« Ne donnez pas aux chiens ce qui est saint, et ne jetez pas vos perles devant les pourceaux[1]. » Je parlai donc des chiens et des pourceaux, de manière à faire rougir ceux dont les aboiements opiniâtres attaquaient les préceptes de Dieu, et ceux qui étaient livrés aux ordures des plaisirs charnels. Je conclus en leur montrant combien il serait criminel de commettre, sous le nom de religion, dans l’intérieur même d’une église, des excès qui obligeraient de les exclure des choses saintes et des perles des sacrements, s’ils y persistaient dans leurs maisons.
3. Quoique mes paroles eussent été bien accueillies, tout n’était pas fini, parce que le nombre de mes auditeurs n’était pas grand. Mon discours, redit au-dehors par ceux, qui l’avaient entendu, selon les dispositions et le goût de chacun, rencontra de nombreux contradicteurs. Le quarantième jour après Pâques[2], une foule considérable se réunit à l’église, à l’heure du sermon ; on lut dans l’Évangile le passage où le Seigneur ayant chassé du temple les vendeurs d’animaux et renversé les tables des changeurs, dit que la maison de son Père était une maison de prière, et qu’ils en avaient fait une caverne de voleurs[3]. Comme j’avais excité leur attention par la question de l’ivrognerie, je repris cet endroit de l’Évangile et leur montrai que Notre-Seigneur aurait banni du temple, avec plus d’indignation et de violence, ces festins d’ivrognes, honteux partout, qu’un commerce de choses nécessaires à des sacrifices alors permis : je leur demandai à eux-mêmes si un lieu où l’on boit avec excès n’est pas plus semblable à une caverne de voleurs qu’un lieu où l’on vend les choses nécessaires.
4. Et comme on me tenait des passages de l’Écriture tout préparés et marqués, j’ajoutai que le peuple juif, tout charnel qu’il était, ne s’avisa jamais de faire, non pas seulement des festins d’ivrognes, mais même des festins sobres dans ce temple où le corps et le sang de Jésus-Christ n’étaient pas encore offerts ; et que dans l’histoire des Juifs on ne rencontre pas un seul exemple d’ivrognerie publique sous le nom de religion, si ce n’est pour la fête de l’idole fabriquée de leurs mains[4]. En disant ces mots, je pris le livre, et je lus tout haut le passage en entier. J’ajoutai avec autant de douleur que je pus, puisque, d’après l’Apôtre, et comme marque de différence entre le peuple chrétien et le peuple juif, sa lettre est écrite non pas sur des tables de pierre, mais sur les tables vivantes du cœur[5], j’ajoutai, dis-je, que Moïse, serviteur de Dieu, brisa les deux tables de pierre, et je déplorai mon impuissance à briser les cœurs des hommes du Nouveau Testament, qui comptaient faire pour chaque fête solennelle de leurs saints ce que le peuple de l’Ancien Testament ne. fit qu’une. fois, et pour une idole.
5. Ayant rendu le livre de l’Exode, je peignis avec de fortes couleurs et, selon que le temps me le permettait, le crime de l’ivrognerie ; puis je pris le livre de l’apôtre Paul et je montrai, par la lecture de ce passage, au milieu de quels péchés l’ivrognerie se trouve placée : « Si celui qui se nomme votre frère est fornicateur ou avare, ou idolâtre, ou médisant, ou ivrogne, ou ravisseur du bien d’autrui, ne mangez même pas avec lui[6]. » Je gémis alors sur le grand danger qu’il y a à manger avec ceux qui s’enivrent, même seulement dans leurs maisons. Ensuite je continuai à lire ce qui suit à peu de distance du précédent passage : « Ne vous y trompez pas : ni les fornicateurs, ni les idolâtres, ni les adultères, ni les impudiques, ni les abominables, ni les voleurs, ni les avares, ni les ivrognes, ni les médisants, ni les ravisseurs du bien d’autrui ne posséderont le royaume de Dieu. C’est ce que vous avez été, du moins quelques-uns d’entre vous ; mais vous avez été purifiés, mais vous avez été sanctifiés, mais vous avez été justifiés, au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ et dans l’Esprit de notre Dieu[7]. » Ceci lu, je demandai comment ces mots : « Mais vous êtes purifiés, » pouvaient être entendus par des fidèles qui souffraient encore dans leur cœur, c’est-à-dire dans le temple de Dieu, les ordures d’une telle concupiscence, auxquelles le royaume des cieux est fermé. De là, j’arrivai à cet autre passage : « Lors donc que vous vous assemblez comme vous faites, ce n’est plus manger la cène du Seigneur, car chacun mange ce qu’il a apporté pour lui : et ainsi l’un a faim, l’autre est ivre. N’avez-vous donc pas des maisons pour y
- ↑ Matth. VII, 6.
- ↑ Veille de la fête de saint Léonce.
- ↑ Matth. XXI, 12.
- ↑ Exod. XXXII, 6.
- ↑ II Cor. III, 8.
- ↑ I Cor. V, 11.
- ↑ Ib., VI, 9, 10 et 11.