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L’orgueil enfante donc la jalousie au lieu d’en sortir.

CHAPITRE XV. L’ORGUEIL ET L’AMOUR-PROPRE, PRINCIPE DE TOUS LES MAUX. DEUX AMOURS. DEUX CITÉS. L’AUTEUR ANNONCE SON OUVRAGE SUR LA CITÉ DE DIEU.


19. L’Écriture donne avec raison l’orgueil pour le principe de tous les péchés : « Le commencement de tout péché, dit-elle, c’est l’orgueil[1]. » On peut rapprocher sans inconvénient ce passage de celui-ci de l’Apôtre : « L’avarice est la racine de tous les maux[2] » en prenant l’avarice dans son acception générale, je veux dire comme le penchant à étendre ses aspirations au-delà de leurs bornes, par un désir secret de sa grandeur et par un certain amour pour son bien privé. Le mot privé est ici fort significatif, si l’on remonte à son étymologie latine : il indique évidemment que l’on perd plus qu’on n’acquiert : tout ce qui devient privé, décroît ( privatio omnis minuit.) Ainsi, en voulant s’élever, l’orguei1 retombe dans la détresse et la misère, parce qu’un fatal amour-propre l’isole de la société commune et le réduit à lui-même. L’avarice, qu’on appelle plus communément l’amour de l’argent, est une variété de l’orgueil. L’Apôtre, prenant l’espèce pour le genre, entendait le mot avarice dans toute sa portée, lorsqu’il disait « qu’elle est la racine de tous les maux. » C’est elle qui a fait tomber Satan, quoiqu’il ait aimé sa propre force et non l’argent. Par conséquent, l’amour-propre isole de la société sainte l’âme orgueilleuse ; il la renferme dans le cercle de sa misère, malgré tout son désir de trouver dans l’iniquité une pâture à ses passions. Delà vient que l’Apôtre après avoir dit ailleurs : « Il s’élèvera des hommes pleins d’amour-propre » ajoute : « et avides d’argent[3]; » il descend de cette avarice générale dont l’orgueil est la racine, à cette avarice spéciale qui est un travers propre à l’humanité. En effet, les hommes n’aimeraient pas l’argent s’ils ne croyaient que leur grandeur est proportionnée à leurs richesses. C’est à cette maladie qu’est opposée la charité : « elle ne cherche point ses intérêts propres » en d’autres termes, elle ne s’enivre point de sa grandeur, et conséquemment « ne s’enfle point d’orgueil[4]. »
20. Ainsi il existe deux amours ; l’un saint, l’autre impur ; l’un de charité, l’autre d’égoïsme ; l’un concourt à l’utilité commune, en vue de la société céleste, l’autre fait plier l’intérêt général sous sa puissance particulière, en vue d’exercer une orgueilleuse tyrannie ; l’un est calme et paisible, l’autre bruyant et séditieux. Le premier préfère la vérité à une fausse louange ; le second aime la louange quelle qu’elle soit : le premier, plein de sympathie, désire à son prochain ce qu’il souhaite pour lui-même ; le second, plein de jalousie, ne veut que se soumettre son prochain : enfin, l’un gouverne le prochain pour le prochain, l’autre, pour soi. Ces deux amours ont d’abord paru chez les anges, l’un chez les bons, l’autre chez les mauvais : de là deux cités fondées parmi les hommes, sous le gouvernement merveilleux et ineffable de la Providence qui ordonne et régit la création universelle, la cité des justes et celle des méchants. Elles se mêlent ici-bas à travers les siècles, jusqu’au dernier jugement qui les séparera sans retour. Alors l’une sera réunie aux bons anges et trouvera dans son Roi l’éternelle vie, l’autre sera réunie aux mauvais anges et précipitée avec son roi dans le feu éternel. Telles sont les deux cités ; nous pourrons les décrire avec quelque développement ailleurs, s’il plaît à Dieu.

CHAPITRE XVI. ÀQUEL MOMENT S’EST ACCOMPLIE LA CHUTE DE SATAN.


21. L’Écriture ne dit pas à quelle époque Satan tomba victime de son orgueil et corrompit par sa mauvaise volonté les magnifiques dons de sa nature. Cependant il est trop clair qu’il a d’abord cédé à son orgueil et qu’ensuite il a conçu sa jalousie pour l’homme : car, aux yeux de quiconque examine ces deux passions, la jalousie ne produit pas l’orgueil, mais elle en vient. Ce n’est pas non plus sans raison qu’on peut croire qu’il tomba victime de son orgueil à l’origine même du temps et qu’il ne vécut jamais avec les saints anges dans la paix et le bonheur. Son renoncement au Créateur suivit de près sa création ; et quand le Seigneur dit « qu’il a été homicide dès « le commencement et qu’il n’est point resté fidèle à la vérité[5] » on peut faire remonter jusqu’au commencement et son caractère homicide et soi infidélité. Sans doute il ne fut homicide qu’à l’époque où l’homme put être tué et par

  1. Sir. 10, 16
  2. 1 Tim. 4, 10
  3. Id. 3, 2
  4. 1 Cor. 13, 6, 4
  5. Jn. 8, 44