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et ne régissait plus les êtres, même un instant, le développement des espèces s’arrêterait et la nature entière s’affaisserait. Car il n’en est pas de l’univers comme d’un édifice, qui subsiste après que l’architecte l’a abandonné : il ne durerait pas un clin d’œil, si Dieu cessait de le gouverner.

23. La parole du Seigneur : « Mon Père ne cesse pas d’agir, » nous révèle donc cette création continue par laquelle Dieu maintient et régit ses œuvres. Le Seigneur ne se contente pas de dire que son Père agit maintenant, ce qui n’impliquerait pas une activité permanente ; il dit qu’il agit encore aujourd’hui, depuis quand ? Évidemment depuis la création. L’Écriture dit de la Sagesse divine qu’elle étend sa puissance d’un bout du monde à l’autre, et dispose tout avec harmonie[1] ; et ailleurs, que son mouvement a une rapidité, une vitesse incomparable[2]. Pour ceux qui ont l’esprit droit, il est clair que la Sagesse communique aux êtres qu’elle dispose avec tant d’harmonie son mouvement incomparable, au-dessus de toute expression, et si l’on peut ainsi parler, son immuable activité ; et que, si ce mouvement cessait d’animer la nature, elle s’anéantirait aussitôt. La parole que l’Apôtre adresse aux Athéniens en leur prêchant le vrai Dieu : « C’est en lui que nous avons la vie, le mouvement et l’être » cette parole d’une clarté que l’esprit humain ne saurait pousser plus loin, corrobore l’opinion qui nous fait croire et dire que Dieu ne cesse jamais d’agir dans ses créatures. En effet, nous ne faisons pas partie de la substance divine, et nous ne sommes pas en lui au même titre qu’il à la vie en lui-même[3] : or, du moment que nous sommes distincts de Dieu, nous ne pouvons avoir l’être en lui qu’autant qu’il agit en nous. Cette activité consiste à tout gouverner, à étendre sa puissance d’un bout à l’autre du monde, à tout disposer avec harmonie, et c’est grâce à cet ordre sans cesse maintenu que nous avons en lui l’être, le mouvement et la vie. Par conséquent, si Dieu cessait d’animer la créature, nous n’aurions plus l’être, le mouvement et la vie. Il est donc évident que Dieu n’a jamais cessé, même un jour, de gouverner les êtres créés, pour les empêcher de perdre ces mouvements qui les animent et les conservent avec les propriétés et selon les lois de leurs espèces ; et qu’ils seraient immédiatement anéantis sans cette activité de la Sagesse divine qui répand partout l’ordre et l’harmonie. Convenons donc bien que Dieu s’est reposé de ses œuvres, en tant qu’il n’a créé aucun être d’une espèce nouvelle et non en vue d’abandonner le gouvernement et le maintien de la création. Ainsi se concilie cette double vérité, que Dieu s’est reposé le septième jour et qu’il ne cesse pas d’agir.

CHAPITRE XIII. DE L’OBSERVATION DU SABBAT. — SABBAT CHRÉTIEN.

24. Nous pouvons apprécier l’excellence des œuvres de Dieu : quant aux joies de son repos, nous en jugerons après avoir accompli nos bonnes œuvres. Le sabbat qu’il prescrivit aux Juifs d’observer[4] était le symbole de ce repos : mais tel était leur esprit charnel, qu’en voyant le Seigneur travailler ce jour-là à notre salut, ils lui en faisaient un crime, et dénaturaient la réponse où il leur parle de l’activité de son Père, avec lequel il gouvernait l’univers et opérait notre salut. Mais du moment que la grâce a été révélée ; cette observation du sabbat, représenté par un jour de repos, n’a plus été une loi pour les fidèles. Sous le règne de la grâce, le sabbat est perpétuel pour celui qui opère toutes ses bonnes œuvres en vue du repos à venir, 'et qui ne se glorifie pas de ses actions, comme s’il avait le don d’une vertu qu’il n’a peut-être pas reçu. Ne voyant dans le sabbat c’est-à-dire, le repos du Seigneur dans son tombeau, que le sacrement du Baptême, il se repose de sa vie passée : marchant dans les voies d’une vie toute nouvelle[5], il reconnaît l’action qu’exerce en lui Dieu, qui tout ensemble agit et se repose, gouvernant la créature au sein d’une éternelle tranquillité.

CHAPITRE XIV. POURQUOI DIEU A-T-IL SANCTIFIÉ LE JOUR DE SON REPOS ?

25. Dieu a donc créé sans fatigue et n’a point trouvé dans le repos de nouvelles forces : ainsi a-t-il voulu nous inspirer le désir du repos, en nous révélant par son Écriture qu’il sanctifia le jour où il cessa de créer. On ne lit jamais, en effet, qu’il ait rien sanctifié, soit dans la période des six jours, soit au commencement, lorsqu’il fit le ciel et la terre. Mais il voulut sanctifier le jour où il se reposa de toutes ses œuvres, comme si le repos à ses yeux avait plus de prix que le travail, bien que son activité ne lui coûte aucune

  1. Sag. 8, 1
  2. Id. 7, 24
  3. Jn. 5, 26
  4. Exod. 20, 8
  5. Rom. 6, 4