Observations sur quelques grands peintres/Paul Potter


PAUL POTTER.


Paul Potter, un des hommes célèbres de la Hollande, est fameux par les paysages, et surtout par les animaux qu’il a peints. Dans tous ses ouvrages, son caractère distinctif est d’avoir saisi la simplicité, la bonhomie de la nature. On connoît de lui de très-beaux paysages : on se souvient que son tableau de la Forêt de la Haye, fut vendu 27,000 liv. à la vente du ministre Choiseul, et qu’il n’est entré dans d’autres cabinets que pour de grosses sommes. Peut-être est-il celui qui a le mieux rendu le vert brillant de la campagne : on lui reproche cependant, avec raison, de l’avoir fait trop égal, et de ne lui avoir pas donné assez de dégradation.

Je ne sais pourquoi quelques modernes ont établi en principe que les beaux tableaux ne devoient avoir que des gazons, des arbres roux, gris, noirs, sales, et que le vert étoit un défaut. Quoi ! ce qui nous charme dans les prés, dans les bois, ce qui est beauté dans la nature, deviendroit un défaut dans un art dont le but est de l’imiter ! On s’efforceroit d’atteindre à l’éclat des chairs, des draperies, des fleurs, et l’on saliroit, pour nous plaire, la riche parure des campagnes ! Le printemps nous ravit, paré du vert le plus brillant ; et cette douce et riante couleur seroit repoussée par la peinture ! Non, non ; si les plus grands artistes n’y sont pas arrivés, c’est que leur palette n’y pouvoit atteindre, ou que leurs couleurs sont changées. Les peintres modernes, qui, regardant comme beauté ce manque de vérité dans les anciens tableaux, cherchent à l’imiter, ressemblent à de jeunes femmes qui, pour plaire davantage, s’efforceroient de se faire des rides. Sans doute si la mort n’eut pas enlevé Paul Potter à vingt-neuf ans, il auroit porté le genre du paysage au plus haut degré d’imitation. Ceux qui nous restent de lui, quelqu’intérêt qu’ils inspirent, ne sont pas cependant ce qu’il a fait de mieux ; et même dans la plupart de ses tableaux, le paysage n’est que l’accessoire ; il semble n’avoir choisi ses sites que pour faire valoir ses animaux : c’est donc principalement comme peintre d’animaux qu’il doit être considéré, et surtout de ceux qui composent les troupeaux. Dans ce genre, aucun homme n’a été aussi parfait que lui. Correction de dessin, force de couleur justesse de mouvement, énergie d’exécution, il a tout réuni. C’est aussi un de ces caractères distinctifs d’avoir pu joindre l’énergie à la naïveté. D’autres ont fait des vaches, des bœufs, des moutons bien dessinés, bien coloriés, bien peints ; lui seul les a rendus touchans, et lui seul a bien saisi leur sorte d’expression, la physionomie de leur âme, et tout l’esprit de leur instinct. On admire les troupeaux de Berghem, de Van den Velde, de Carle du Jardin ; ceux de Paul Potter attendrissent : on reconnoît les soins qu’ils ont pris de leur poil où le fumier s’attache quelquefois, et en les fixant long-temps, on croit sentir leur odeur.

Il n’a point fait ces chevaux brillans, fiers de leurs riches harnois, qui dans le faste et l’esclavage, ont pris l’orgueil de leurs maîtres corrompus ; il n’a point fait ces coursiers généreux qui s’élancent de leurs gras pâturages, au bruit des clairons et des trompettes, pour voler au milieu des hasards ; mais il a peint, avec la plus attachante exactitude, ces bons chevaux, si utiles aux travaux rustiques, dont le poil n’est point lustré sans cesse par des peignes de fer, et qui ont la parure, les mœurs et la simplicité des hommes qui les nourrissent.

Il a mis peu de figures dans ses tableaux ; elles ne sont pas même toujours heureuses ; ses bergers ne sont pas ceux de l’âge d’or, ni les pasteurs de la belle Arcadie. Il a peint quelquefois de bons pâtres Flamands qui ont de la vérité, et particulièrement le caractère de leur pays et de leur profession.

On ne trouve point dans ses ciels ces larges et belles formes de nuages, ces fiers déchiremens si bien sentis par Vernet ; ils sont, en général, mous et cotonneux, mais ils sont de la plus grande justesse de ton, et leur mollesse même contribue à l’effet de ses ouvrages, en faisant ressortir la touche ferme et la couleur vigoureuse de ses devans. Aucun homme n’a prouvé mieux que lui, qu’on peut faire des tableaux très-intéressans avec peu d’objets, quand ils sont bien vrais, et qu’on a bien saisi ce qui les rend attachans dans la nature. Souvent un peu de terrain couvert de gazon, quelques fleurs des champs, un mouton, un arbrisseau, un ciel presque sans nuages, lui ont fait faire un tableau délicieux, qui charme et les yeux et le cœur, et que l’on met toujours à un très-haut prix.

Quoiqu’en puisse penser et dire un écrivain de nos jours, il n’y a point de lieu plus favorable aux méditations d’un philosophe qu’une galerie de tableaux. Que de volumes seroient employés à décrire tout ce que la peinture y présente à ses yeux en un instant ! Là, semble s’ouvrir pour lui le grand livre de la nature ; auprès des portraits des bienfaiteurs de l’humanité, il voit ceux de ces illustres Érostrates, qui ne doivent leur renommée qu’à tous les maux qu’ils ont faits ; il voit encore les traits enchanteurs de ces femmes adorées, causes souvent des révolutions des États ; qui ont porté dans les âmes, tant de douleurs et tant de joie, et qui sont tombées comme les roses qui paroient leur front. Sous ses yeux, les plus puissans empires de la terre se heurtent et se dévorent pour de foibles intérêts ; une foule de climats différent, les vices, les vertus, les actions héroïques, s’offrent à la fois à ses regards, et les siècles s’écoulent devant lui avec la rapidité d’un coup d’œil. Après avoir vu le spectacle des folies et des cruautés que l’avarice, l’orgueil, la foiblesse, la superstition ont fait faire aux hommes, de quels nouveaux sentimens, de quelles nouvelles idées son esprit et son cœur ne se remplissent-ils pas en rencontrant les paysages nobles et touchans du Poussin, de Claude le Lorrain, ceux de Carle du Jardin ; en voyant dans ceux de Paul Potier, les paisibles troupeaux qui, sur des lits immenses de verdure qu’enrichissent de modestes fleurs, jouissent, sans prévoyance, de tous les bienfaits de la nature ; en voyant, presque vivans, ces bons animaux qui nous couvrent de leur laine, qui labourent nos champs, qui nous nourrissent de leur lait, et que nous payons, hélas ! de tant d’ingratitude !

On ne sauroit donc accorder trop d’éloges à Paul Potter, parfait dans son genre, et dont les talens ne donnent que des plaisirs qui peuvent devenir utiles, en inspirant aux hommes le goût de la vie pastorale. Siècle des patriarches ! rêve sacré des amans et des poëtes, pourquoi ton image n’est-elle plus que dans les tableaux ! Non-seulement il doit être placé au rang des plus grands peintres, mais il pourroit l’être encore parmi ces pasteurs renommés, qui, dans les temps héroïques, étaient savans, philosophes, chantres nobles de la nature, des mortels et des dieux, qui n’ont éclairé les hommes que pour les rendre meilleurs, et dont la gloire ne rappelle rien qu’on puisse leur reprocher.