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Ainsi dans ce passage : « En lui réside corporellement toute la plénitude de la divinité. » La divinité n’est pas un corps sans doute ; mais comme l’Apôtre voit dans le récit de l’ancien Testament des ombres de l’avenir, cette comparaison l’amène à dire que la plénitude de la divinité réside corporellement dans le Christ, parce que tout ce qu’annonçaient ces figures s’étant accompli en lui, il est pour ainsi dire la réalité et le corps de ces ombres[1] ; en d’autres termes il est la vérité même dont ces rites étaient la figure et l’emblème. De même donc que les figures elles-mêmes ne peuvent s’appeler ombres que par métaphore, de même on ne peut dire sans métaphore que la divinité réside corporellement en lui, corporaliter.
18. Le mot spirituel a plus d’application. L’Apôtre appelle spirituel le corps tel qu’il sera lors de la résurrection des saints. « On sème un corps animal et il ressuscitera corps spi« rituel[2]. » Cela vient de ce qu’un pareil corps sera soumis à l’esprit avec une facilité merveilleuse et à l’abri de toute corruption : sans avoir besoin d’aliments matériels, il sera vivifié par l’esprit. Je ne veux pas dire que le corps n’aura alors rien de matériel ; aujourd’hui on l’appelle bien animal, quoiqu’il ne soit pas de la substance de l’âme. Esprit, spiritus, signifie également l’air, le vent, c’est-à-dire le mouvement de l’air, comme dans le passage : « feu, grêle, neige, glace, esprit de la tempête[3]. » Ce terme désigne encore l’âme chez l’homme ou chez la bête, comme dans ce passage : « Qui est-ce qui connaît si l’esprit des hommes monte en haut, et si l’esprit de la bête descend en bas dans la terre[4] ? » On appelle encore ainsi la raison, l’intellect, qui est comme l’œil de l’âme où se reflètent l’image et la connaissance de Dieu. C’est en ce sens que l’Apôtre a dit : « Renouvelez-vous dans l’intérieur de votre âme, et revêtez-vous de l’homme nouveau qui a été créé à l’image de Dieu et dans une justice et une sainteté véritables[5]. » Il dit ailleurs, en parlant de l’homme intérieur, « qu’il se renouvelle par la connaissance de la vérité, selon l’image de celui qui l’a créé[6]. » Après avoir dit dans son Épître aux Romains[7] : « Je me soumets par la raison à la loi de Dieu, mais par la faiblesse de la chair, je suis soumis à la loi du péché » il revient ailleurs sur la même pensée : « La chair, dit-il, s’élève contre l’esprit et l’esprit contre la chair[8]. » La raison et l’esprit sont donc synonymes dans ces passages. Enfin Dieu est appelé lui-même Esprit, puisque le Seigneur dit dans l’Évangile : « Dieu est Esprit, et ceux qui l’adorent doivent l’adorer en esprit et en vérité[9]. »

CHAPITRE VIII. POURQUOI L’AUTEUR APPELLE-T-IL SPIRITUELLE LA SECONDE VISION ?


19. Voilà bien des acceptions : cependant nous n’avons emprunté à aucune d’elles le sens que nous attachons ici au mot spirituel, nous le tirons d’un passage de l’épître aux Corinthiens où l’esprit est nettement distingué de la raison. « Quand je prie avec la langue, c’est mon esprit qui prie, ma raison n’en retire aucun fruit. » La langue désigne ici les pensées obscures et mystérieuses qui sont incapables d’édifier, quand on ne les saisit pas avec la raison, puisqu’elles n’offrent alors aucun sens. Aussi avait-il déjà dit : « Celui qui parle avec la langue, ne parle pas aux hommes, mais à Dieu ; personne ne le comprend, mais par l’esprit il dit des choses mystérieuses. » Par conséquent, la langue ne sert ici qu’à désigner les pensées qui sont comme une image et un portrait des choses et qui demeurent inintelligibles à moins d’être connues par la raison. Tant qu’elles restent inintelligibles, elles résident dans l’esprit et non dans la raison : aussi dit-il plus clairement encore : « Si tu pries en esprit, comment l’ignorant pourra-t-il répondre : Amen à ta bénédiction, puisqu’il ne comprend pas ce que tu dis ? » Ainsi, il s’est servi du mot langue, cet instrument qui en frappant l’air produit les signes des idées sans exprimer les idées elles-mêmes, pour désigner métaphoriquement toute émission de signes avant qu’ils n’aient été saisis par l’intelligence : la conception des signes, qui relève de la raison, a-t-elle eu lieu alors il y a révélation, intuition, prophétie, science. C’est en ce sens qu’il dit : « Moi-même, mes frères, si venant parmi vous, je vous parlais des langues inconnues, de quelle utilité vous serais-je, si je ne joignais à mes paroles ou la « révélation ou la science, ou la prophétie ou la doctrine[10] ? » En d’autres termes il faudrait avoir recours aux explications, faire comprendre le sens de ce qu’on dit en langues inconnues, afin que la puissance de la raison s’unisse à celle de l’esprit.

  1. Col. 2, 9-17
  2. 1 Cor. 15, 44
  3. Ps. 148, 8
  4. Eccl. 3, 21
  5. Eph. 3, 23-44
  6. Col. 3, 10
  7. Rom. 7, 26
  8. Gal. 5, 17
  9. Jn. 4, 24
  10. 1 Cor. 14, 14,2, 16, 6