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comme s’il eût été devant eux. Reprennent-ils l’usage de la raison ? Tantôt ils peuvent se rappeler leur vision, tantôt ils n’en gardent aucun souvenir. C’est ainsi que quelques-uns peuvent se rappeler un songe, tandis que d’autres en sont incapables. L’âme est-elle ravie hors du corps et comme soustraite à l’empire des sens?alors l’extase est plus profonde. Les corps ont beau être présents et les yeux ouverts, on ne voit, on n’entend plus rien : le regard de l’âme est concentré sur les images qui apparaissent à l’esprit, ou sur les idées pures qui se découvrent à la raison.
26. L’esprit demeure-t-il fixé sur les images des objets, dans un moment où les sens n’exercent plus aucun empire sur l’âme, comme il arrive dans les songes ou dans un transport ? Si ce qu’on voit ne cache pas une idée, c’est une imagination. Du reste il arrive qu’à l’état de veille, en pleine santé, sans aucun transport, on se représente une foule d’objets qui ne frappent pas alors les sens. La différence, c’est qu’on ne cesse jamais de distinguer ces fictions d’avec les objets réels et présents. Si ce qu’on voit est un véritable signe qui apparaisse soit dans le sommeil, soit dans la veille, lorsque les yeux découvrent les objets en face d’eux et que l’esprit voit l’image d’objets absents, soit dans l’extase proprement dite où l’âme semble devenir étrangère aux sens c’est alors une révélation surnaturelle : seulement il peut se faire qu’un autre esprit, venant à s’unir avec celui qui reçoit la vision, lui découvre la vérité cachée sous ces images et la lui fasse comprendre, ou bien la fasse comprendre à un autre chargé de l’interpréter. Du moment en effet que les signes sont interprétés et qu’ils dépassent la portée des sens, il faut bien qu’ils soient expliqués par quelque esprit.

CHAPITRE XIII. L’ÂME POSSÈDE-T-ELLE UNE FACULTÉ DE DIVINATION ?


27. D’après quelques philosophes, l’âme possède naturellement le don de la divination. S’il en est ainsi, pourquoi l’âme n’est-elle pas toujours capable de lire dans l’avenir, quoiqu’elle le souhaite toujours ? Dira-t-on que cette faculté doit être secondée pour entrer en exercice ? Mais si elle a besoin d’une influence étrangère, la reçoit-elle d’un corps ? Non évidemment. Il faut donc que cette influence vienne d’un esprit. Puis, comment s’exerce-t-elle ? Se.passe-t-il dans le corps un certain mouvement capable d’en développer et d’en tendre les ressorts avec tant de force, que l’esprit comprend les images qu’il contenait à son insu au même titre qu’il y a en dépôt dans la mémoire une foule d’idées qu’on n’aperçoit pas ? Faut-il dire que ces signes apparaissent sans avoir été conçus antérieurement ou qu’ils résident en quelque sorte dans l’esprit d’où ils jaillissent et deviennent visibles à la raison ? Mais s’ils étaient renfermés dans l’âme en quelque sorte essentiellement, pourquoi ne les comprend-elle pas par voie de conséquence ? En effet elle ne les comprend presque jamais. La raison aurait-elle besoin d’une influence étrangère pour saisir les images que lui livre l’esprit, comme l’esprit pour les découvrir en lui-même ? L’âme peut-elle, sans que les liens corporels soient rompus ou élargis, prendre son essor et atteindre aux idées pures est-elle, dis-je, capable par ses seuls efforts de voir les images et même de deviner ce qu’elles ont d’intelligible ? Enfin saisit-elle les symboles tantôt par elle-même, tantôt par le concours d’un autre esprit ? Quelle que soit la valeur de ces hypothèses, il ne faut en admettre aucune légèrement. Un point incontestable, c’est que les images aperçues par l’esprit dans la veille, le sommeil, la maladie, ne sont pas toujours un signe, tandis que dans le véritable ravissement, il serait étrange que ces images ne fussent pas des signes.
28. Il n’est donc pas étonnant que les possédés disent parfois la vérité sur des choses qui n’apparaissent pas aux yeux des assistants ; le démon s’unit si intimement avec le possédé, je ne sais comment, que l’acteur et le patient semblent ne faire qu’un même esprit. Quand c’est un bon esprit qui cause le transport et le ravissement de l’âme, pour lui communiquer une vision, les images sont alors des signes et ces signes cachent d’utiles connaissances : on n’en saurait douter, puisque c’est un don de Dieu. Mais il est fort difficile de distinguer d’où vient la vision, quand l’esprit malin exerce doucement son influence, et que, ravissant l’esprit sans tourmenter le corps, il dit ce qu’il peut, parfois même il dit vrai, donne d’utiles révélations et se transforme en Ange de lumière[1], afin de profiter de la confiance qu’il s’est attirée en révélant les vrais biens pour entraîner à ses faux biens. Pour discerner ces sortes de vision, nous n’avons, je crois, qu’une seule ressource, c’est ce don « de discerner les esprits » que l’Apôtre énumère parmi les dons de Dieu[2].

  1. 2 Cor. 11, 14
  2. 1 Cor. 12, 10