Odes (Horace, Leconte de Lisle)/II/13

1er siècle av. J.-C.
Traduction Leconte de Lisle, 1873
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Ode XIII. — À UN ARBRE.


Celui qui te planta le premier, dans un jour néfaste et d’une main sacrilège. Arbre, le fit pour la ruine de la race à venir et pour l’opprobre du hameau !

Je crois volontiers qu’il avait brisé le cou de son père et versé, la nuit, sur son foyer, le sang de son hôte. Il avait usé des poisons Colchidiens

Et commis tout ce qui peut être conçu, celui qui t’a placé dans mon champ, misérable bois tombé sur la tête de ton maître innocent !

Comment l’homme prudent peut-il éviter ce qui le menace à toute heure ? Le matelot s’épouvante du Bosphore Pœnique, et, au delà, il ne redoute plus rien des destinées aveugles.

Le soldat craint la fuite rapide et les flèches du Parthe, le Parthe les chaînes et la puissance Italiques ; mais la violence imprévue de la mort a toujours emporté et emportera toujours les nations.

J’ai presque vu les royaumes de la noire Proserpina, et le juge Æacus et les mystérieuses demeures des Justes, et sur sa lyre Æolienne,

Sappho se plaignant des jeunes filles Lesbiennes, et toi, Alcæus, sonnant plus haut, de ton plectre d’or, les fatigues des nefs, les rudes maux de la fuite et ceux de la guerre !

Les Ombres les admirent tous deux, dans le silence sacré dont ils sont dignes ; mais la foule, les épaules pressées, boit surtout, de ses oreilles, le récit des combats ou des tyrans renversés.

Quoi d’étonnant ? puisque le monstre aux cent têtes, stupéfait de leurs chants, baisse ses noires oreilles, et que les serpents enlacés aux cheveux des Euménides s’en réjouissent !

Que Prométheus et le père de Pélops trompent leur mal par ses doux sons, et qu’Orion ne s’inquiète plus de poursuivre les lions et les lynx timides !