Traduction par anonyme.
Hachette et Cie (p. 16-gravure).


III

LE CHEVALIER RETROUVE ONDINE


HULDBRAND se demandait de plus en plus sérieusement si Ondine n’était pas un être immatériel dans le genre de ceux qu’il avait rencontrés dans la forêt. Tout, dans cette contrée naguère si paisible, lui paraissait illusion trompeuse ; il en serait venu à douter même de l’existence du vieux pêcheur si l’écho n’avait persisté à lui apporter la voix du brave homme, appelant sa fille adoptive, suppliant le ciel de l’aider dans ses recherches.

Bientôt, le chevalier arriva au bord du ruisseau transformé en torrent et vit que l’onde débordée séparait à présent complètement la pointe de terre de la forêt.

— Ciel, pensa le jeune homme, la pauvre Ondine est donc dans la forêt, seule, parmi les spectres, et ce torrent met entre nous sa barrière infranchissable !…

S’armant de courage et de décision, Huldbrand tenta d’entrer dans le ruisseau pour le traverser soit à gué, soit à la nage. Toutes les visions qu’il avait eues dans la forêt l’assaillirent de nouveau : surtout l’image d’un grand vieillard blanc, qui ricanait en agitant avec ironie son énorme tête, lui apparut. Mais au-dessus de tout cela planait le souvenir attirant de la gracieuse Ondine, et Huldbrand ne recula pas.

Il allait, au contraire, bravement, luttant contre le courant rapide qui menaçait à tout instant de l’emporter, avec une forte branche de sapin sur laquelle il s’appuyait. Il avançait, avançait, quand tout à coup il entendit non loin de lui une voix charmante qui disait :

— Attention ! Méfie-toi du vieux torrent : il est plein de malice…

Il reconnut aisément la voix d’Ondine, s’arrêta, chercha d’où elle pouvait venir. Mais, étourdi par le bouillonnement de l’eau, il faillit perdre l’équilibre et tomber. Il se remit à marcher, murmurant :

— N’es-tu qu’un rêve, une illusion de beauté et de charme, Ondine ? Si tu ne vis pas réellement, je ne veux plus exister non plus : je veux devenir une ombre telle que toi, Ondine, chère Ondine…

— Fais attention !… Tourne-toi par ici, mon bel étourdi… fit entendre de nouveau la voix mystérieuse. Et Huldbrand, regardant de côté, aperçut soudain, comme la lune se montrait entre deux nuages, Ondine gracieusement couchée sur un lit de verdure, au beau milieu d’un petit îlot ombragé de hauts arbres et que l’inondation avait formé en cet endroit.

Soudain, comme la lune se montrait entre deux nuages, Huldbrand aperçut Ondine au milieu d’un petit îlot ombragé de grands arbres

Un bond, deux bonds encore parmi les vagues qui s’entre-choquent avec fureur, et le chevalier est auprès de la jeune fille, sur le frais gazon de l’île minuscule. Ondine enlace de ses bras blancs le cou de Huldbrand, le force à s’asseoir à ses côtés, et, tout de suite, sans prêter plus d’attention à l’orage, à la tempête, à l’inondation, elle dit :

— Gentil ami, maintenant que nous voici réunis et seuls tous deux, tu vas me faire le récit que je t’ai demandé. Parle-moi de la sombre forêt. On est bien ici pour raconter des histoires : notre toit de feuillage vaut bien la pauvre petite chaumière du pêcheur…

— C’est le ciel, dit Huldbrand en pressant la jeune fille sur son cœur.

Cependant, le vieux pêcheur était arrivé au bord du torrent et, comme la lune éclairait bien, il n’eut pas de peine à découvrir la retraite des deux jeunes gens. De loin, il s’écria :

— Hé là ! mon hôte ! Que faites-vous seul avec ma fille adoptive ? Je vous ai reçu sous mon toit en toute confiance : est-ce ainsi que vous abusez de mon hospitalité, tandis que, la crainte au cœur, je cherche partout cette enfant ?…

— Calmez-vous, bon vieillard ! répondit Huldbrand, je viens moi-même de trouver Ondine.

— Amenez-la donc, dit le pêcheur.

Mais Ondine ne l’entendait pas ainsi. Elle cria qu’elle préférait s’enfuir dans la forêt avec le bel étranger et ne pas réintégrer la chaumière où l’on ne faisait rien à sa fantaisie et d’où le gracieux chevalier partirait tôt ou tard. Puis, se penchant vers son compagnon dans un mouvement plein de grâce, elle se mit à chanter une jolie romance où l’on voyait un petit ruisseau quitter son vallon obscur, chercher le bonheur vers les larges horizons de la mer et ne plus jamais revenir.

Cette chanson arracha des larmes amères au vieux pêcheur ; mais Ondine ne semblait pas s’en soucier. Elle embrassait son bel ami qui lui dit enfin :

— Ondine, es-tu donc insensible ? Si les larmes de ce bon vieillard ne t’émeuvent point, elles me font à moi beaucoup de peine. Retournons chez lui.

— Que ta volonté soit faite ! répondit la jeune fille avec un étonnement qu’elle ne chercha même pas à dissimuler. Tout ce que tu désires, je le désire ; mais je voudrais cependant que ce bon vieux nous fît une promesse : c’est qu’il ne s’opposera plus à ce que tu me racontes tout ce que tu as vu dans la forêt.

Le pêcheur promit, trop heureux d’avoir retrouvé sa chère Ondine ; et celle-ci, escortée du chevalier, regagna la maison familiale où la vieille femme du pêcheur lui fit fête le plus admirablement du monde.

Là-dessus, le temps se remit au beau ; l’orage cessa, la tempête se calma ; des oiseaux dans les arbres célébrèrent par des chants cet apaisement de la nature redevenue harmonieuse.

Et, comme Ondine insistait encore pour entendre l’histoire promise, Huldbrand commença son récit de la manière suivante.

Ondine enlace de ses bras blancs le cou du chevalier et l’oblige à s’asseoir à ses côtés