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être représenté par la cessation du jeûne, nous ne disputons pas sur la royale variété de la robe, de peur que nous ne portions le trouble dans l’âme de la reine, là où la foi est une sur le repos de ce même jour. Le repos matériel du sabbat ayant passé avec les choses anciennes, nous mangeons le samedi et le dimanche sans nous abstenir superstitieusement de tout travail ; mais nous ne servons pas pour cela deux maîtres, parce qu’il n’y a qu’un seul Maître du sabbat et du dimanche.

24. Mais cet homme qui entend la disparition des choses anciennes en ce sens « que dans le Christ le bûcher fasse place à l’autel, le glaive au jeûne, le feu aux prières, les victimes au pain, le sang au calice, » ne sait pas que ce nom d’autel se rencontre très-fréquemment dans les livres de la loi et des prophètes ; il ne sait pas qu’un autel fut d’abord élevé à Dieu dans le tabernacle construit par Moïse[1], et qu’on trouve aussi un bûcher dans les écrits des apôtres, lorsqu’il est dit que « les martyrs crient sous le bûcher de Dieu[2]. » Il dit que le glaive a fait place au jeûne, oubliant le glaive à deux tranchants dont les soldats de l’Évangile sont armés par les deux Testaments[3] ; il dit que le feu a fait place aux prières, comme si autrefois les prières n’eussent pas été portées dans le temple, et comme si aujourd’hui le Christ n’avait pas envoyé son feu dans le monde[4] ; il dit que les victimes ont fait place au pain, comme s’il ignorait qu’autrefois on avait coutume de placer les pains de proposition sur la table du Seigneur[5], et que maintenant il prend sa part du corps de l’agneau immaculé ; il dit que le sang a fait place au calice, ne pensant pas que présentement c’est dans le calice qu’il reçoit le sang[6]. Combien eût-il mieux exprimé le renouvellement des choses anciennes en Jésus-Christ, s’il avait dit que l’autel a fait place à l’autel, le glaive au glaive, le feu au feu, le pain au pain, la victime à la victime, le sang au sang ! Car nous voyons en toutes ces choses l’ancienneté charnelle succéder à la nouveauté spirituelle. Il faut donc comprendre qu’un sabbat spirituel a remplacé un autre sabbat, soit qu’on mange le septième jour, soit que quelques-uns observent le jeûne ; nous repoussons une passagère cessation de travail, devenue superstitieuse et nous aspirons au véritable et éternel repos.

25. Ce qui suit jusqu’à la fin, et d’autres choses que j’ai cru pouvoir me dispenser de rappeler, ne font que s’éloigner davantage de la question de savoir s’il faut jeûner ou non le samedi. Je vous en laisse l’examen et le jugement, et votre tâche sera facile si vous vous aidez un peu de ce que j’ai dit. Maintenant qu’il me semble avoir suffisamment, selon mes forces, répondu à cet homme, me demanderez-vous mon avis sur le fond de la question ? Je vois, d’après les écrits évangéliques et apostoliques, et d’après tout cet ensemble d’instructions qu’on nomme le Nouveau Testament, que le jeûne est commandé. En quels jours il faut ou il ne faut pas jeûner, c’est ce que je ne trouve prescrit ni par le Seigneur, ni parles apôtres. Et je pense qu’il est plus convenable de ne pas jeûner le samedi, non point pour obtenir le repos qui ne s’obtient que par la foi et la justice dans lesquelles réside la beauté intérieure de la fille du roi, mais pour marquer ce repos éternel où se trouve le vrai sabbat.

26. Mais, cependant, qu’on jeûne ou qu’on ne jeûne pas le samedi, ce qui me semble le plus sûr et le meilleur pour la paix, c’est « que celui qui mange ne méprise point celui qui ne mange pas, et que celui qui ne mange pas ne juge point celui qui mange, parce que, en mangeant, nous ne serons pas plus riches, et, en ne mangeant pas, nous ne serons pas plus pauvres devant Dieu[7]. » C’est ainsi que nous nous maintiendrons dans une union parfaite avec ceux parmi lesquels nous vivons, et dont la vie se mêle à la nôtre en Dieu. De même qu’il est vrai de dire avec l’Apôtre « qu’il est mal à un homme de manger quand il scandalise[8], » de même il est mal de scandaliser en jeûnant. Ne soyons pas semblables à ceux qui, voyant Jean ne pas manger ni boire, disaient : « Il est possédé du démon, » et ne ressemblons pas davantage à ceux qui, voyant le Christ manger et boire, disaient : « Voilà un homme vorace et qui aime le vin, un ami des publicains et des pécheurs[9]. » Car, dans ce passage de l’Évangile, nous trouvons une chose très-nécessaire et qui est dite par le Seigneur : « Et la sagesse a été justifiée par ses enfants. » Si vous demandez qui sont

  1. Exod. XL, 24
  2. Apoc. VI, 9-10
  3. Eph. VI, 17 ; Hébr. IV, 12
  4. Luc. XII, 49
  5. Exod. XXV, 30
  6. Luc, XXIII, 7, 20
  7. Rom. XIV, 3
  8. Ibid. 20, et I Corinth. VIII, 8
  9. Mat. XI, 19