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et n’ai pas voulu refuser à votre cœur la consolation qu’il en attend. J’ai reçu cette tunique envoyée par vous et j’ai commencé à la porter avant même de vous écrire. Ayez bon courage ; mais cherchez de meilleures et de plus grandes consolations : que la lecture des Écritures divines dissipe les nuages que la faiblesse humaine a laissé s’étendre sur votre âme ; continuez à vivre de façon à vivre avec votre frère ; car votre frère est mort de telle manière qu’il est vivant.

2. Assurément, c’est un sujet de larmes de ne plus voir ce frère qui vous aimait tant, et qui vous témoignait tant de respect à cause de votre vie et de votre sainte profession de vierge ; il est triste pour vous de ne plus voir, comme de coutume, ce diacre de l’Église de Carthage entrer et sortir et remplir ses fonctions avec zèle, de ne plus entendre ces pieux et édifiants discours qu’il adressait à votre sainteté fraternelle avec un amour complaisant, pieux et dévoué. Lorsqu’on pense à ces choses, et que, par la force de la coutume, on les redemande, hélas ! vainement, le cœur est percé, et les larmes coulent comme le sang du cœur. Mais que le tueur se tienne en haut, et il n’y aura plus de pleurs dans les yeux. Quoique vous ayez perdu, dans le cours du temps, ce qui est maintenant l’objet de vos regrets, il n’a pas péri cet amour avec lequel Timothée[1] aimait et aime encore Sapida ; cet amour demeure dans son trésor, et il est caché avec le Christ dans le Seigneur. Ceux qui aiment l’or le perdent-ils lorsqu’ils le cachent ? Ne pensent-ils pas, au contraire, le posséder avec plus de sécurité, en le gardant ainsi, loin de leurs propres yeux ? La cupidité terrestre se croit plus sûre de son trésor, si elle ne voit pas ce qu’elle aime ; et le céleste amour s’afflige, comme s’il avait perdu ce qu’il a placé d’avance dans le dépôt éternel ! Sapida, faites attention à ce que veut dire votre nom ; goûtez[2] les choses d’en-haut, où le Christ est assis à la droite de Dieu[3]. Il a daigné mourir pour nous, afin que nous vivions, même après que nous sommes morts ; afin que l’homme ne redoute plus la mort comme l’anéantissement de l’homme, et que nous ne pleurions pas, comme ayant perdu la vie, les morts pour lesquels celui qui est la Vie a voulu mourir. Voilà les consolations divines devant lesquelles la tristesse humaine doit avoir honte et s’effacer.

3. Il ne faut pas reprocher aux hommes leur douleur au sujet des morts qui leur sont chers ; mais la douleur des fidèles ne doit pas durer longtemps. Si donc vous avez été affligée, c’est assez maintenant ; ne vous affligez pas comme les païens, qui n’ont pas d’espérance[4]. L’apôtre Paul, en parlant ainsi, ne défend pas la douleur, mais seulement la douleur à la manière des païens. Marthe et Marie, sueurs pieuses et fidèles, pleuraient leur frère Lazare, qu’elles savaient devoir ressusciter un jour, mais qu’elles ne savaient pas devoir revenir à cette vie ; et le Seigneur lui-même a pleuré Lazare qu’il devait ressusciter[5]. Il ne nous a point ordonné, mais il nous a permis par son exemple de pleurer nos morts, dont notre foi espère la résurrection pour la véritable vie. Ce n’est pas en vain qu’il est dit dans l’Ecclésiastique : « Mon fils, verse des larmes sur un mort, et commence ton gémissement comme un homme frappé d’une grande plaie ; » mais un peu plus loin, l’Écriture ajoute : « Console-toi dans ta tristesse, car la tristesse hâte la mort, et la tristesse du cœur courbe les plus fort[6]. »

4. Votre frère, ma fille, est vivant par l’esprit, il dort par la chair ; est-ce que celui qui dort ne sortira pas de son sommeil[7]? Dieu, qui a reçu son esprit, lui rendra son corps il ne le lui a pas enlevé pour le perdre, mais pour le lui rendre un peu plus tard. Il n’y a donc pas ïieu à une longue tristesse, puisqu’il y a plutôt lieu à une éternelle joie. Vous ne perdrez pas même la portion mortelle de votre frère qui est ensevelie dans la terre, cette portion par où il se présentait à vous, par où il vous parlait et vous entendait parler — cette portion visible par où il montrait son visage à vos yeux et par où il vous faisait entendre sa voix, si connue de vos oreilles ; que partout où vous l’entendiez, vous n’aviez pas besoin de voir votre frère pour savoir que c’était lui. Voilà ce que la mort enlève aux vivants, voilà pourquoi l’absence des morts est douloureuse. Mais ces corps mêmes ne périront point dans l’éternité, pas un cheveu de notre tête ne périra[8], et les âmes reprendront leurs corps déposés pour un temps ; elles ne s’en sépareront plus, et la condition de ces corps deviendra meilleure : il faut donc bien plus se féliciter dans

  1. Timothée était le nom du frère de Sapida ; c’est probablement le même dont il a été question dans la lettre CX.
  2. Sape.
  3. Col. 3,1,3
  4. Thess. 4,12.
  5. Jn. 11,19
  6. Ecc. 38,16
  7. Psa. 40,9
  8. Luc. 21,18