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profanes n’ont pas eu le moindre doute sur la réalité d’un état qui attend les âmes après la vie ici-bas. Une question importante est de savoir à quel titre on peut dire que les enfers, s’ils ne sont pas un lieu déterminé, sont sous terre, et d’où ce nom peut leur venir, s’ils ne sont pas situés sous la terre [1]. L’âme n’est point corporelle ; ce n’est pas seulement mon opinion, c’est pour moi une vérité incontestable que je ne crains pas de proclamer. Cependant on ne saurait nier qu’elle garde une certaine ressemblance avec l’organisme ; autant vaudrait nier que c’est l’âme qui dans un songe se voit marcher, asseoir, aller, revenir, voler même, opérations qui supposent quelque ressemblance avec, le corps. Si donc elle garde dans les enfers une certaine ressemblance spirituelle et non physique avec le corps, il semble que le séjour de repos ou de souffrance, qui lui est réservé après la mort n’est pas corporel, mais semblable seulement à un séjour corporel.
63. Je n’ai pu encore trouver, je l’avoue, qu’on nomme enfers le séjour où reposent les âmes des justes. On croit avec quelque apparence de raison que l’âme du Christ descendit jusqu’aux lieux où les pécheurs sont tourmentés, afin de délivrer ceux qui lui en paraissaient dignes d’après les décrets mystérieux de la justice. Ce passage : « Dieu l’a ressuscité, après qu’il eut fait cessé dans les enfers les douleurs qui ne pouvaient l’arrêter[2] » ne peut s’entendre, selon moi, qu’en admettant qu’il fit cesser les douleurs de quelques malheureux, parce qu’il est le Maître absolu, en vertu de cette puissance devant qui tout fléchit le genou au ciel, sur la terre et dans les enfers[3], et qui l’empêcha d’être arrêté par les douleurs de ceux qu’il délivrait. Abraham, ou le pauvre qui était dans son sein, en d’autres termes, dans le séjour où il goûtait le repos, n’habitaient point le lieu des tourments ; car il existait un abîme immense entre ces justes et les supplices de l’enfer ; aussi ne dit-on pas que l’enfer était leur séjour. « Il arriva que le pauvre mourut et les Anges le portèrent dans le sein d’Abraham : le riche aussi mourut et fut enseveli ; et comme il était dans les enfers au milieu des tourments, il vit de loin Abraham[4]. » Comme on le voit, c’est par l’enfer qu’on désigne le séjour où le riche est aussi, et non celui où le pauvre goûte le repos.
64. Ces paroles de Jacob à ses enfants : « Vous conduirez ma vieillesse au milieu de la tristesse jusqu’aux enfers[5] » semblent montrer chez ce patriarche la crainte d’être exposé à une tristesse coupable qui le conduirait aux enfers et non au séjour des bienheureux. La tristesse en effet n’est pas un mal peu dangereux pour l’âme, puisque l’Apôtre montre la plus vive sollicitude pour empêcher un homme de succomber sous le poids de la tristesse[6]. Je cherche donc et je ne puis trouver dans les livres canoniques de passage où le mot d’enfer soit pris en bonne part. Personne n’oserait aller jusqu’à dire que le sein d’Abraham, le repos où les Anges introduisirent le pieux Lazare, n’aient pas ici un sens favorable. Je ne vois donc pas à quel titre on pourrait placer dans.lesenfers ce séjour de paix.

CHAPITRE XXXIV. DU PARADIS ET DU TROISIÈME CIEL OU FUT RAVI SAINT PAUL.


65. Mais cette question, que nous débattons en cherchant la vérité avec ou sans succès, ne doit pas nous faire oublier qu’il est temps de terminer ce long ouvrage. Nous avons ouvert cette discussion sur le Paradis à propos du passage où l’Apôtre dit qu’à sa connaissance un homme fut ravi jusqu’au troisième ciel sans savoir si ce fut avec son corps on en dehors de son corps, qu’il fut ravi jusqu’au Paradis où il entendit des paroles ineffables que l’homme ne peut entendre ; et nous ne voulons pas affirmer témérairement que le Paradis est dans le troisième ciel, ou que cet homme fut ravi au troisième ciel d’abord, ensuite transporté dans le Paradis. Puisque le mot Paradis, qui à l’origine signifie parc, est devenu une métaphore pour désigner tout séjour même spirituel où l’âme est heureuse, on peut appeler ainsi non seulement le troisième quel qu’il soit, avec son élévation et ses grandeurs, mais encore la joie qu’une bonne conscience inspire à l’homme. C’est ainsi que l’Église est nommée le paradis de tous ceux qui vivent dans la tempérance, la piété, la justice[7], paradis qui est une source de grâces et de pures délices : au milieu même des tribulations on s’y glorifie, on se réjouit de la patience, « parce que les consolations de Dieu y proportionnent la joie à la multitude des douleurs qui affligent le cœur[8]. » Combien donc est-on plus fondé encore à appeler

  1. 2, ch. 24, n. 2
  2. Act. 2, 24
  3. Philip, 2, 10
  4. Lc. 15, 22-26
  5. Gen. 45, 29
  6. 2 Cor. 2, 7
  7. Sir. 40, 28
  8. Ps. 93, 12