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travers l’air et le ciel, jusqu’à lui ; or, qui pourra calculer cette distance ? Assurément, le regard, ou, si l’on veut, le jet de lumière sorti de nos yeux, ne peut traverser l’air au-dessus de la mer, qu’à la condition de traverser l’air qui s’étend du lieu où nous sommes dans l’intérieur des terres jus qu’aux rivages. S’il y a des pays au-delà de la mer, dans la direction – même du rayon visuel, le regard, pour traverser l’air qui enveloppe ces régions d’outre-mer, doit franchir encore l’air qui s’étend au-dessus des flots. Supposons enfin qu’il ne reste plus devant nous que la plage de l’Océan : le regard peut-il percer l’air qui s’étend au-dessus de l’Océan, sans traverser celui qui s’étend au-dessus du globe jusqu’à l’Océan lui-même ? La grandeur de l’Océan, dit-on, est incommensurable ; quelle qu’elle soit, il faut d’abord que le regard perce l’atmosphère qui est au-dessus, puis tout l’espace au-dessus de l’atmosphère : alors enfin il atteint le corps du soleil. Eh bien ! malgré cette série d’actes, qui se précèdent ou se suivent, le regard ne franchit-il pas tous ces espaces à la fois ? Qu’on se place en face du soleil les yeux fermés et qu’on les ouvre tout-à-coup : ne croirons-nous pas avoir découvert cet astre plutôt que d’y avoir dirigé nos yeux ? N’est-il pas vrai que l’œil semble avoir atteint le but aussi vite qu’il s’est ouvert ? Et cependant, ce regard, qui atteint un corps placé à une distance presque incalculable avec une vitesse prodigieuse, n’est qu’un rayon de lumière naturelle, émis par nos yeux ! Il est bien évident qu’il traverse du même coup ces espaces infinis, et il n’est pas moins certain qu’il les traverse successivement.
55. C’est avec raison que l’Apôtre, voulant exprimer avec quelle rapidité s’opérerait notre résurrection, a dit qu’elle aurait lieu en un clin d’œil[1] : de tous les mouvements physiques, aucun n’est plus rapide. Mais si le regard lancé par des yeux de chair est doué d’une vitesse si prodigieuse, que sera-ce du regard de l’esprit humain, du regard des anges ? Que sera-ce surtout de la Sagesse de Dieu, qui pénètre partout par sa pureté, que rien ne peut altérer[2]? Ainsi dans toutes les œuvres créées en même temps, on ne peut voir celle qui a dû précéder ou suivre l’autre qu’à la lumière de la Sagesse même qui a tout créé en ordre et du même coup.

CHAPITRE XXXV. RÉSUMÉ DE LA THÉORIE DES SIX JOURS.


56. En résumé, le jour primitif créé par le Seigneur, étant la lumière intellectuelle, celle qui éclaire les anges et les Vertus célestes, a accompagné toutes les œuvres de Dieu, dans l’ordre même des connaissances que ces esprits ont acquises. Or, ils voyaient d’avance au sein du Verbe de Dieu l’œuvre qui allait s’accomplir et la découvraient ensuite dans sa réalité : cet ordre était indépendant de la succession du temps ; ce qui était antériorité et postériorité dans la série logique des créations, était simultanéité dans la puissance créatrice. Car, si Dieu a fait des ouvrages qui devaient durer, il n’a point créé dans le temps, mais il a fait le temps destiné à s’écouler. Par conséquent, cette période de jours que la lumière du soleil par sa révolution ramène sans cesse, n’est qu’une ombre qui nous invite à chercher ces jours plus vrais, durant lesquels la lumière intellectuelle a été associée à tous les ouvrages de Dieu, dans la période marquée par le premier des nombres parfaits. Le repos de Dieu, au septième jour, a commencé par un matin qui ne devait point être suivi du soir ; car, si Dieu s’est reposé le septième jour, ce n’est pas qu’il eût besoin du septième jour pour se délasser, mais il s’est reposé, aux yeux des anges, de tous les ouvrages qu’il avait faits, et ne s’est reposé qu’en lui-même, parce qu’il est l’être incréé : et par là, les anges, qui avaient connu ses ouvrages, soit en lui soit sous leurs formes, avec la clarté du jour et la faible lueur du soir, reconnurent que la création, malgré son excellence, était au-dessous du repos par lequel Dieu rentrait en lui-même et marquait qu’il n’avait besoin d’aucune de ses œuvres pour être heureux.

  1. 1 Cor. 15, 52
  2. Sag. 7, 24