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en raison de l’évidence des choses, et parce que Dieu manifesta la présence de sa divinité de manière que nul ne pût la mettre en doute ? Ce sens admis, qu’est-ce qui empêché de donner la même interprétation à ce passage, où il est dit de Moïse que « le Seigneur lui parla face à face[1] » de sorte que lui non plus n’aurait rien vu de plus que les flammes ? Ou bien, doit-on admettre qu’il fut favorisé d’une vue plus parfaite, parce qu’il est écrit qu’il entra dans la nuée, autrement dans le cercle des flammes, où Dieu était[2] ? Mais si ce privilège lui fut accordé de préférence aux siens, il ne vit point cependant de ses yeux mortels la substance divine. C’est ce qu’on peut facilement entendre par ces paroles, qu’il adresse à Dieu : « Si j’ai trouvé grâce devant vous, montrez-vous à moi vous-même, afin que je vous « voie certainement[3]. » Il ne faut donc pas se persuader que ce peuple, à qui parlait Moïse, vit Dieu face à face quand le Seigneur lui parlait du milieu du feu sur la montagne, de la même manière que nous le verrons à la fin suivant ce témoignage de l’Apôtre : « Nous le voyons maintenant, comme dans un miroir et en énigme, mais alors ce sera face à face[4]. » En quoi consistera cette vue, et quelle en sera ta grandeur, il l’explique immédiatement : « Je le connais maintenant d’une manière imparfaite ; mais alors je le connaîtrai comme je suis connu de lui[5]. » Passage qui doit être aussi interprété avec prudence : car il ne faut pas s’imaginer que l’homme aura de Dieu une connaissance égale à celle que Dieu a maintenant de l’homme, mais elle sera tellement parfaite qu’elle ne laissera rien à désirer. Ainsi, comme Dieu connaît maintenant l’homme et avec la perfection qui convient à Dieu, de même l’homme connaîtra Dieu, mais avec cette perfection restreinte qui convient à l’homme. Pareillement, de ce qu’il a été dit : « Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait[6] » nous n’avons pas droit d’espérer de devenir égaux au Père, ce qui appartient exclusivement au Verbe son Fils unique ; quoiqu’on en trouve, si du moins nous sommes parvenus à les comprendre, qui admettent cette erreur[7].
X. (Ib. 5, 5.)
1. Présence et ubiquité de Dieu. – Quelle est la signification de ces mots : « Je me tenais alors entre le Seigneur et vous, pour vous annoncer les paroles du Seigneur ? » Ne semblent-ils pas faire entendre que Dieu se trouvait en un lieu déterminé, c’est-à-dire, sur la montagne, d’où les voix descendaient jusqu’au peuple ? Il ne faut pas les interpréter en ce sens, que la substance de Dieu fût en un lieu quelconque sous une forme corporelle, car Dieu est tout entier en tous lieux, et ne s’approche ni ne s’éloigne à notre manière : mais il n’est pas possible de présenter autrement à notre sens humain les rapports de Dieu avec une créature, qui n’est pas ce qu’il est lui-même. Aussi Notre-Seigneur voulant ôter de notre esprit cette idée erronée que Dieu est contenu en un lieu quelconque, dit-il : « L’heure viendra où vous n’adorerez plus le Père ni sur cette montagne, ni dans Jérusalem. Vous adorez ce que vous ne connaissez pas ; pour nous, nous adorons ce que nous connaissons : car le salut vient des Juifs. Mais le temps vient, et il est déjà venu où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité. Car ce sont là les adorateurs que le Père aime. Dieu est esprit, et il faut que ceux qui l’adorent, l’adorent en esprit et en vérité[8]. » Moise ne dit donc pas qu’il se tenait entre la substance de Dieu et le peuple, en un point déterminé de l’espace, mais qu’il fut l’intermédiaire dont Dieu se serait servi pour publier ses autres commandements, à partir du jour où le désir lui en fut témoigné par le peuple, qu’avait effrayé la voix du Seigneur proclamant du milieu des flammes le Décalogue de la Loi.
2. Explication grammaticale. – On demande, et avec raison, dans quel sens il faut prendre ces paroles de Moïse, que nous lisons au livre du Deutéronome : « Je me tenais alors entre le Seigneur et vous, pour vous annoncer les paroles du Seigneur ; car vous avez craint à la vue du feu et vous n’êtes point montés sur la montagne, disant : Je suis le Seigneur ton Dieu » et ce qui suit[9] : comme dans le Décalogue, où nous avons vu Dieu lui-même dire déjà la même chose ? Pourquoi donc Moïse a-t-il ajouté ce mot : disant ? Si nous voulons voir ici une transposition et que nous construisions la phrase de cette sorte : « Je me tenais alors entre le Seigneur et vous, pour vous annoncer les paroles du Seigneur, en disant : Je suis le Seigneur ton Dieu » le fait rapporté ne sera plus vrai. Car ce n’est pas Moïse qui a dit ces paroles au peuple, mais le peuple lui-même les a directement entendues du milieu des flammes ; et comme il tremblait en entendant la voix de Dieu promulguer le Décalogue, il demanda

  1. Exo. 33, 2
  2. Id. 24, 18
  3. Id. 33, 13
  4. 1Co. 13,12
  5. Id
  6. Mat. 5, 48
  7. Voir, Lettre 92, 6 ; CXXLVII, 36#Rem
  8. Jn. 4, 21-24
  9. Deu. 5, 5-6