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LETTRE CXCVIII.

((Année 419.)

Hésychius reconnaît, d’après les termes de l’Évangile, que personne ne peut savoir le jour ni l’heure de la fin du monde, mais il croit que Dieu n’a pas voulu nous cacher les temps et qu’il faut se préparer au second avènement du Sauveur ; les malheurs de l’époque où il vivait lui semblent faire partie des signes marqués dans l’Évangile. L’évêque de Salonne exprime des doutes sur les semaines de Daniel et demande à saint Augustin qu’il veuille bien l’éclairer par une réponse étendue.

HÉSYCHIUS À SON BIENHEUREUX SEIGNEUR AUGUSTIN, SON CHER ET VÉNÉRABLE FRÈRE ET COLLÈGUE DANS L’ÉPISCOPAT, SALUT DANS LE SEIGNEUR.

1. Cornutus, notre saint collègue dans le sacerdoce, m’a remis votre lettre que je désirais et que j’attendais ; elle m’a causé de la joie, parce qu’elle est une preuve de votre souvenir et que vous avez la bonté de m’y donner en peu de mots votre propre sentiment sur ce que je vous avais demandé. Vous avez joint à votre lettre des explications tirées des ouvrages de notre saint collègue Jérôme, afin que je puisse résoudre mes difficultés par la lecture de ce qu’il a pensé sur ce passage des saintes Écritures ; et comme vous avez bien voulu me prier d’exposer par lettre à votre sincère charité mon opinion sur ce point, je vous la soumets, dans la mesure de ma faible intelligence, après avoir lu ce que vous m’avez envoyé.

2. Toutes choses étant gouvernées par la volonté et la puissance de Dieu, auteur de toute créature, le passé et l’avenir sont connus des saints prophètes qui ont annoncé aux hommes, par la volonté divine, les choses futures avant qu’elles arrivent. Il serait donc assez étonnant que ce que Dieu a voulu annoncer à l’avance, ne pût pas arriver à la connaissance des hommes, comme il paraîtrait par cette parole du Seigneur aux bienheureux apôtres : « Personne ne peut connaître les temps que le Père a mis en sa puissance. » D’abord dans les plus anciens exemplaires des Églises, il n’est pas dit : « Personne ne peut ; » mais il est dit : « Ce n’est pas à vous à connaître les temps ou les moments que le Père a mis en sa puissance. » L’explication de ceci s’achève dans les paroles qui suivent « Mais vous serez mes témoins à Jérusalem, et dans la Judée, et dans la Samarie, et jusqu’au bout de la terre[1]. » Notre-Seigneur ne voulait donc pas faire entendre que ses apôtres seraient les témoins de la fin du monde, mais les témoins de son nom et de sa résurrection.

3. Quant à la connaissance des temps, voici ce que le Seigneur nous dit lui-même : « Quel est le serviteur fidèle et prudent que le maître a établi sur les gens de sa maison pour leur distribuer la nourriture au temps marqué ? Bienheureux ce serviteur, si son maître arrive et le trouve agissant ainsi[2]. » La famille du Christ se nourrit de la prédication de sa parole, et celui-là sera trouvé serviteur fidèle, qui aura distribué la nourriture : nécessaire à ceux qui croient en Notre-Seigneur et qui l’attendent dans son temps. Le mauvais serviteur est repris en ces termes : « Si le mauvais serviteur dit : Mon maître tarde à venir, ce maître viendra à un jour qu’il ne sait pas et à une heure qu’il ignore[3]. » Et le reste. Notre-Seigneur reproche aussi de ne pas connaître le temps lorsqu’il dit : « Hypocrites, vous savez juger de l’aspect du ciel, pourquoi ne reconnaissez-vous pas ce temps[4] ? » Écoutons l’Apôtre : « Dans les derniers jours il viendra des temps périlleux[5]. » Et le reste. L’Apôtre dit encore : « Quant aux temps et aux moments, il n’est pas nécessaire que nous vous en écrivions, car vous savez bien vous-mêmes que le jour du Seigneur viendra comme un voleur de nuit. Lorsqu’ils diront : Nous sommes en paix et en sécurité, ils seront tout à coup surpris par un malheur imprévu, comme une femme grosse par les douleurs de l’enfantement, et n’y échapperont pas[6]. » L’Apôtre dit encore : « Ne vous souvenez-vous pas que je vous ai dit ces choses, lorsque j’étais avec vous. Et vous savez de qui le retient maintenant, afin qu’il paraisse en son temps, car le mystère d’iniquité se forme dès à présent ; seulement que celui qui tient présentement tienne jusqu’à ce qu’il soit enlevé ; et alors paraîtra cet impie que le Seigneur Jésus tuera par le souffle de sa bouche[7]. » Le Seigneur, dans l’Évangile, parle ainsi à l’ingrate Jérusalem : « Si du moins tu avais connu le temps où Dieu t’a visitée, peut-être serais-tu restée debout ; mais maintenant tout est caché à tes yeux[8]. » Et le Seigneur s’adressant aux Juifs, leur dit : « Faites pénitence, les temps sont accomplis, croyez à l’Évangile[9]. » C’était avec raison que le Sauveur disait aux Juifs que les temps étaient accomplis, puisque leurs temps, depuis sa prédication, n’ont duré que trente-cinq ou quarante ans. Nous lisons dans le prophète Daniel : « Et je vis que la bête fut tuée et que son corps fut livré pour être brûlé, et que la puissance des autres bêtes fut transportée ; et que la longueur de la vie leur fut donnée jusqu’à un temps et un temps[10]. » Le grec porte ici : Ἔως Κρὀνου καἰ καιροῦ. Nous lisons ensuite : « Et voici comme le Fils de l’homme venant sur les nuées du ciel[11] 4. Il faut aimer et attendre l’avènement du Seigneur ; car c’est un grand bonheur pour ceux qui aiment son avènement, selon ces paroles du bienheureux apôtre Paul : « Il ne lui reste qu’à attendre la couronne de justice qui m’est réservée, et que le Seigneur, qui est le juste juge, me donnera en ce jour ; et non-seulement à moi, mais encore à tous ceux qui aiment son avènement[12]. » Le Seigneur dit dans l’Évangile : « Alors les justes brilleront comme le soleil dans le royaume de

  1. Act. I, 7. 8.
  2. Matth. XXIV, 45-46
  3. Luc, XXIV, 50.
  4. Ibid. XII, 56.
  5. II Tim. III, 1.
  6. I Thess V, 1-3.
  7. II Thess. II, 5-8.
  8. Luc, XIX, 42.
  9. Marc, I, 15.
  10. Dan. VII, 11-12.
  11. Dan. VII, 13.
  12. II Tim. IV, 8.