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tu as amassé ?[1] » Que personne ne se glorifie donc, si Dieu, qui sait comment il faut parler à de tels hommes, lui parle de la même manière, car Dieu peut accorder cette faveur à des réprouvés ; même quand il parle par un ange, c’est lui qui parle.

XLVIII. (Ib. 22, 12-38.) Cupidité de Balaam et son endurcissement. – Cette réponse de Balaam aux ambassadeurs plus honorables qui lui sont députés de nouveau, est tout à fait irrépréhensible : « Quand Balac me donnerait plein sa maison d’or et d’argent, je ne pourrai trahir la parole du Seigneur, faire moins ou plus en mon âme. » Mais ce qui suit n’est pas exempt de péché grave. Il devait en effet demeurer ferme dans son obéissance à cet ordre qu’il avait reçu du, Seigneur : « Tu n’iras pas avec eux, et tu ne maudiras point ce peuple, parce qu’il est béni. » Il ne devait point non plus leur donner l’espoir que Dieu pouvait, comme lui Balaam, gagné par des présents et par l’appât des honneurs, changer de sentiment à l’égard de son peuple, de ce peuple qu’il avait déclaré l’objet de ses bénédictions. Mais Balaam se montra vaincu par la cupidité, du moment qu’il voulut connaître encore une fois la volonté du Seigneur à se sujet, bien qu’elle lui eût déjà été formulée expressément. À quoi, bon, en effet, dire encore aux ambassadeurs : « Vous aussi demeurez ici cette nuit, et je saurai ce que le Seigneur me répondra de nouveau ? » Alors, voyant que sa cupidité était gagnée et vaincue par des présents, le Seigneur le laissa partir, afin de le reprendre sévèrement de son avarice par l’intermédiaire de l’animal qu’il montait : leçon sévère donnée à cet insensé par une ânesse, celle-ci n’osant transgresser la défense du Seigneur intimée par un ange, tandis que Balaam, malgré la crainte qui dominait en lui la cupidité, s’obstinait dans une coupable résistance inspirée par cette passion. « Dieu vint donc, la nuit, à Balaam et lui dit : Si ces hommes sont venus te chercher, lève-toi et suis-les ; mais tu feras tout ce que j’aurai dit. Balaam s’étant levé le matin, sella son ânesse, et s’en alla avec les princes de Moab. » Pour quelle raison, une fois autorisé à partir, ne consulte-t-il pas de nouveau le Seigneur, comme il avait cru devoir le faire après la défense qui lui avait été adressée d’abord ? Ce trait ne révèle-t-il pas sa coupable cupidité, tout entravée qu’elle était par la crainte ? L’Écriture ajoute enfin : « Et Dieufut animé d’une grande colère, parce qu’il s’en allait ; et un ange de Dieu se leva pour l’empêcher d’avancer » et le reste qui suit jusqu’à l’endroit où l’ânesse parla. Que Balaam, au lieu de se sentir pénétré d’effroi à la vue de ce prodige, cède à sa colère et réponde à son ânesse, comme un homme accoutumé à de tels prodiges ; en vérité, il n’y a pas au monde de chose plus surprenante. L’ange, lui parle ensuite et lui reproche amèrement sa démarche ; en voyant cet ange, il tremble cependant, et se prosterne devant lui. Puis il lui est permis d’aller en avant, Dieu voulant faire entendre par sa bouche une des prophéties les plus éclatantes. Car il ne fut pas en son pouvoir de parler selon son caprice, mais c’est l’Esprit divin qui parla par ses lèvres. Il n’en demeura pas moins réprouvé de Dieu ; l’Écriture dit, en effet, de lui dans la suite que plusieurs hommes coupables et réprouvés ont marché sur ses traces : « Ils ont suivi, dit-elle, la voie de Balaam, fils de Béor, qui aima la récompense de l’iniquité[2]. »

XLIX. (Ib. 22, 22,32.) Discussion, grammaticale sur le mot DIFFERRE. – Voici ce que l’Écriture dit de l’ange qui parla à Balaam dans le chemin, et à la vue duquel l’ânesse n’osa avancer : « Dieu fut animé d’une grande colère, parce que Balaam s’en allait, et un ange de Dieu se leva pour le retarder, differre, dans le chemin. » Remarquons d’abord le sens de ces expressions : « Dieu se mit en colère, et un ange de Dieu se leva ; » l’Écriture n’insinue pas que Dieu envoya l’ange dans sa colère, mais elle semble dire que Dieu lui-même était irrité dans la personne de son ange ; que la vérité et la justice divine avaient inspiré à l’ange une sainte colère. En effet, ce mot « il se leva » doit s’entendre d’une émotion profonde. Ceux-ci qui viennent ensuite : « le retarder dans le chemin » que le grec a rendu par διαβάλλειν, reviennent plus loin dans le discours de l’ange : « Je suis venu, dit-il, pour t’arrêter dilationem, et le grec porte ici διαβάλλειν. Le sens le plus convenable de ce terme est peut-être accusation ; «differre eum in via » signifierait alors : « l’accuser dans le chemin. » Le nom du diable vient aussi, à ce que l’on croit, du même mot grec et signifie, par conséquent, dans notre langue : accusateur : Ce n’est pas que nul ne puisse comme lui s’acquitter parfaitement de cette fonction ; mais c’est que le diable, agité par les aiguillons de l’envie, suivant le témoignage

  1. Luc. 12, 16-20.
  2. 2Pi. 2, 15.