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avec Dieu, un monument de pierres, sur lequel il offrit du vin et répandit de l’huile ; et Jacob appela Bethel, le lieu où Dieu s’entretint avec lui. » Ce qui s’était déjà fait s’est-il reproduit ici ? Ou bien est-ce le même évènement qu’on rappelle ? Quoi qu’il en soit, ce n’est pas à la pierre, mais sur une pierre, que Jacob offrit un sacrifice. Il n’imita donc pas les idolâtres, qui dressent des autels devant des pierres, et sacrifient à des pierres comme à des dieux.
CXVII. (Ib. 35, 26.) Benjamin naquit-il en Mésopotamie ?
1. Après le dénombrement des douze enfants d’Israël, il est dit : « Ce sont là les fils qui naquirent à Israël en Mésopotamie » et pourtant Benjamin ne vint au monde que longtemps après, quand Jacob eut quitté Bethel pour aller à Bethléem. Quelques interprètes s’efforcent inutilement de trancher cette question, en disant qu’il ne faut pas lire : natisunt, comme portent la plupart des exemplaires latins, mais factisunt, conformément au texte grec egenonto. D’après ce sentiment, Benjamin ne serait pas né en Mésopotamie, mais il y aurait été formé ; il aurait été en germe au sein maternel, et Rachel serait sortie de la contrée, le portant déjà en elle. Mais on en pourrait dire autant, si on lisait : natisunt; car Benjamin était né déjà au sein maternel, puisqu’il était conçu. C’est ainsi qu’il est dit à Joseph, au sujet de sainte Marie : « Car ce qui né en elle, vient de l’Esprit-Saint[1]. »
2. Mais il est une chose qui rend inadmissible cette solution : c’est que si Benjamin était déjà conçu dans ce pays, les aînés de Jacob pouvaient avoir à peine douze ans. En effet Jacob y passa vingt ans, les sept premières années sans être marié, et il n’obtint de l’être, que par ses services. Si donc il lui vint un fils la première année de son mariage ; étant l’aîné de la famille, celui-ci pouvait avoir douze ans quand il partit de Mésopotamie. Et si Benjamin était déjà conçu, tout ce grand voyage, ainsi que tout ce qui est écrit sur le voyage, s’est accompli dans l’espace de deux mois. Il s’ensuit que les enfants de Jacob étaient bien jeunes quand, pour leur sœur Dina, ils ont fait tant de carnage, tué tant de monde, et pris la ville comme il est dit ; que deux, d’entre eux, Siméon et Lévi, qui l’épée à la main sont parvenus les premiers jusqu’à ces hommes et les ont luis à mort, se trouvaient âgés l’un de onze et l’autre de dix ans, leur mère eût-elle eu sans interruption, un enfant chaque année. Mais il est incroyable que des enfants de cet âge aient pu faire tout cela, quand d’ailleurs Dina elle-même avait à peine six ans.
3. Il faut donc une solution différente. Si après le dénombrement des douze fils, il est dit : « Tels sont les fils de Jacob, qui lui vinrent en Mésopotamie de Syrie » c’est parce que entre tous les membres de cette famille si nombreuse, il n’y en eut qu’un seul qui n’était pas né en ce pays. Dans un sens néanmoins il y reçut le principe de son existence, car ce fut là que sa mère s’unit à son père. Mais cette solution doit s’appuyer sur quelque exemple de locution semblable.
4. Il n’y a pas de moyen plus facile de la résoudre que de l’expliquer par l’emploi de la synecdoche. En effet là où une partie est plus grande ou plus importante, on comprend ordinairement, sous son nom, même ce qui ne s’y rapporte pas. Ainsi Judas étant mort avant la résurrection du Seigneur, n’était plus du nombre des douze Apôtres, et cependant l’Apôtre conserve ce nombre douze dans son Epître, quand il dit qu’il apparut aux douze[2]. – Les exemplaires grecs portent en effet l’article[3], et ne permettent pas de croire que c’était douze hommes quelconques, mais bien les Apôtres que leur nombre même rend célèbres entre tous. Il me semble que c’est dans le même sens que le Seigneur a dit : « Ne vous ai-je pas choisis au nombre de douze ? et cependant l’un de vous est un démon[4] » pour faire voir que celui-ci ne faisait point partie des apôtres de son choix. Il serait difficile en effet de montrer le nom d’élu, de choisi, pris dans un mauvais sens, excepté quand les méchants choisissent les méchants. Si nous pensons que ce Judas a été choisi pour amener la passion du Seigneur par le moyen de sa trahison, c’est-à-dire, que sa malice a été choisie dans un but déterminé ; Dieu sachant faire servir au bien les méchants mêmes, il faut faire attention à cette autre parole du Fils de Dieu : « Je ne parle pas de vous tous ; je sais ceux que j’ai choisis[5] » car il déclare ici que les bons seuls font partie de l’élection. Ces mots : « Je vous ai choisis au nombre de douze » ont donc été dits par synecdoche ; sous le nom de la partie la plus grande et la meilleure se trouve renfermé ce qui n’appartient même pas à ce nombre.

  1. Mat. 1, 20
  2. 1Co. 15, 6
  3. Le grec porte : toisdodeka, douze, et la vulgate, undecim, onze.
  4. Jn. 6, 71
  5. Id. 13, 18