résultats de sa mort ? Non : ils l’ont voulue, Dieu l’a permise : la volonté seule de faire périr Jésus-Christ aurait suffi à les rendre criminels mais Dieu n’aurait point permis une pareille mort, s’il y eût eu injustice à le faire. Les Juifs ont voulu tuer le Sauveur : supposons qu’un obstacle se soit opposé à la perpétration de leur crime, seraient-ils pour cela innocents ? Personne n’oserait ni le penser ni le dire. « Car le Seigneur examine le juste et le pécheur[3] », et « il pénètre jusque dans les pensées de l’impie[4] ». Il recherche, non pas ce qu’on a pu taire, mais ce qu’on a voulu faire. Si donc les Juifs avaient voulu faire mourir le Christ, sans pouvoir toutefois parvenir à leurs fins, ils n’en seraient pas moins coupables ; mais tu n’aurais pas reçu les bienfaits dont sa passion a été la source. Les impies ont donc agi de manière à le faire condamner : Dieu a permis cette condamnation, afin d’opérer ton salut. Ce que l’impie a voulu faire, lui est imputé à crime ; ce que Dieu a permis est venu de sa puissance : la volonté des Juifs a été contraire aux lois de la justice : la permission que Dieu leur a donnée y a été conforme. Aussi, mes frères, le scélérat qui a trahi le Sauveur, Juda et les bourreaux du Christ, étaient, les uns et les autres, des méchants, des impies et des pécheurs ; tous étaient dignes de condamnation : et, pourtant, le Père « n’a pas épargné son propre Fils, mais il l’a livré pour nous tous[5] ». Distingue, discerne, si tu le peux : offre à Dieu les vœux que tu as faits avec tin sage discernement[6]. Vois ce qu’a fait le Juif prévaricateur : vois ce qu’a fait le Dieu juste : l’un a voulu faire mourir le Christ, l’autre l’a permis : la conduite de celui-ci est digne de louanges, la conduite de celui-là mérite le blâme le plus sévère. Condamnons les intentions perverses des pécheurs : glorifions les desseins équitables du Très-Haut. Le Christ est mort : quel mal a-t-il éprouvé ? Ceux qui ont travaillé à sa perte, se sont perdus eux-mêmes. Mais, pour lui, ils n’ont pu lui causer aucun dommage, même en le livrant au dernier supplice. En mourant dans sa chair, il a porté à la mort le coup de grâce, il nous a enseigné la patience, et nous a donné, dans sa résurrection, le modèle de la nôtre. Quelle précieuse occasion de faire le bien les méchants ont-ils fournie au juste, en le faisant mourir ? T’aider par sa grâce à faire le bien, tirer le bien du mal même que tu fais, n’est-ce pas une des preuves les plus sensibles de la grandeur de Dieu ? Ne t’en étonne pas. Quand il permet de faire le mal, ce n’est point sans motifs : il ne le fait, du reste, qu’avec poids, nombre et mesure : sa conduite est à l’abri de tout reproche. Pour toi, fais seulement tous tes efforts pour lui appartenir ; mets eu lui ta confiance ; qu’il soit ton soutien et ton salut ; qu’en lui tu trouves un asile inviolable, une imprenable forteresse ; qu’il soit ton refuge, et il ne permettra pas que tu sois tenté au-dessus de tes forces, et il t’en fera sortir avec avantage, en sorte que tu seras à même de supporter l’épreuve[7]. Lorsque

  1. Ps. 68,5
  2. Col. 2,14-15
  3. Ps. 10,6
  4. Sag. 1,9
  5. Rom. 8,32
  6. Ps. 65,13
  7. 1 Cor. 10,13