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tua les faux prophètes[1] : ici les mérites de ceux qui ont fait et de ceux qui ont souffert ne sont pas égaux, je pense.

7. Considérez aussi les temps du Nouveau Testament, lorsqu’il a fallu non plus seulement garder au cœur la douceur de la charité, mais la mettre en lumière, lorsque le glaive de Pierre a été remis au fourreau parle commandement du Christ, afin de montrer qu’il ne fallait pas tirer l’épée pour le Christ lui-même[2]. Nous lisons que les juifs battirent de verges l’apôtre Paul et que les Grecs battirent de verges le juif Sosthène pour la défense de l’Apôtre[3] ; la similitude du fait rapproche les uns et les autres, mais la différence de la cause ne les sépare-t-elle pas ? Dieu n’a pas épargné son propre Fils, mais il l’a livré pour nous tous[4] ; il a été dit de ce Fils lui-même : « il m’a aimé et s’est livré lui-même pour moi[5] ; » et il a été dit de Judas que Satan entra en lui pour qu’il livrât le Christ[6]. Donc le père ayant livré son Fils, le Christ son corps et Judas son Maître, pourquoi ici Dieu est-il saint et l’homme coupable, si ce n’est parce que, dans une action qui est la même, la cause ne l’est pas ? Trois croix étaient plantées au même lieu ; sur l’une, le larron qui devait être sauvé ; sur l’autre, le larron qui devait être damné ; sur la croix du milieu, le Christ qui devait sauver l’un et condamner l’autre : quoi de plus semblable que ces croix et de plus différent que ces trois crucifiés ? Paul est livré pour être enfermé et lié[7], mais Satan est pire que toute espèce de geôlier ; le même Paul lui livra pourtant un homme « pour mortifier sa chair afin que son âme fut sauvée au jour de Notre-Seigneur Jésus-Christ[8]. » Et ici que disons-nous ? celui qui est cruel livre à un plus doux, celui qui est miséricordieux livre à un plus cruel. Apprenons, mon frère, dans la similitude des œuvres à faire la différence des intentions qui les accomplissent ; ne calomnions pas avec des yeux fermés, et ne confondons pas ceux qui veulent le bien avec ceux qui font le mal. Et quand le même apôtre dit qu’il a livré quelques hommes à Satan afin de leur apprendre à ne pas blasphémer[9], leur a-t-il rendu le mal pour le mal, ou a-t-il plutôt regardé comme une bonne œuvre de guérir le mal par le mal ?

8. Si on était toujours digne de louanges par cela seul qu’on souffre persécution, il aurait suffi au Seigneur de dire : « Bienheureux ceux qui souffrent persécution ! » et il n’aurait pas ajouté : « Pour la justice[10]. » De même, s’il était toujours mal de persécuter, on ne lirait pas dans les saintes Écritures : « Je persécutais celui qui attaquait secrètement son prochain[11]. » Il peut donc arriver que celui qui souffre persécution soit méchant, et que celui qui l’a fait souffrir soit juste. Mais, certainement, toujours les méchants ont persécuté les bons, et les bons ont persécuté les mauvais ; les uns en nuisant par injustice, les autres en servant utilement par la règle ; les premiers avec cruauté, les seconds avec modération ; ceux-là pour obéir à leur cupidité, ceux-ci à leur charité. Celui qui tue ne regarde pas comment il déchire ; mais celui qui s’occupe de guérir, regarde comment il coupe l’un persécute la vie, l’autre la pourriture. Les impies tuèrent des prophètes, et les prophètes tuèrent des impies. Les juifs flagellèrent le Christ, et le Christ flagella les juifs. Les apôtres ont été livrés par des hommes au pouvoir des hommes, et les apôtres ont livré des hommes au pouvoir de Satan. Ce qu’il faut considérer ici, c’est lequel d’entre eux a agi pour la vérité ou pour l’injustice, dans le but de nuire ou dans le but de corriger.

9. On ne trouve, dites-vous, ni dans les Évangiles, ni dans les écrits des apôtres, aucun exemple de demande adressée aux rois de la terre par l’Église contre les ennemis de l’Église. Qui dit le contraire ? Mais alors cette prophétie n’était pas encore accomplie : « Et maintenant, rois, comprenez, instruisez-vous, juges de la terre ; servez le Seigneur dans la crainte. » C’était encore l’accomplissement de cette autre parole du même psaume. « Pourquoi les nations ont-elles frémi, et pourquoi les peuples ont-ils médité de vains projets ? Les rois de la terre se sont levés, et les princes se sont réunis contre le Seigneur et contre son Christ[12]. » Cependant, si dans les livres prophétiques le passé a été la figure de l’avenir, le roi appelé Nabuchodonosor représente l’époque de l’Église, sous les apôtres, et l’époque où nous sommes. Ainsi au temps des apôtres et des martyrs s’accomplissait ce qui a été figuré, lorsque ce roi forçait les saints et les justes à adorer l’idole et punissait par le

  1. III Rois, XVIII, 4, 40.
  2. Matth. XXVI, 52
  3. Act. XVI, 22, 23 ; XVIII, 17
  4. Rom. VIII, 32.
  5. Gal. II, 20.
  6. Jean, XIII, 2.
  7. Act, XXI, 23, 21.
  8. I Cor. V, 5.
  9. I Tim. I, 20
  10. Matth. V, 10.
  11. Ps. C, 6
  12. Ps. II, 1, 2, 10, 11.