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heureux qu’après la chute du démon, ou par quelle exception, antérieurement à sa faute, le démon avec ses compagnons n’aurait point été instruit de sa chute, tandis que les saints Anges l’auraient été de leur fidélité immuable. Quoi qu’il en soit, il doit être pour nous hors de doute que : les anges prévaricateurs ont été précipités dans la lourde atmosphère qui environne ce globe, comme dans une prison, pour y être tenus en réserve jusqu’au jour du jugement, selon la parole expresse de l’Apôtre[1] ; que le bonheur surnaturel des saints anges est accompagné d’une certitude absolue de vivre éternellement ; et qu’enfin nous serons également certains de ce bonheur éternel, en vertu de la bonté, de la grâce et des promesses infaillibles de Dieu, lorsque nous aurons été réunis à la société céleste après la résurrection et la transformation de nos corps. C’est dans cette espérance que nous vivons ; c’est au bienfait de cette promesse que nous devons notre joie. Quant aux motifs qui ont conduit Dieu à créer le diable, quoiqu’il prévît sa malice ; et qui l’empêchent malgré sa toute-puissance, de tourner au bien sa volonté rebelle, nous les avons exposés, en discutant la même question à propos des hommes corrompus : qu’on cherche à les comprendre, à y croire, ou du moins à en découvrir de plus élevés, s’il en existe.

CHAPITRE XXVII. DE LA TENTATION PAR L’ORGANE DU SERPENT ET DE LA FEMME.


34. Celui qui a tout créé et qui étend sur tout son empire, par l’entremise des saints Anges qui se font un ; jouet du diable, dont la malice même tourne au bien de l’Église, a donc permis qu’il employât le serpent pour tenter la femme, la femme pour tenter l’homme, sans lui laisser d’autres moyens. Cependant le démon a parlé par l’organe du serpent ; il a communiqué à cet animal les mouvements que sa puissance pouvait en tirer naturellement pour exprimer les paroles et les gestes propres à faire entendre ses conseils à la femme : mais quant à celle-ci, comme si elle était un être intelligent qui pouvait produire des paroles en vertu de ses facultés, il n’a point parlé par sa bouche ; il a fait agir la persuasion dans son cœur, tout en développant par une impulsion secrète au dedans l’effet qu’il avait produit au-dehors, par l’entremise du serpent. S’il n’avait fait jouer que les ressorts secrets du cœur, comme il le fit pour résoudre Judas à trahir le Christ[2], il aurait pu atteindre ses fins avec une âme égarée par un vain et orgueilleux amour de sa force, mais, comme je l’ai déjà remarqué, le diable a le désir de tenter sans pouvoir disposer des moyens ni régler les suites de cet acte. Il a tenté quand et comme on le lui a permis. Mais il ne savait ni ne voulait rendre ainsi service à une certaine classe d’hommes. C’est en cela qu’il sert de jouet aux Anges.

CHAPITRE XXVIII. LE SERPENT A-T-IL COMPRIS LE SENS DES PAROLES QU’IL PRONONÇAIT ?


35. Ainsi donc le serpent n’entendait rien aux paroles qui sortaient de lui et s’adressaient à la femme. Il ne faudrait pas croire en effet qu’il fut alors transformé en un être intelligent. Les hommes mêmes, qui sont naturellement raisonnables, ne savent pas ce qu’ils disent quand ils sont possédés du démon ; à plus forte raison le serpent était-il incapable de comprendre les paroles dont le diable formait les sons en lui et par son organe, lui qui serait incapable de comprendre les paroles d’un homme, s’il venait à l’écouter sans être possédé. On se figure que les serpents écoutent et comprennent les formules magiques des Marses, qui réussissent par leur enchantement à les faire sortir de leurs retraites ; mais tous ces mouvements ont le diable pour cause et font reconnaître tout ensemble le rôle naturel que la Providence a assigné aux êtres et celui que peut leur faire jouer, avec sa permission très sage, une volonté malicieuse. C’est ainsi que le serpent est devenu le plus sensible de tous les animaux aux opérations de la magie. Ce fait est une preuve considérable que l’espèce humaine a été primitivement séduite par un entretien avec le serpent. Les démons s’applaudissent d’être assez puissants pour faire mouvoir les serpents dans les incantations ; c est un moyen pour eux de tromper. Mais, si Dieu leur donne ce pouvoir, c’est pour rappeler la tentation primitive par le commerce même qu’ils continuent d’entretenir avec cette espèce d’animaux. Si même la tentation primitive fut permise, ce fut pour offrir à l’homme, àqui cet événement devait être raconté pour son instruction, une image de

  1. 2 Pi. 2, 4
  2. Jn. 13, 2