Nouveaux contes berbères (Basset)/68
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Le hérisson, le chacal et le lion (133).
(Ouargla).
Au temps jadis, le chacal alla trouver le hérisson et lui dit : « Allons, j’ai vu un jardin d’oignons, nous y remplirons nos ventres. — Combien as-tu de ruses ? demanda le hérisson. — J’en ai cent et une. — Moi, dit l’autre, j’en ai une et demie » (134). Ils entrèrent dans le jardin et mangèrent beaucoup. Le hérisson mangeait un peu, puis il allait essayer s’il pourrait sortir ou non par l’ouverture. Quand il eut rempli son ventre de façon à pouvoir encore s’évader, il cessa de manger. Quant au chacal, il ne cessa de dévorer jusqu’à ce qu’il fut enflé comme une femme enceinte.
Sur ces entrefaites, arriva le propriétaire du jardin. Le hérisson le vit et dit à son compagnon : « Sauve-toi, le maître arrive. » Lui-même prit la fuite. Mais, malgré ses exhortations, le chacal ne pouvait passer par l’ouverture : « Cela m’est impossible, disait-il. — Où sont donc tes cent (et une) ruses ? elles ne te servent pas. — Que Dieu fasse miséricorde à tes parents, mon oncle, prête-moi ta moitié de ruse. — Couche-toi à terre, reprit le hérisson, fais le mort, ferme ta bouche, étends tes pattes comme si tu étais mort, jusqu’à ce que le maître du jardin le dise et te jette dans la rue : alors tu t’enfuiras. » Là dessus, le hérisson partit.
Le chacal se coucha comme il le lui avait dit, lorsque le maître du jardin arriva avec son fils, il le trouva gisant. L’enfant dit à son père : « Voilà un chacal crevé. — Il a rempli son ventre d’oignons jusqu’à ce qu’il en soit mort, dit l’homme ; va, traîne-le dehors. — Oui, » répondit l’enfant, et il le prit, coupa une épine et la lui enfonça dans le derrière. « Holà ! assez, dit le chacal, on joue avec des roseaux, mais ceci n’est pas un jeu. » L’enfant courut vers son père et lui dit : « Il a crié : un roseau, un roseau. » L’homme alla voir l’animal et le l’autre faisait le mort : « Que me dis-tu là, qu’il vit encore ! — Assurément. — Allons, enlève-le et laisse cette charogne, » L’enfant enfonça encore une épine dans le corps du chacal qui cria : « Encore maintenant ! » L’enfant revint vers son père : « Il vient de dire : encore maintenant. — Allons, » dit l’homme, et il renvoya son fils. Celui-ci prit par la queue le chacal immobile et le jeta dans la rue. Aussitôt l’animal se releva et se mit à courir. L’enfant lui jeta ses pantoufles, l’autre les prit, s’en chaussa et s’en alla.
En route, il rencontra le lion qui lui dit : « Qu’est-ce que ces chaussures-là, mon cher ? — Tu ne sais pas, mon oncle ? Je suis cordonnier, mon père aussi, mon oncle aussi ; ma mère est cordonnière, comme mon frère, ma sœur et la petite fille qui est née chez nous la nuit dernière. — Ne me feras-tu pas des chaussures, répliqua le lion. — Je t’en ferai ; amène-moi deux chamelles grasses, je les écorcherai et t’en fabriquerai de bonnes chaussures. »
Le lion s’en alla et lui amena deux chamelles grasses. « Elles sont maigres, » dit le chacal, va les changer pour d’autres ! » Il lui en amena deux maigres. « Elles sont grasses, » reprit le chacal. Il les écorcha, coupa des épines de palmier mâle, enroula le cuir autour des pattes du lion et l’y fixa avec les épines. — Aïe ! « cria l’autre. — Celui qui veut se faire beau ne doit pas dire : aïe. — Assez, mon cher. — Mon oncle, je te ferai avec ce qui reste des pantoufles et des bottes. » Il entoura la peau du lion avec le cuir où il planta des épines : quand il arriva aux genoux : « Assez, mon cher, dit le lion ; qu’est-ce que c’est que cette chaussure là ! » — Tais-toi, mon oncle, voici des pantoufles, des bottes, des culottes, des vêtements. » Quand il arriva à la ceinture, le lion lui dit : « Qu’est-ce que c’est que ces chaussures-là ? — Mon oncle, ce sont des pantoufles, ce sont des bottes, ce sont des culottes, c’est un vêtement. » Il arriva ainsi jusqu’à son cou : « Demeure ici, ajouta-t-il, jusqu’à ce que le cuir sèche ; quand le soleil se lèvera, regarde-le en face ; quand la lune se lèvera, regarde-la en face. — C’est bon », dit le lion, et le chacal s’en alla.
L’autre resta et fit comme son compagnon lui avait dit ; mais ses pieds se gonflèrent, le cuir devint dur et il lui fut impossible de se lever. Quand le chacal revint, il lui demanda : « Comment vas-tu, mon oncle ? — Comment je vais ! maudit, fils de maudit, tu m’as trompé. Va, va, je te recommanderai à mes enfants. » Le chacal passa près de lui, le lion le saisit par la queue ; le chacal s’écarta, la queue resta dans la gueule du lion : « À présent, dit-il, te voilà sans queue : quand mes pieds seront guéris, je te prendrai et je te mangerai. »
Le chacal alla appeler ses cousins et leur dit : « Allons remplir d’oignons nos ventres dans un jardin que je connais. » Ils partirent avec lui. En arrivant, il attacha leurs queues à des rameaux de jeunes palmiers et les entortilla bien. « Qui a lié nos queues de la sorte ? demandèrent-ils. — Personne ne viendra avant que vous n’ayez rempli vos ventres ; si vous voyez arriver le maître du jardin, débattez-vous et fuyez. Voici que, moi aussi, je suis attaché comme vous. » Il lia à la place une feuille d’oignon. Quand le propriétaire du jardin arriva, les chacals le virent venir : ils se débattirent, leurs queues furent toutes arrachées et demeurèrent après les branches où elles étaient liées. Lorsque le chacal aperçut l’homme, il coupa la feuille d’oignon et se sauva le premier.
Quant au lion, lorsque ses pieds furent guéris, il alla se promener. Il rencontra son ami le chacal, le saisit et lui dit : « Je te tiens, fils de maudit ! » L’autre reprit : « Qu’ai-je fait, mon oncle ? — Tu m’as enfoncé des épines dans la chair, tu m’as dit : Je te ferai des chaussures ; à présent que vais-je faire de toi ? — Ce n’est pas moi, reprit le chacal. — C’est toi (et la preuve c’est que) tu as la queue coupée. — Mais tous mes cousins sont sans queue, comme moi. — Tu mens, drôle ! — Laisse-moi les appeler, tu verras. — Appelle-les. »
À son appel, les chacals accoururent, tous sans queue. « Qui d’entre vous a été cordonnier ? demanda le lion. — Nous tous, » répondirent-ils. Il reprit alors : « Je vais vous apporter du poivre rouge, vous en mangerez et celui qui dira : « Aie, » ce sera lui. — Va. » Il leur apporta du piment et ils étaient en train d’en manger quand le premier chacal fit du bruit avec ses chaussures, mais il dit au lion : « Mon oncle, je n’ai pas dit : Aïe. »
Le lion les renvoya et ils partirent à leurs affaires (134).