Océan vers/Le désir de la gloire

IV

LE DESIR DE LA GOIRE.

Ode.
Me vero primum dulces
ante amnia Muse

Virg. G.
Nuit du 2 au 3 février 1818.

L’amant de la docte Uranie,
Né mortel, mais brisant ses fers,
Mesure la voûte infinie
De l’abîme infini des airs.
Il franchit les plaines profondes,
Il va planer parmi les mondes,
Son œil cherche à les pénétrer ;
Mais Dieu, qui voulut le surprendre,
Dieu lui défend de les comprendre.
Et le force à les admirer.

Astres qui rayonnez dans l’ombre.
Où roulent vos orbes errants ?
Qui sema vos sphères sans nombre
Sur tant de cercles différents ?
Sept astres brillent pour Saturne,
Saturne, en sa marche nocturne.
Du soleil suit le disque d’or ;

Et peut-être cet astre immense
Ressent lui-même la puissance
D’un astre, plus immense encor.

Vaste loi, qu’à peine soupçonne
L’étroite raison des humains !
Dieu, malgré les biens qu’il nous donne.
Nous cache l’œuvre de ses mains.
Mondes, quelle est votre structure ?
Qiie dis-je ? ah ! toujours leur nature
Confondra mes faibles esprits ;
Nos regards y peuvent atteindre.
Mais nos yeux les verront s’éteindre
Avant de les avoir compris.

Peut-être, au sortir de la vie,
Va-t-on sur ces globes nouveaux.
Couler des jours dignes d’envie.
Et triompher de ses rivaux ;
S’il en est ainsi, viens, ma lyre.
Je vais changer, dans mon délire.
Ce beau songe en réalité ;
Chantons, et si tu me secondes.
Je veux, dans chacun de ces mondes.
Conquérir l’immortalité.

Oh ! si je pouvais à Pindare
Ravir son indomptable essor.
Vous entendriez ma cythare,
Soleils, qui m’ignorez encor !
Porté sur l’aile du génie,
La Terre, loin de moi bannie.
S’enfuirait dans les cieux déserts.
Et j’irais, près de vos contrées.
Au concert des harpes sacrées
Marier mes brûlants concerts.

Vous, dont nous ne pouvons connaître
La marche ni les attributs,
Astres, vous ignorez peut-être
Ce qu’est un suivant de Phébusj
Jamais chez vous l’ardent Alcée
A-t-il fait jaillir la pensée
Des flots d’un lyrique courroux ?
Astres, dont le feu nous éclaire.
Parlez, avez-vous un Homère
Dont le nom vive plus que vous ?

Le Nil, dans son immense course.
Arrosant cent climats divers.
Sans jamais épuiser sa source.
Va sans cesse grossir les mers ;
Plus il se gonfle, plus il gronde.
Plus le sol heureux qu’il féconde
Bénit la fureur de ses eaux ;
Du Temps il craint peu les ravages,
Il a vu s’écouler les âges
Comme il voit s’écouler ses flots.

Tel, dans des torrents d’harmonie
Nourrissant son fougueux transport.
Un chantre, inspiré du génie.
En s’épanchant, s’accroît encor ;
11 monte, il s’élève, il bouillonne.
Le Parnasse à sa voix s’étoime.
L’envie en murmurant a fui ;
Lui-même il survit à sa cendre.
Tout l’admire, et pour mieux l’entendre
Le Temps s’arrête devant luL

J’ai vu Rousseau, dans son délire,
Charmer tout le sacré vallon ;
Je l’ai vu tirer de sa lyre

Des accords dignes d’Apollon ;
Des hauteurs de la double cime.
Je l’ai vu, brillant et sublime.
S’égarer au loin dans les cieux ;
Aux pieds du maître du tonnerre
Ainsi l’aigle, fuyant la terre,
Porte son vol audacieux.

Aussi mille siècles de gloire
De leurs veilles seront le prix ;
Aux fastes sacrés de mémoire
Rayonneront leurs noms chéris ; ’
O Gloire, ô déité puissante,
Accorde à celui qui te chante
Une place dans l’avenir ;
Gloire, c’est à toi que j’aspire ;
Ah ! fais que ton grand nom m’inspire
Et mes vers"pourront t’obtenir.

Ne serais-tu qu’une chimère.
Gloire ? croirai- je les méchants ?
Mais quoi ! j’entends du vieil Homère
Retentir les antiques chants.
Gloire ! ô gloire, sois mon idole !
Que ton sourire me console
Et couronne un jour mes accords}
Que l’avenir soit ma patrie,
Et que la voix du Temps me crie :
«Tu vivras, malgré mes efforts !»

Mais insensé ! qu’osé-je attendre ?
Ah ! les chantres les plus fameux
A peine, hélas ! ont pu prétendre
A ce que j’espère comme eux.
Pleure, pleure, ô ma triste Muse,
Mon cœur, que trop d’audace abuse.

N’aura, pour prix de son orgueil.
Que la louange passagère
D’une foule aveugle et le’gère,
Qui me suivra dans le cercueil.

Déjà, ^ans son enfance à peine.
En parcourant d’obscurs sentiers.
Ma muse, aux rives d’Hyppocrène,
A moissonné quelques lauriers ;
Déjà les clameurs du vulgaire
Ont porté mon nom téméraire
Aux échos du sacré vallon ;
Vain fracas qui fuit et m’enivre !
Loin de voir mon nom me survivre,
Il faudra survivre à mon nom.

Ainsi dans les cavernes sombres
Du vaillant père de Fergus[1],
La voix éclate au sein des ombres.
Et se répète en sons aigus ;
Bientôt plus sourde et plus lointaine.
Elle se prolonge et se traîne
Sous les grottes du mont désert ;
Puis, comme l’Esprit qui murmure.
Elle erre sous la voûte obscure.
Roule en bruit confus et se perd.

Toutefois ta fleur, tendre Isaure,
Peut nous garantir du trépas ;
Toute fleur meurt avant l’aurore.
Mais ta fleur ne se flétrit pas ;
Jadis le Tectosage agreste.

S’il chantait ta flamme funeste.
En couronnait les troubadours ;
Tes amours donnaient la victoire,
Tes amours ont créé la gloire…
Que n’ai-je chanté tes amours ?

  1. Le lecteur qui sait que les grottes de Fingal, père de Fergus, sont fameuses par leur écho extraordinaire, me pardonnera cette note. (Note du manuscrit.)