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paraissent n’avoir aucun sens ; pourquoi ce langage si peu relevé dans les Livres saints, où il est parlé non-seulement de la colère de Dieu, de sa tristesse, de son réveil, de son souvenir, de son oubli et de sentiments que ne sauraient partager les hommes de bien ; mais encore de regret, de jalousie, de débauche, et d’autres choses semblables ; s’il faut entendre d’une forme visible de corps humain l’œil de Dieu, sa main, son pied et d’autres membres dont parlent les Écritures ; ou si ces expressions désignent des perfections invisibles et spirituelles comme celles-ci : le casque, le bouclier, le glaive, le baudrier et d’autres encore ; surtout, ce qui est bien plus important, quel intérêt avait le genre humain à ce que la divine providence ait choisi, pour converser ainsi avec nous, la créature raisonnable, créée par lui, revêtue d’un corps et soumise à ses lois ? Il nous suffira de cette considération pour bannir de nos âmes toute insolence ridicule[1] et y établir le règne d’une religion sainte.

CHAPITRE LI.

LA MÉDITATION DES SAINTES ÉCRITURES SERT DE REMÈDE A LA CURIOSITÉ.

100. Renonçons donc et pour toujours à ces niaiseries du théâtre et de la poésie. Que l’étude et la méditation des Écritures soit l’aliment et le breuvage de notre esprit ; la faim et la soif d’une curiosité insensée ne lui avaient donné que la fatigue et l’inquiétude ; il cherchait en vain à se rassasier de ses vaines imaginations ; ce n’était qu’un festin en peinture. Sachons nous livrer à ce salutaire exercice, aussi noble que libéral. Si les merveilles et la beauté des spectacles nous charment, aspirons à voir cette sagesse, qui atteint avec force d’une extrémité à l’autre et qui dispose tout avec douceur[2]. Qu’y a-t-il en effet de plus admirable et de plus beau, que cette puissance invisible qui crée et gouverne le monde visible, qui l’ordonne et l’embellit ?

CHAPITRE LII.

LA CURIOSITÉ, COMME LES AUTRES VICES, DEVIENT UNE OCCASION DE PRATIQUER LA VERTU.

101. Si l’on avoue que toutes ces impressions nous arrivent par le corps et que l’esprit est préférable au corps, l’esprit ne pourra-t-il rien voir par lui-même, et ce qu’il apercevra ne sera-t-il pas bien supérieur, beaucoup plus parfait ? Ou plutôt excités par nos appréciations mêmes à considérer ce qui en fait la règle, et des productions d’un art remontant jusqu’à ses lois, notre esprit contemplera cette beauté en comparaison de laquelle toutes les autres beautés, créées par sa miséricorde, ne sont que laideur. « En effet les perfections invisibles de Dieu, ainsi que son éternelle puissance et sa divinité, depuis la création du monde, sont devenues Visibles pour tout ce qui a été fait[3]. » C’est remonter des biens du temps à ceux de l’éternité, c’est réformer la vie du vieil homme en celle de l’homme nouveau.

Or, est-il un seul objet qui ne puisse porter l’homme à la vertu quand ses vices eux-mêmes l’y conduisent ? Que recherche en effet notre curiosité si ce n’est la science ? Mais la science n’est jamais certaine, si elle n’a pour objet les vérités éternelles, à jamais immuables. Que prétend obtenir l’orgueil, si ce n’est la puissance, c’est-à-dire le pouvoir d’exécuter facilement ses volontés ? Mais cela n’est possible qu’à l’âme parfaite, soumise à son Dieu, et dont l’amour soupire uniquement après son règne. Que recherche la volupté du corps, si ce n’est le repos ? Mais pour l’assurer, il faut qu’il n’y ait plus ni indigence, ni corruption. Il faut donc éviter ces demeures inférieures d’un autre monde, c’est-à-dire des châtiments plus graves après cette vie. Rien n’y rappelle la vérité, parce qu’il n’y a plus de raisonnement ; il n’y a plus de raisonnement, parce que n’y pénètre point cette lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde[4]. Hâtons-nous donc ; marchons pendant que le jour nous éclaire, et ne laissons point les ténèbres nous envelopper[5]. Hâtons-nous d’éviter la seconde mort[6], où personne ne se souvient de Dieu, et l’enfer d’où nulle louange ne monte vers lui[7].

CHAPITRE LIII.

INTENTIONS DIFFÉRENTES DES SAGES ET DES INSENSÉS.

102. Mais qu’il est des hommes malheureux ! ils méprisent ce qu’ils connaissent ils se complaisent

  1. Celle des Manichéens dans leurs explications sur l’Ancien Testament.
  2. Sag. 8,1
  3. Rom. 1,20
  4. Jn. 1,9
  5. Id. 12, 35.
  6. Apo. 20, 6,14 ; 15, 8.
  7. Psa. 6,6