Traduction par Auguste Lacaussade.
Delloye (p. 17-23).
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COMALA.


POÈME DRAMATIQUE.



Argument.



Ce poème est important à cause de la lumière qu’il répand sur l’antiquité des compositions d’Ossian. Caracul, dont il est mention ici, est le même que Caracalla, fils de Sévère, qui, en 211, commandait une expédition contre les Calédoniens. La variété du mètre montre que ce poème fut, dans l’origine, mis en musique et chanté peut-être devant les chefs dans les occasions solennelles. La tradition a conservé l’histoire plus complète qu’elle ne l’est dans le poème. Comala, fille de Sarno, roi d’Inistore ou des îles Orcades, s’éprit d’amour pour Fingal, fils de Comhal, à une fête où Sarno l’avait invité à son retour de Lochlin, après la mort d’Agandecca. La passion de Comala devint si violente qu’elle se déguisa en jeune guerrier, demandant à être employée dans les guerres de Fingal. Elle fut bientôt reconnue par Hidallan, fils de Lamor, un des héros de Fingal, dont elle avait dédaigné l’amour quelque temps auparavant. Sa passion romantique et sa beauté touchèrent tellement le roi qu’il avait résolu de l’épouser, lorsqu’il apprit l’expédition de Caracul. Il se mit en marche pour arrêter les progrès de l’ennemi, et Comala l’accompagna. En partant pour le combat il la laissa sur une colline, en vue de l’armée de Caracul, et lui promit, s’il survivait, de revenir le soir même. On verra dans le poème la suite de l’histoire.


Personnages.


FINGAL.                      MELILCOMA, filles de MORNI.
HIDALLAN. DERSAGRENA,
COMALA. BARDES.


DERSAGRENA.

La chasse est terminée. Aucun bruit sur l’Ardven, hors le rugissement du torrent. Fille de Morni, viens des rives de Crona. Pose l’arc et prends la harpe. Que la nuit commence avec les chants ; que notre joie soit grande sur l’Ardven.

MELILCOMA.

La nuit descend avec vitesse, ô jeune fille aux yeux bleus ! la nuit grise devient obscure sur la plaine. J’ai vu un cerf près du torrent de Crona ; il me semblait, dans l’obscurité, un tertre de mousse ; mais bientôt il s’enfuit en bondissant. Un météore jouait dans les rameaux de son bois, et les figures terribles des temps passés se montraient sur les nuages de Crona.

DERSAGRENA.

Ce sont les présages de la mort de Fingal ! Le roi des boucliers est tombé et Caracul triomphe ! De ton rocher lève-toi, Comala ; fille de Sarno, lève-toi dans tes larmes ! Le jeune guerrier de ton amour est tombé ; son ombre est sur nos collines.

MELILCOMA.

Là, Comala s’assied abandonnée. Deux chiens gris, près d’elle, secouent leurs oreilles hérissées : ils happent la brise fuyante. Sa joue rouge repose sur son bras et le vent de la montagne est dans ses cheveux ; elle tourne ses yeux bleus vers la plaine d’où Fingal a promis de revenir. Où es-tu, ô Fingal ! la nuit s’épaissit alentour.

COMALA.

Ô Carun des torrents, pourquoi vois-je tes ondes rouler dans le sang ! Le bruit de la bataille a-t-il été entendu ? Dort-il le roi de Morven ? Lève-toi, lune, fille du ciel ! Montre-toi entre tes nuages ; lève-toi, pour que je voie l’éclat de ses armes sur la plaine de sa promesse ! ou plutôt, que le météore qui éclaire nos pères à travers les ténèbres, vienne, avec sa rouge lumière, me montrer le chemin vers mon héros tombé. Qui me défendra contre la douleur ? qui me défendra de l’amour d’Hidallan ? Longtemps regardera Comala, avant qu’elle voie Fingal, brillant au milieu de son armée, comme la venue du jour sur le nuage d’une pluie matinale !

HIDALLAN.

Demeure, ô brouillard du Crona, demeure sur le sentier du roi ! Cache ses pas à mes yeux, et que je ne me souvienne plus de mon ami ! De la bataille les rangs sont dispersés, et le pied pressé de la foule ne marche plus au bruit de son bouclier ! Ô Carun, roule tes ondes de sang : le chef du peuple est tombé !

COMALA.

Fils de la nuageuse nuit, quel est celui qui est tombé sur les rives du Carun ? était-il blanc comme la neige de l’Ardven, éblouissant comme l’arc de la pluie ? Sa chevelure était-elle semblable au brouillard de la colline, douce et bouclée dans la lumière du soleil ? Était-il dans la bataille, comme la foudre du ciel, léger comme le cerf du désert ?

HIDALLAN.

Oh ! que ne puis-je voir son amour, belle et penchée sur son rocher ! voir ses yeux obscurcis par les larmes, sa joue rougissante à moitié cachée dans ses cheveux ! Souffle, ô douce brise, soulève les lourdes boucles de la jeune fille, pour que je voie son bras blanc et sa joue charmante dans sa douleur !

COMALA.

Le fils de Comhal est-il tombé, chef au triste récit ? Le tonnerre roule sur la montagne, l’éclair vole sur des ailes de flamme ; mais ils n’effraient point Comala, car Fingal est tombé. Dis, chef au triste récit, est-il tombé celui qui brisait les boucliers ?

HIDALLAN.

Les nations sont dispersées sur leurs collines ; elles n’entendront plus la voix du roi.

COMALA.

Que la confusion te poursuive sur tes plaines ! Que la destruction t’atteigne, toi, roi du monde[1] ! Que peu soient tes pas vers ta tombe et qu’une seule vierge te pleure ! Qu’elle soit, comme Comala, pleine de larmes dans les jours de sa jeunesse ! Pourquoi m’as-tu dit, Hidallan, que mon héros est tombé ? J’aurais espéré quelque temps son retour ; j’aurais pensé le voir sur le rocher éloigné ; un arbre m’aurait trompée par sa forme, et le vent de la colline aurait été le son de son cor à mon oreille. Oh ! que ne suis-je sur les rives du Carun ! mes larmes seraient brûlantes sur sa joue !

HIDALLAN.

Il ne repose pas sur les rives du Carun : les héros élèvent sa tombe sur l’Ardven. Du haut de tes nuages, ô lune, regarde-les ! Que ton rayon soit brillant sur le sein de Fingal, et que Comala le voie dans l’éclat de son armure !

COMALA.

Arrêtez, enfants de la tombe, jusqu’à ce que j’aie vu mon amour ! Il me laissa seule à la chasse. Je ne savais pas qu’il marchait au combat. Il me disait qu’il reviendrait avec la nuit ; et c’est ainsi qu’est revenu le roi de Morven ! Pourquoi ne m’as-tu pas dit qu’il devait tomber, ô tremblant habitant du rocher[2] ! Tu le voyais dans le sang de sa jeunesse et tu ne l’as pas dit à Comala.

MILILCOMA.

Quel est ce bruit sur l’Ardven, quel est cet éclat dans la vallée ? Quel est celui qui vient comme la force des rivières, quand leurs ondes amoncelées étincellent à la lune ?

COMALA.

Qui est-ce autre que l’ennemi de Comala, le fils du roi du monde ! Ombre de Fingal, du haut de ton nuage dirige l’arc de Comala ; que Caracul tombe comme le cerf du désert. C’est Fingal au milieu des ombres de ses pères ! Pourquoi viens-tu, mon amour, effrayer et charmer mon âme ?

FINGAL.

Bardes, élevez les chants ; dites les combats du torrent de Carun. Caracul a fui devant nos armes dans les champs de son orgueil. Il disparaît loin de nous, comme le météore qui recèle un esprit de la nuit, quand les vents le chassent sur la bruyère et que les sombres forêts brillent alentour. J’ai entendu une voix : était-ce la brise de nos collines ? Est-ce la chasseresse de l’Ardven, la fille aux blanches mains de Sarno ? Montre-toi sur tes rochers, mon amour, que j’entende la voix de Comala !

COMALA.

Emporte-moi dans la caverne de ton repos, ô fils charmant de la mort !

FINGAL.

Viens à la caverne de mon repos, l’orage est passé, le soleil est sur nos plaines. Viens à la caverne de mon repos, ô chasseresse de l’Ardven !

COMALA.

Il revient dans sa gloire ! Je sens sa main, la main droite de la guerre ! Mais il faut que je me repose derrière ce rocher, jusqu’à ce que mon âme revienne de sa frayeur. Oh ! que la harpe soit près de moi, et vous, filles de Morni, faites entendre vos chants !

DERSAGRENA.

Comala a tué trois daims sur l’Ardven ; la flamme monte sur le rocher. Viens à la fête de Comala, ô roi des forêts de Morven.

FINGAL.

Chantez, enfants de l’harmonie, les combats du torrent de Carun ; que ma vierge aux blanches mains se réjouisse, tandis que j’assisterai à la fête de mon amour.

BARDES.

Roule, ô torrent de Carun, roule dans la joie ; les fils de la bataille ont fui ! Leurs coursiers ne se voient plus sur nos plaines ; les ailes de leur orgueil s’étendent sur d’autres terres. Le soleil maintenant se lèvera dans la paix et les ombres descendront dans la joie. La voix de la chasse se fera entendre ; les boucliers seront suspendus dans les salles. Notre délice sera dans la guerre de l’Océan, et nos mains se rougiront du sang de Lochlin. Roule, ô torrent de Carun ; roule dans la joie ! les fils de la bataille ont fui !

MELILCOMA.

Descendez du ciel, légers brouillards, et vous, rayons de la lune, enlevez son âme. Pâle sur le rocher repose la jeune fille ! Comala n’est plus.

FINGAL.

Est-elle morte la fille de Sarno ; la blanche vierge de mon amour ? Viens me trouver sur les bruyères, Comala, quand seul je serai assis près du torrent de mes collines.

HIDALLAN.

Elle s’est éteinte la voix de la chasseresse de l’Ardven ! Pourquoi ai-je troublé l’âme de la jeune fille ? Quand te verrai-je, avec joie, à la chasse des biches ?

FINGAL.

Jeune homme au front sombre, dans mes salles tu ne t’asseoiras plus à mes fêtes ; tu ne suivras plus ma chasse et mes ennemis ne tomberont point sous ton glaive ! Conduisez-moi au lieu de son repos pour que je contemple sa beauté ! Pâle, elle est couchée sur le rocher et les vents froids soulèvent sa chevelure. La corde de son arc résonne à la brise et sa flèche s’est brisée dans sa chute. Célébrez les louanges de la fille de Sarno ; donnez son nom aux vents du ciel.

BARDES.

Voyez ! les météores brillent autour de la jeune fille ! voyez ! les rayons de la lune enlèvent son âme ! Autour d’elle, du sein de leurs nuages, se penchent les figures imposantes de ses pères, Sarno au front sombre et Fidallan aux yeux enflammés. Quand ta blanche main se levera-t-elle, quand ta voix sera-t-elle entendue sur nos rochers ? Les jeunes filles te chercheront sur la bruyère ; mais elles ne te trouveront plus. De temps en temps tu descendras dans leurs songes pour apporter la paix à leur âme. Ta voix restera longtemps à leurs oreilles ; elles penseront avec joie aux songes de leur repos. Les météores brillent autour de la jeune fille et les rayons de la lune enlèvent son âme !




  1. Roi du monde, l’empereur romain.
  2. Par le « tremblant habitant du rocher » elle veut dire un druide.