Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome II.djvu/128

Cette page n’a pas encore été corrigée

de la sorte ; ce qui l’affligeait, c’étaient uniquement les mauvaises apparences absolument indignes et de notre vie, et de la vie et des mœurs de qui que ce soit.

5. C’est pourquoi je vous supplie de signer la lettre que j’ai écrite aux fidèles de Thiave en votre nom et au mien, et de ne pas tarder à la leur envoyer. Et si par hasard la justice de notre premier sentiment vous semblait évidente, n’obligeons pas les faibles à comprendre ce que je ne comprends pas encore moi-même ; appliquons-leur ici ces paroles du Seigneur : « J’aurais encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pourriez pas les porter présentement[1]. » Le Seigneur compatissait à de semblables faiblesses, lorsqu’au sujet du paiement du tribut, il disait : « Les fils en sont exempts, mais de peur de les scandaliser, etc. ; » et qu’il envoya Pierre pour payer le tribut qu’on demandait[2]. Le Seigneur connaissait un autre droit par lequel il n’était soumis à rien de tel ; mais il payait le tribut par ce même droit qui aurait mis le bien du prêtre Honoré aux mains de son héritier, s’il était mort sans avoir vendu ou donné son bien. L’apôtre Paul, d’après le droit même de l’Église, pouvait en toute sûreté de conscience exiger les honoraires qui lui étaient dus[3] ; mais il ne les exigeait pas pour épargner les faibles ; et uniquement pour éviter les soupçons qui pouvaient altérer la bonne odeur du Christ, il s’abstenait de toute mauvaise apparence partout où il le fallait[4], et n’attendait pas d’avoir causé de la tristesse aux hommes. Quant à nous, qu’une expérience tardive nous fasse au moins réparer le tort de notre imprévoyance.

6. Enfin, parce que je crains tout et que je me souviens que vous me proposâtes, au moment de notre séparation, de me considérer comme débiteur de la moitié du bien auprès de nos frères de Thagaste, j’y consens si vous voyez clairement que cela soit juste ; j’y mets une seule condition ; c’est que je le payerai quand j’aurai de quoi, c’est-à-dire quand le monastère d’Hippone pourra payer cela sans trop de gêne ; quand on lui léguera une somme égale à la somme réclamée, et qu’à chacun de nos frères, quel que soit leur nombre, sera affectée la même part qu’aujourd’hui.

LETTRE LXXXIV.

(Année 405)

Charmante lettre de saint Augustin où se rencontrent l’évêque et l’ami.

AU BIENHEUREUX SEIGNEUR, AU VÉNÉRABLE ET DÉSIRABLE FRÈRE ET COLLÈGUE DANS LE SACERDOCE, NOVAT[5], ET AUX FRÈRES QUI SONT AVEC LUI, AUGUSTIN, ET LES FRÈRES AVEC QUI IL HABITE, SALUT DANS LE SEIGNEUR.

1. Je sens combien je parais dur, et c’est à peine si je me supporte moi-même, de ne pas envoyer à votre sainteté et de ne pas laisser partir mon fils, le diacre Lucille, votre frère. Mais lorsque, pour les besoins d’Églises éloignées de vous, vous commencerez à vous séparer de quelques-uns de vos élèves les plus chers et les plus dignes d’être aimés, vous comprendrez de quelles peines intérieures je suis déchiré par l’absence d’amis qui me sont tendrement unis. Car, pour écarter votre pensée, les liens du sang qui vous attachent à Lucille ne sont pas plus forts que les liens d’amitié par lesquels Sévère et moi nous tenons l’un à l’autre[6], et cependant vous savez combien il m’arrive rarement de le voir. Ce n’est ni ma faute ni la sienne ; mais nous préférons aux besoins de notre vie présente les besoins de l’Église notre mère, en vue du siècle futur qui doit nous réunir à jamais. Combien devez-vous mieux supporter, dans l’intérêt de l’Église notre mère, l’absence d’un frère avec lequel vous ne vous êtes pas nourri de l’aliment divin aussi longtemps que moi avec mon cher compatriote Sévère ! C’est à peine, maintenant, s’il me parle de temps en temps dans de petites lettres, presque toutes remplies de soins et d’affaires d’autrui, et qui ne m’apportent aucune fleur de ces prairies où nous respirions ensemble les parfums du Christ.

2. « Mais quoi donc ? » me direz-vous peut-être, « mon frère auprès de moine sera-t-il pas utile à l’Église ? Est-ce pour autre chose que pour le service de l’Église que je désire l’avoir avec moi ? » Assurément, si votre frère devait, auprès de vous autant qu’ici, gagner ou

  1. Jean, XVI, 12.
  2. Matth. XIII, 26
  3. Saint Paul disait : « N’avons-nous pas le droit d’être nourri à vos dépens ? » I Cor. IX, 4
  4. I Cor. IX, 1-24
  5. Il y eut un évêque de Sétif, du nom de Novat, dans la célèbre conférence de Carthage. Est-ce le même que ce Novat auquel s’adresse cette lettre de saint Augustin ? Il est permis de le croire.
  6. Sévère était né à Thagaste comme saint Augustin. Il occupait le siège de Milève.