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La langue a-t-elle donc des mains ? Que signifie alors : « Dans les mains de la langue », sinon au pouvoir de la langue ? « C’est ta bouche qui te justifiera, et ta bouche qui te condamnera[1]. Vous avez tenu la main de ma droite », ou la puissance de ma droite. Quelle était ma droite ? « Je suis toujours avec vous ». Ma gauche était de ressembler au stupide animal, ou d’avoir en moi des convoitises terrestres, mais ma droite était d’être toujours avec vous. Vous avez donc tenu la main de cette droite, ou plutôt vous en avez dirigé la puissance. Quelle puissance ? « Il leur a donné la puissance de devenir les enfants de Dieu[2] ». Asaph commence d’être parmi les enfants de Dieu, et appartient au Nouveau Testament. Vois comment Dieu a tenu la main de sa droite. « Vous m’avez dirigé selon votre volonté ». Qu’est-ce à dire, « selon votre volonté ? » Non point selon mes mérites. Qu’est-ce encore, « selon votre volonté ? » Écoute l’Apôtre qui eut comme l’animal des désirs terrestres, et qui vécut selon l’Ancien Testament : que dit-il ? « Tout d’abord, je fus un blasphémateur, un persécuteur, un véritable ennemi ; mais j’ai obtenu miséricorde[3] ». Qu’est-ce encore, selon votre volonté ? « C’est par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis[4]. Et vous m’avez reçu u avec gloire ». Où m’avez-vous reçu ? et dans quelle gloire ? Qui nous l’expliquera ? qui nous le dira ? Attendons cet honneur, qui doit nous arriver à la résurrection, au dernier jour. « Et vous m’avez reçu avec gloire ».
31. Le voilà qui commence à méditer le bonheur du ciel, à se reprocher d’avoir ressemblé à l’animal par ses désirs terrestres. « Qu’y a-t-il pour moi dans le ciel, et sans vous, qu’ai-je désiré sur la terre[5] ? » Vous comprenez ces paroles, je l’entends à ce bruit. Asaph compare à ses désirs terrestres, cette récompense du ciel qu’il doit recevoir, il a vu ce que Dieu lui réserve ; alors il médite, et cette méditation l’enflamme d’un saint désir pour je ne sais quel bien ineffable que l’œil n’a point vu, que l’oreille n’a point entendu, et qui n’est pas entré dans le cœur de l’homme[6]. Il ne dit pas : C’est tel ou tel bien que j’ai dans le ciel, mais : « Qu’y a-t-il au ciel pour moi ? » Qu’est-ce que je possède au ciel ? Qu’est-ce que ce bien ? Est-il grand ? de quelle nature ? Et comme ce bien du ciel ne doit point passer, « que puis-je désirer sur la terre, si ce n’est vous ? » Voilà que vous vous réservez à mon amour : (je m’explique, mes frères ; comme je le puis ; ayez de la condescendance pour moi, suppléez à mes efforts pour stimuler votre piété ; il m’est impossible de m’expliquer parfaitement.) Vous me réservez dans le ciel des biens impérissables, et c’est vous-même. Et moi, je vous ai demandé, sur la terre, des biens que possèdent les impies, des richesses, de l’or, de l’argent, des pierres précieuses, des esclaves, que possèdent les méchants, qui sont le partage des criminels, le partage de tant de scélérats, le partage de tant de femmes débauchées, le partage de tant d’hommes souillés ; voilà ce qui me paraissait considérable, et ce que je demandais à Dieu sur la terre, tandis que mon Dieu lui-même se réserve à moi dans le ciel. « Au ciel, quel est mon bien ? » Ce bien, il peut maintenant le faire connaître. « Et que puis-je, après vous, désirer sur la terre ? »
32. « Mon cœur et ma chair ont défailli, ô Dieu de mon cœur[7] ». Voilà donc ce qui m’est réservé au ciel, « le Dieu de mon cœur, le Dieu qui est mon partage ». Eh quoi ! mes frères ? Cherchons les richesses d’ici-bas, que les hommes se choisissent un apanage. Voyez-les déchirés par toutes sortes de passions contraires ; les uns choisissent l’épée, les autres le barreau, ceux-ci les sciences diverses, ceux-là le négoce ou la culture des champs. Qu’ils se fassent une part dans les choses d’ici-bas ; mais que le peuple de Dieu s’écrie : « C’est Dieu qui est mon partage », non pas mon partage pour un temps, mais « mon partage pour l’éternité ». Quand j’aurai de l’or éternellement, qu’est-ce que cela ? Mais avoir Dieu, quand même ce ne serait pas éternellement, quel bien pour moi ! Ajoutez que c’est Dieu qui daigne se promettre à moi, et m’assurer que je le posséderai éternellement. Ineffable bien que je posséderai sans cesse ! Indicible félicité ! « C’est Dieu qui est mon partage ». Pour combien de temps ? « Pour l’éternité ». Voyons, en effet, comment notre interlocuteur a aimé Dieu ; il a châtié son cœur : « C’est le Dieu de mon cœur, c’est le Dieu qui

  1. Mt. 12,37
  2. Jn. 1,12
  3. 1 Tim. 1,13
  4. 1 Cor. 15,10
  5. Ps. 72,25
  6. 1 Cor. 2,9
  7. Ps. 72,26