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Père qui est dans le ciel » ; et tout à coup : « Va derrière moi, Satan ». Qu’est-ce à dire : « Derrière moi ? » Suis-moi. Tu veux aller devant moi, tu veux me donner des conseils ; c’est à loi plutôt de suivre les miens : voilà le sens de Va derrière moi, marche après moi. Il modère celui qui le précédait, et te replace en arrière ; il l’appelle Satan, parce qu’il a voulu prendre le pas sur le Seigneur. Tout à l’heure il était « bienheureux », maintenant c’est « Satan ». Pourquoi tout à l’heure était-il « bienheureux ? » « Parce que ce n’est « ni le sang ni la chair qui t’ont révélé ceci », dit le Sauveur, « mais mon Père qui est dans le ciel ». Pourquoi Satan maintenant ? « Parce que tu ne comprends pas ce qui est de Dieu, mais ce qui est des hommes[1] ». Nous donc, qui voulons célébrer dignement les fêtes des martyrs, souhaitons d’imiter les martyrs ; ne cherchons point à précéder les martyrs, et n’allons pas nous croire plus de prudence qu’ils n’en avaient, parce que nous avons évité les tourments qu’ils endurèrent pour la justice et pour la foi, tourments qu’ils furent loin d’éviter. « Qu’ils soient donc rejetés en arrière et qu’ils rougissent », ceux qui méditent le mal et nourrissent leurs cœurs de luxure. Qu’ils entendent cette parole de l’Apôtre : « Quel fruit avez-vous jamais recueilli de ces actes qui vous font rougir maintenant[2] ? »
5. Quelle est la suite ? « Qu’ils fuient avec ignominie ceux qui me disent : Courage ! courage[3] ! » Il y a deux sortes de persécuteurs, ceux qui blâment et ceux qui flattent. La langue du flatteur est plus funeste que la main de l’assassin ; et l’Écriture l’appelle une fournaise. En parlant de la persécution, l’Écriture a dit, à propos des martyrs mis à mort : « Elle les a éprouvés comme l’or dans la fournaise, et les a reçus comme la victime de l’holocauste[4] ». Or, écoutez cette ressemblance avec la langue des flatteurs. « C’est au feu que l’on éprouve l’or et l’argent ; mais pour l’homme, l’épreuve est la langue des flatteurs[5] ». Il y a donc feu d’une part, et feu d’autre part, et il te faut sortir victorieux de l’un et de l’autre. La réprimande t’a brisé, et lu as été brisé dans la fournaise comme un vase d’argile. La parole t’a formé, et puis est venue l’épreuve de la tribulation ; ce qui a été formé a dû passer par la cuisson, et si la forme était irréprochable, le feu devait la consolider. Aussi le Christ a-t-il dit dans sa douleur : « Ma force s’est desséchée comme l’argile[6] ». Car la douleur et la fournaise de la tribulation m’ont rendu plus fort. Mais si tu es assailli par les louanges et par les applaudissements des flatteurs, et que tu leur souries, achetant de l’huile et ne la portant pas avec toi, non plus que les cinq vierges folles[7] ; la bouche des flatteurs sera une fournaise qui te brisera. Mas nous ne pouvons rien sans cela ; il nous faut et y entrer et en sortir ; il nous faut encourir un certain blâme de la part des méchants, des hommes sans pudeur, et recevoir aussi les applaudissements des flatteurs : mais il faut également en sortir. Prions donc celui dont il est dit : « Que le Seigneur veille sur ton entrée et sur ta sortie[8] », afin que tu puisses y entrer tans déshonneur, et sans déshonneur en sortir. Car l’Apôtre a dit : « Dieu est fidèle, et il ne permettra pas que vous soyez tentés au-delà de vos forces[9] ». Telle est pour toi l’entrée. Il n’est pas dit : Vous ne serez point tentés. Sans tentation il n’y a pas d’épreuves, et sans épreuve il n’y a nul progrès. Que désire donc l’Apôtre ? « Dieu est fidèle, et il ne permettra point que vous soyez tentés au-dessus de vos forces ». Tu as entendu l’entrée, écoute aussi la sortie : « Mais il ménagera dans la tentation une issue, afin que vous la puissiez supporter[10]. « Qu’ils fuient avec ignominie ceux qui me disent : Courage ! courage ! » Pourquoi me louer ? Qu’ils louent le Seigneur. Qui suis-je pour être loué moi-même ? Qu’ai-je fait ? Qu’y a-t-il en moi que je n’aie reçu ? « Si tu l’as reçu », dit l’Apôtre, « pourquoi te glorifier comme si tu ne l’avais pas reçu[11] ? Qu’ils fuient donc avec ignominie ceux qui me disent : Courage ! courage ! » C’est une huile semblable qui a parfumé la tête des hérétiques[12], et ils nous disent : C’est moi, c’est moi ; on leur répond : C’est vous, Seigneur. Ils ont accueilli ces acclamations : « Courage ! courage ! » « Ce courage ! courage ! » les a entraînés, et ils sont devenus les guides aveugles des aveugles qui les suivaient[13]. C’est à pleins poumons que l’on crie à Donat ce que nous venons de chanter : « Courage ! courage ! » guide

  1. Mt. 16,16-23
  2. Rom. 6,21
  3. Ps. 69,4
  4. Sag. 3,6
  5. Prov. 27,21
  6. Ps. 21,16
  7. Mt. 25,3
  8. Ps. 120,8
  9. 1 Cor. 10,13
  10. Id.
  11. Id. 4,7
  12. Ps. 140,5
  13. Mt. 15,14