Traduction par E. Contamine de Latour et R. Foulché-Delbosc.
Société de Publications Internationales (p. 18-42).

VICENTE DE ARANA


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OCHOA DE MARMEX


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(Légende basque)




Quel est donc ce hardi cavalier qui descend avec un calme majestueux l’étroit sentier conduisant à la fontaine ?

La charmante jeune fille qui, près de la source abondante et cristalline attend que sa cruche se remplisse ne le quitte pas des yeux.

Elle ne le quitte pas des yeux ; mais elle les baisse avec pudeur, lorsque le cavalier arrive auprès d’elle et fixe, sur son angélique visage, son regard doux et pénétrant.

— Que Dieu te garde, charmante fillette !

Sais-tu de quel côté se trouve la tour de Lamindano ?

— Derrière ce mont, sur une hauteur qui domine la vallée. Cet étroit sentier vous y conduira.

— En connais-tu par hasard les habitants ? on dit que Rodrigo Urtiz de Lamindano a une fille fort jolie.

— Ceux qui le disent ne mentent pas : Alida de Lamindano est la plus belle des jeunes filles des alentours.

— En ce cas les amoureux ne doivent pas lui manquer.

— Elle en a beaucoup ; mais aucun n’est si noble, ni si riche, ni, d’après ce que l’on dit, si élégant que son fiancé qui sous peu doit arriver à la tour où il est attendu avec grande impatience.

— Et la belle Alida aime-t-elle ce chevalier ?

— Elle ne peut guère l’aimer : elle ne l’a jamais vu. Rodrigo de Lamindano et son intime ami Inigo de Marmex, concertèrent cet hymen quelques mois après la naissance d’Alida. Le fiancé Ochoa de Marmex comptait alors à peine neuf ans. Depuis ce jour le seigneur de Marmex et son fils ont toujours été absents du pays ; Don Inigo était au service du roi de Castille : nul doute que le bruit de ses exploits ne soit parvenu jusqu’à vous. Durant la dernière guerre contre les Mores, le fils s’est distingué plus encore que le père, mais malheureusement celui-ci mourut dans un des derniers combats. La guerre terminée et les Mores vaincus, l’orphelin doit revenir bientôt en Viscaye pour épouser Alida de Lamindano.

Pendant que le chevalier et la jeune fille parlaient, la cruche s’était remplie et débordait, la jeune fille s’en aperçut et la mettant sur sa tête, salua gracieusement son interlocuteur et prit le sentier qui conduit à la tour de Lamindano. Le cavalier marcha derrière elle en lui disant :

— Je suis charmé que tu prennes le chemin que je dois suivre ; nous pourrons ainsi continuer à parler.

— Je vais à la tour de Lamindano, car j’y demeure avec mon oncle Rodrigo et ma cousine Alida.

— Est-ce possible ? Toi la nièce du seigneur de Lamindano !

— Ceci vous paraît étrange parce que vous me voyez pauvrement vêtue et avec la cruche sur la tête ; mais c’est la vérité. Je me nomme Graciosa de Lamindano, et mon père était le frère de Don Rodrigo Urtiz.

— Ah ! c’est ainsi que le seigneur de Lamindano traite sa nièce, et Alida y consent ? Tu dois être bien malheureuse, pauvre enfant ?

— Pas autant que vous le croyez, car les serviteurs et les gens d’armes du château m’aiment beaucoup et me traitent avec la plus grande douceur. D’ailleurs, moi, j’aime le travail, et je serais très heureuse si mes oncles et ma cousine me montraient quelque tendresse, mais ils n’ont pour moi que des paroles dures et des regards encore plus durs.

— Mais alors pourquoi ne les quittes-tu pas ? N’importe où, tu serais mieux.

— Et où irais-je puisque je n’ai d’autres parents ? Ma pauvre mère mourut en me mettant au monde, mon père succomba à la suite des mauvais traitements que lui infligea son frère Rodrigo qui, non content de lui ravir ses biens attenta à son existence de mille façons. Puis, quand je devins orpheline, il me recueillit dans sa maison, pour faire parade de générosité et de sentiments bons et chrétiens.

— Quelle sublime action ! Combien je te plains, pauvre enfant ? Par bonheur tu es plus belle qu’un séraphin, et il faut espérer que bientôt quelque jeune et honnête garçon de ces contrées t’épousera et te délivrera d’un aussi odieux esclavage.

Ne rougis point, réponds franchement. Si ta cousine a tant de galants, tu dois en avoir un aussi ?

— Ne le croyez pas. Lorsque quelque jeune homme, parmi ceux qui fréquentent la tour, se montre courtois et obligeant envers moi, ou me porte le plus petit intérêt, Alida et mes oncles ne tardent pas à lui faire comprendre que sa présence est inopportune et qu’il ne doit pas reparaître dans la maison. Ils disent que je n’ai point besoin d’autre fiancé que Johannès le Bossu.

— Johannès le Bossu ! quel est cet homme ? un bossu pour toi, si droite et si bien tournée ?

— Le pauvre Johannès est un malheureux, idiot et contrefait, plus laid qu’un cauchemar ; c’est pour cela qu’ils se plaisent à dire qu’ils me marieront avec lui, croyant m’affliger par ce moyen.

— Tu ne dois pas t’affliger. Les galants sans bosse ne te manqueront pas ; mais je crois que même avec Johannès l’idiot tu serais plus heureuse qu’avec ces parents, car d’après ce que je vois ils ont une horrible bosse dans le cœur.

La jeune fille ne répond pas. Elle chemine par le sentier tortueux avec aisance et légèreté, comme si au lieu de la cruche elle n’eût porté sur ses cheveux dorés qu’une guirlande de fleurs.

Le jeune homme marche à ses côtés et ne se lasse pas de contempler le doux et beau visage de la jeune file.

C’est ainsi qu’ils arrivent à la tour. Le chevalier admire la grandeur et la solidité de l’édifice, qui est de forme rectangulaire : la muraille extérieure et les tours de ses quatre angles, le corps saillant qui occupe le centre de la courtine faisant face au sud, les grandes fenêtres en arc percées dans les murs épais de l’édifice, les longs espaces couronnés par les créneaux et les meurtrières.

Comme la herse est levée, le pont tendu et la porte intérieure ouverte, le chevalier et la jeune fille pénètrent dans la forteresse ; une autre muraille crénelée comme la première s’offre à leurs yeux, et par la grande porte gothique qui s’ouvrait ils entrent dans une grande place d’armes, au centre de laquelle s’élève la tour de Lamindano.

— Je te prie, aimable jeune fille, dit le chevalier, de faire part à ton oncle de mon arrivée dans sa maison. Dis-lui qu’Ochoa Iniguez de Marmex désire le voir.

— Ochoa Iniguez de Marmex ! reprit la jeune fille. Et après avoir regardé le chevalier d’une manière indéfinissable, elle monte dans le large escalier qui conduit à la porte principale.

Comme la jeune fille regrette d’avoir été si franche avec l’étranger !

Au bout d’un moment, Rodrigo Urtiz apparaît sur le seuil, suivi de quelques serviteurs. Un de ceux-ci mène à l’écurie le cheval du seigneur de Marmex, et pendant ce temps le seigneur de Lamindano salue courtoisement le nouvel arrivé, descend pour le recevoir jusqu’au pied de l’escalier et le conduit au grand salon du château.

Là l’attendent la dame de Lamindano et Alida, sa charmante fille ; le seigneur de Marmex est si anxieux de voir sa fiancée, que son regard ne prête aucune attention à la large frise de chêne artistement sculptée, ni aux tapis qui couvrent les murs, ni au plafond lambrissé qui est une merveille d’art, de goût et de patience.

L’héritière de Lamindano est, en vérité, belle, bien belle, presque aussi belle que sa cousine ; mais dans sa figure ne se dessinent pas, comme dans celle de Graciosa, la candeur, la bonté et la douceur, qui sont le plus bel ornement de son sexe.

Sa mère, l’épouse de Rodrigo Urtiz, ne représente que quelques os recouverts d’un parchemin jaune et plissé ; elle a un nez démesuré, semblable au bec d’un oiseau de proie, et des yeux brillants qui ont une expression de méchanceté répulsive, de dureté, d’orgueil.

Rodrigo de Lamindano présente le chevalier à ces dames, celles-ci le reçoivent courtoisement, et le chevalier de Marmex commence une conversation animée avec l’épouse momifiée de son hôte.

Alida le regarde à la dérobée, et paraît satisfaite de son examen. C’est qu’en vérité Ochoa de Marmex est un fort beau garçon, et que son luxueux vêtement noir et les armes brillantes qu’il porte rehaussent la beauté de sa face et la majesté de son maintien.

— Comment se fait-il, mon noble ami, s’exclame le seigneur de Lamindano, que vous soyez venu seul ? Comment se fait-il que même un simple écuyer ne vous accompagne pas ?

— J’ai laissé mes serviteurs dans la maison de mon allié Gonzalo de Idokiliz, où j’habiterai jusqu’au jour de mes noces.

— Je ne suis pas en très bons termes avec Don Gonzalo, et je regrette que vous vous soyez logé dans sa maison.

— Je n’avais aucune nouvelle de votre désaccord, autrement j’eusse choisi une demeure qui eût été plus dans votre goût. Comme le seigneur d’Idokiliz est mon parent et mon ami, et comme je savais que sa tour n’est pas éloignée de la vôtre, j’ai cru qu’il serait plus convenable d’y loger. Don Gonzalo voulait me donner un serviteur qui m’eût conduit ici ; je n’ai pas accepté, je lui ai demandé de m’indiquer le chemin que je devais prendre, car je préférais venir seul. Mais je me suis égaré et, peut-être vaguerais-je encore par ces montagnes, si je n’avais pas rencontré votre jolie nièce, avec qui je suis venu depuis la fontaine.

Pendant cette conversation arrive l’heure du dîner. Ochoa de Marmex s’assied à table et Graciosa fait le service avec un air triste mais résigné.

Tous font les honneurs dus à l’abondance et au bon goût, excepté Alida, chez qui la joie a remplacé l’appétit. Elle pense à l’envie qu’éprouveront ses amies, quand elles la verront s’approcher de l’autel, au bras du jeune et beau gaillard. Graciosa verse avec profusion le cidre délicieux et le vin généreux ; la pauvre jeune fille veille sur tout avec délicatesse, et soin.

Elle n’a besoin d’aucune observation, tant elle semble prévenir les désirs de tous. Ochoa de Marmex très-joyeux parle du jour où l’on célébrera le mariage ; s’adressant au seigneur de Lamindano, il s’écrie :

— J’espère que ce jour-là vous ferez en sorte que nous ne voyions aucune figure triste à nos côtés.

— Disposez de tout ce que je possède, disposez-en à votre guise pour secourir le pauvre et réjouir le malheureux.

— Que ce jour-là je vois le sourire sur tous les visages, la joie dans tous les cœurs. Je ne serai heureux que si tous autour de moi se sentent heureux. J’espère même que votre charmante nièce, qui semble triste, changera sa physionomie pour ce jour-là. Sa tristesse paraît être celle d’une jouvencelle en état de se marier et qui, lasse de sa liberté virginale soupire après les douces chaînes de l’hyménée. Elle est jeune et belle, ma foi, et il ne serait pas difficile de trouver quelque noble et galant jouvenceau, qui la voudrait pour épouse.

Le seigneur de Marmex prononce ces paroles avec un ton railleur, et c’est sur le même ton que la dame de Lamindano dit, sans donner à son mari le temps de répondre :

— Cette jeune fille n’a nul besoin que quelqu’un se donne la peine de lui chercher un amant. Il y a fort longtemps qu’elle en a un.

— Si c’est elle qui l’a choisi, je suis certain qu’il ne lui manquera ni noblesse, ni vertu, ni courage.

— Toutes ces qualités, — s’exclame Alida souriant malignement — et d’autres non moins précieuses, Johannès le Bossu les possède.

— Johannès le Bossu ! dit en riant le seigneur de Marmex, le nom ne donne pas une très-bonne idée de la personne. Un amant avec une bosse ! Sans doute, ceux qui disent que les bosses exercent une singulière fascination sur les femmes, ont raison ? »

Alida, le seigneur de Lamindano et son épouse accueillent avec un rire bruyant les paroles du jeune homme ; l’affreuse vieille laisse entrevoir en riant ses dents démesurées. La malheureuse Graciosa tremble sur ses jambes. La cruauté du chevalier la surprend et l’afflige profondément, à peine peut-elle contenir les larmes qui mouillent ses beaux yeux.

Ochoa de Marmex l’a-t-il remarqué ? a-t-il eu pitié de la pauvrette ? Ce qu’il y a de certain c’est qu’il abandonne son ton moqueur, et dit, en s’adressant au seigneur de Lamindano :

— Puisque le jour des épousailles est si proche, je crois de mon devoir, mon noble et cher hôte, afin que vous ne soyez pas trompé, de vous faire une importante remarque.

« Vous souvenez-vous de Sancho de Emaldi, seigneur ? avez-vous jamais connu un jeune homme plus sain, plus robuste, plus joyeux ?

« Eh bien, si vous le voyiez à présent, vous ne le reconnaîtriez pas. Triste, pâle, affaibli, taciturne, ce n’est même plus l’ombre de ce qu’il fut un jour.

» Doué d’un caractère faible et d’un cœur trop bon, il n’eut, depuis son mariage, d’autre volonté que celle de son épouse, qu’il aimait avec tendresse : de telle sorte que celle-ci est arrivée à le dominer complètement, à exercer sur lui la plus odieuse tyrannie, à le traiter comme un vil esclave.

« Sancho de Emaldi n’a plus de forces pour rompre la lourde chaîne qui l’oppresse, et qui finira par l’étouffer. Pour rien au monde je ne voudrais me voir dans une aussi triste situation, et ce serait une grande folie que de ne pas prendre des mesures opportunes pour l’éviter.

« J’aimerai mon épouse et je ne lui donnerai aucune rivale, elle sera en possession de mon cœur tout entier ; mais en échange elle devra faire en tout ma volonté, humblement et joyeusement.

« Pour qu’elle s’accoutume à me considérer comme son souverain seigneur et maître, je veux qu’au moins pendant quelques années, les plus humbles soins de ma maison soient sa tâche ; elle apportera l’eau de la fontaine, elle lavera la vaisselle et aura le soin de la propreté de la cuisine. »

Alida et sa mère ne savent que penser des paroles du chevalier. Le seigneur de Lamindano trouve la plaisanterie par trop forte, et ne réussit pas à répondre.

Cependant, au bout de quelques instants, il s’écrie, essayant vainement de dissimuler sa colère :

— Je sais bien que vous plaisantez, car je ne vous pense pas capable de croire qu’Alida de Lamindano s’abaissera jamais jusqu’au point de s’occuper de choses aussi viles.

— Je suis loin de plaisanter ; au contraire, je parle en toute vérité ; si ce que je viens de dire ne vous plaît pas, si vous voulez pour votre fille un mari qui ressemble à Sancho de Emaldi, il vous faudra le chercher ailleurs, car le fils de mon père est décidé à ne se laisser gouverner par aucune femme.

— Par Sainte Marie ! — s’exclama Rodrigo Urtiz en se levant et en écartant brusquement la chaise, — une telle insolence n’est plus supportable, c’est la fille d’un rustre et non la fille d’un chevalier, qui convient à un homme aussi grossier.

La dame de Lamindano et sa fille quittent aussi la table ; la première se livre à des injures contre le chevalier de Marmex, et Alida, l’orgueilleuse Alida, essaye en vain de paraître froide et dédaigneuse.

Seul le jeune homme conserve son calme, seul il reste froid et assuré.

Il se lève de table doucement, et s’écrie avec surprise :

— Je ne sais comment mes paroles si simples, ma franchise digne de reconnaissance, peuvent causer ici une si grande émotion.

« Croyez-vous par hasard que seule la fille d’un rustre doive s’occuper de ces travaux qui vous semblent si vils ? Votre frère, le père de Graciosa de Lamindano, était-il un grossier pataud ?

« Approchez-vous, belle fille, et ne craignez rien. Je vous prends sous ma protection. Dites-moi, ne feriez-vous pas avec plaisir ce que j’ai dit, et encore plus, pour un mari que vous aimeriez et qui vous aimerait ? Mais non ; c’est autre chose que je dois vous demander. Si je vous disais que je vous aime, que votre douceur et votre résignation m’ont subjugué, que je désire vous prendre pour épouse, accepteriez-vous ma main ?

« Et feriez-vous pour moi qui vous aime tant, ce que vous faites pour ceux qui vous haïssent ?

« Répondez, je vous en supplie ; vous n’avez rien à craindre, car je suis ici pour vous défendre. Acceptez-vous ma proposition ? »

Un oui presque imperceptible s’échappe des lèvres tremblantes de Graciosa. En l’entendant, la vieille, folle de rage, redouble ses injures ; Alida aussi commence à maltraiter la pauvre fillette ; le seigneur de Lamindano fait quelques pas vers elle d’un air menaçant ; mais Graciosa se réfugie à côté de Marmex, semblable au poussin qui, voyant l’épervier s’approcher, court se cacher sous les ailes de sa mère.

Ochoa de Marmex lui tend une main pour lui donner courage, et de l’autre il empêche que Rodrigo Urtiz arrive jusqu’à la jouvencelle.

Le seigneur de Lamindano, vivement irrité, cherche à sa ceinture le pommeau de son épée, mais ne le trouvant pas, il serre les poings et lance un rugissement d’impuissante fureur. Que ne donnerait-il pour être armé, pour avoir sur lui poignard ou épée et pouvoir terrasser son ennemi ?

Celui-ci dégaine, et fait un pas vers le seigneur de Lamindano, sans lâcher la main de Graciosa.

— Ah ! vous voulez m ’assassiner ! » Don Rodrigo hurle : « Mais vous êtes en mon pouvoir et vous ne m’échapperez pas.

— Je suis en votre pouvoir, c’est certain ; mais je jure par l’âme de mon père que, si vous ne me laissez partir librement, si vous appelez vos gens, si vous faites le plus petit mouvement, je vous tuerai sans compassion.

« Remettez-vous donc, seigneur, et faites que ces dames se calment. Réfléchissez à ce qu’il vous convient de faire.

« Vos domestiques peuvent m’ôter la vie, mais vous mourrez le premier ; j’ai d’autre part des alliés et des proches parents qui ne manqueront pas de me venger.

« Ah ! vous regardez la porte ! Malheur à vous si quelqu’un traverse le seuil pour venir à votre aide ! Avant que personne n’arrive ici, cette épée vous aura traversé le cœur.

« Il faut que vous me laissiez partir librement avec votre nièce ; mais comme vous êtes capable d’envoyer vos hommes d’armes derrière nous, je veux que vous nous accompagniez vous-même jusqu’à la tour d’Idokiliz. Votre vie vous répondra de notre sécurité pendant le trajet.

« Marchez, seigneur, marchez ; conduisez-nous à la demeure de mon parent Gonzalo de Idokiliz : nous irons à pied car la distance est courte, et gardez mon cheval jusqu’à ce que je l’envoie chercher ; j’espère que vous le remettrez à quiconque vous le demandera en mon nom, et que vous ne m’obligerez pas à mettre le siège devant votre tour pour le retrouver.

« Et toi, Graciosa, mon amour, ne tremble pas ainsi. Appuie ton bras sur le mien et ne crains rien. Je t’aime tant que je me sens des forces pour te défendre contre le monde entier.

« Ne sois pas triste, ne crois pas que tu vas être l’esclave d’Ochoa de Marmex. Tu ne ressembles pas à Alida de Lamindano, ni à l’épouse de Sancho de Remaldi ; tu ne seras pas traitée comme elles mériteraient de l’être.

« Tu seras ma reine et ma dame ; tout mon orgueil sera de te rendre heureuse, de combler les désirs, et s’il le faut je te servirai à genoux.

« Ochoa de Marmex est tendre et complaisant avec celui qui est bon et humble ; âpre et inflexible avec celui qui est orgueilleux ».

Quelques serviteurs du château, attirés par la curiosité vers la porte écoutent cette altercation si singulière. Comme ils idolâtrent Graciosa ils se réjouissent de ce qui vient d’arriver. Loin de voler à la défense de leur seigneur, ils courent porter la nouvelle aux autres serviteurs et gens d’armes. Tous alors cherchent l’endroit le plus convenable, d’où ils pourront, sans être vus, voir eux-mêmes la sortie des deux chevaliers et de la jeune fille.

En avant, marche le seigneur de Lamindano qui se donne en vain l’apparence d’un homme satisfait, pour que ceux qui le voient, ne devinent pas son humiliation.

Ochoa de Marmex et Graciosa le suivent à une très courte distance.

Ce galant jeune homme, que dit-il à la charmante jouvencelle ?

Il parle si bas, si bas qu’il m’est impossible d’entendre.

Mais, sans doute, ce sont choses délicieuses et douces, car la jeune fille baisse les yeux en souriant.