Océan vers/À l’ami Félix Biscarrat

VII

À L’AMI FÉLIX BISCARRAT.

Pour le jour de sa fête. — 23 juin 1818.

Tandis que notre énergumène [1]
(Tu connais le sire à ce nom)
Tout en sueur forge avec peine
Une épître de longue haleine
Qu’il t’adressera bel et bon.
Je vais interroger ma veine
Pour t’of&ir aussi sans façon
Un bouquet de fleurs d’Hyppocrène
Qui tombèrent hier, dit-on.
De la charrette un peu trop pleine
Des boueurs du sacré vallon.
Quand ils allaient à Charenton
Porter leur tribut à leur reine.
Ces vers, dont ma muse est peu vaine.
Contiennent des fleurs de saison.
Bonne amitié, gaîté sans gêne.
Tout, hors la rime et la raison.
Je t’en dirais même plus long.
Si je n’avais pas la migraine.
Qui ne vaut pas un Apollon.

Or donc, cher Félix, c’est ta fête :
Ton ami te doit un tri but ;

Que ton ami n’est-il prophète !
Quoi qu’il en soit, je marche au but.
Puisses-tu goûter sans nuage,
(Je te l’ai déjà dit cent fois).
Le bonheur que ton nom présage !
Puisses-tu vivre comme trois !
Puisses-tu manger comme quatre !
Engagé sous d’aimables lois ,
Puisses-tu vaincre sans combattre !
Pour les dames toujours courtois.
Rends aux vierges de Castalie
Tous les bons vers que tu leur dois.
Et nargue la mélancolie,
Courtise un peu dame folie.
Qui creva les yeux autrefois
A ces deux aveugles matois
Grands dieux qu’aucun mortel n’oublie.
Et que tu suis aussi, je crois.
L’un par état, l’autre par choix,
Mais sans que leur chaîne te lie.

Tels sont les désirs de l’ami :
Ecoute les vœux du poëte.
n’est ton confrère : frémi
En Usant ce qu’il te souhaite.
Je voudrais te voir pauvre un jour.
Venir à Paris sans chemise.
Quand je serais riche à mon tour.
Pour te montrer que je le prise.
Tout en me souhaitant ton goût.
Je te souhaite ma franchise.
Et pour l’exciter, la sottise
De lire ces vers jusqu’au bout.

  1. Biscarrat appelait ainsi Eugène Hugo. (Note de l’Editeur.)