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n’éloigne point votre charité d’une pieuse vie, mais qu’elle vous excite plutôt à prier le Seigneur de faire éclater promptement l’innocence de votre prêtre, si votre prêtre est innocent, ce que je crois davantage, car il n’a voulu ni répondre à des avances honteuses ni garder à cet égard un silence complaisant. S’il est coupable, ce que je n’ose soupçonner, il a blessé la réputation de celui qu’il n’a pas pu souiller, comme le prétend son accusateur, et il faut alors prier Dieu de ne pas permettre que Boniface cache son iniquité, afin qu’un jugement divin révèle sur chacun d’eux ce que les hommes ne peuvent découvrir.

3. Comme cette affaire me tourmentait depuis longtemps et que je ne trouvais pas à convaincre l’un des deux, quoique je crusse davantage aux affirmations du prêtre, j’avais songé d’abord à les remettre tous les deux au jugement de Dieu, jusqu’à ce que celui qui m’était suspect me fournît une raison manifeste de le chasser avec justice de notre demeure. Mais il cherchait violemment à être élevé à la cléricature, soit ici par moi, soit ailleurs par mes lettres ; je ne voulais, quant à moi, en aucune manière, imposer les mains à un homme dont je pensais tant de mal, ni le faire accepter par quelqu’un de mes frères à l’aide de ma recommandation ; il se mit alors à agir avec turbulence et à dire que si lui-même n’était pas élevé à la cléricature, le prêtre Boniface ne devait pas être laissé dans son rang. Voyant que Boniface craignait de devenir un sujet de scandale pour les faibles et pour ceux qui penchaient à soupçonner sa vie, le voyant prêt à faire devant les hommes le sacrifice de sa dignité plutôt qu’à prolonger inutilement et aux dépens de la paix de l’Église une situation où il ne pouvait pas prouver son innocence et triompher des ignorances, des doutes et des soupçons, je choisis un milieu : il fut convenu entre eux deux qu’ils se rendraient dans un lieu saint, où de terribles œuvres de Dieu ouvriraient plus aisément la conscience du coupable et le pousseraient à l’aveu, soit par quelque miraculeuse punition, soit par la crainte. Certainement Dieu est partout, et il n’y a pas d’espace qui puisse contenir ou enfermer Celui qui a tout fait ; il faut que les vrais adorateurs l’adorent en esprit et en vérité[1], afin qu’il justifie et couronne dans le secret celui qu’il écoute dans le secret. Cependant pour ce qui est de ces œuvres visiblement connues des hommes, qui peut sonder ses conseils et lui demander pourquoi tels miracles se font-ils en tels lieux et ne se font-ils pas ailleurs ? Beaucoup de chrétiens connaissent la sainteté du lieu où l’on conserve le corps du bienheureux Félix de Sole ; c’est là que j’ai voulu que se rendissent Boniface et Spès, parce qu’on peut de là nous écrire facilement et fidèlement tout ce qui pourra se produire de miraculeux dans quelqu’un d’entre eux. Car nous savons, nous, qu’à Milan, au tombeau des saints, où les démons sont admirablement et terriblement forcés à des aveux, un certain voleur, venu là pour tromper en faisant un faux serment, fut contraint de confesser son vol et de rendre ce qu’il avait dérobé. Est-ce que l’Afrique n’est pas pleine aussi de corps de saints martyrs ? Et pourtant nous n’avons jamais ouï-dire que de pareils prodiges aient été opérés ici. De même que, selon les paroles de l’Apôtre, « tous les saints n’ont pas la grâce de guérir les malades et tous n’ont pas le discernement des esprits[2], » de même Celui qui distribue ses dons à chacun comme il veut, n’a pas voulu que les mêmes miracles se produisent auprès de tous les tombeaux des saints.

4. Je ne voulais pas porter à votre connaissance cette grande douleur de mon âme, de peur de vous troubler profondément par une affliction inutile ; mais Dieu n’a pas permis que vous l’ignorassiez, sans doute pour que vous pussiez le prier avec nous de manifester ce qu’il sait de cette affaire et ce que nous ne pouvons pas savoir. Je n’ai pas osé effacer le nom de Boniface de la liste des prêtres de mon église : je ne voulais pas avoir l’air de faire injure à la puissance divine devant laquelle la cause est en ce moment pendante, si je prévenais son jugement par le mien ; cela ne se pratique pas même dans les affaires séculières ; on n’aurait garde de toucher à rien tandis que le débat est porté devant un pouvoir supérieur. De plus, il a été statué dans un concile d’évêques[3] qu’on ne doit retrancher de la communion aucun clerc non convaincu, à moins qu’il ne se soit pas présenté pour être jugé. Cependant Boniface a été assez humble pour ne pas accepter des lettres qui lui auraient valu durant son voyage les respectueux égards dus à son rang, afin que, dans ce lieu où ils ne seront connus ni l’un ni l’autre, ils trouvent un

  1. Jean, IV, 24
  2. I Cor. XII, 30
  3. Le concile de Carthage de l’année 397