Bibliothèque de l’Action française (p. 241-244).

Les femmes dans notre histoire



S’il est une particulière beauté de notre histoire, c’est la collaboration de la femme à toutes les grandes choses que nous avons accomplies. Cette collaboration ardente et constante, je la trouve même plus dévouée, plus héroïque aux heures périlleuses.

Quand le premier colon de ce pays, las de solitude et de nostalgie, voulut à son foyer se ménager un soutien, entendre une voix d’espérance et le roulis des berceaux, il appela à son aide les petites filles de France ; il les appela à partager ses dures besognes, la pauvreté de son logis et son effroyable isolement. De tout le pays, des voix s’élevaient, demandant des compagnes pour les colons, des femmes qui voulussent devenir les aïeules d’une jeune race.

Les petites orphelines de France, c’est Joyberte Soulanges qui l’a écrit, « ont été séduites par la généreuse aventure. Elles ont vu se lever là-bas, par delà la grande mer, une terre austère, mais vierge et noble et qui leur tendait les bras… » Un jour elles s’embarquent et « si les poitrines se gonflent, à mesure que se rétrécit, puis disparaît, la terre de France ; si quelque chose d’humide perle au coin des yeux, le cœur reste ferme. Les voyageuses se tournent vaillamment vers le pays de l’attente ; elles s’abandonnent à l’élan du navire qui, toutes voiles au vent, vogue vers l’Amérique du Nord. »

Quand, à cette même époque lointaine, il fallut des femmes pour instruire les enfants, pour soigner les malades, pour émouvoir plus doucement, les Indiens en faisant resplendir la charité du Christ à travers des visages féminins, les premiers missionnaires, les premiers fondateurs appelèrent encore à l’aide ; ils firent signe aux vierges de France.

Cette fois encore, quelle fut la réponse ? « Je ne parlerai pas », écrivait le Père Le Jeune dans la « Relation » de 1635, « des désirs brûlants d’un très grand nombre de nos Pères, qui trouvent l’air de la Nouvelle-France un air du ciel… mais ce qui m’étonne, c’est qu’un grand nombre de filles Religieuses, consacrées à Notre Seigneur, veulent être de la partie, surmontant la crainte naturelle à leur sexe pour venir secourir les pauvres filles et les pauvres femmes des sauvages. Il y en a tant qui nous écrivent, et de tant de monastères, et de divers ordres très réformés en l’Église, que vous diriez que c’est à qui se moquera la première des difficultés de la mer, des mutineries de l’Océan et de la barbarie de ces contrées… »

Un jour elles arrivent ces femmes qui s’appellent Marie de l’Incarnation, Jeanne Mance, Marguerite Bourgeoys. Et quand au son des canons, des tambours et des fifres québecquois, la première d’entre elles débarque avec ses compagnes, son premier geste est de tomber à genoux et de baiser avec émotion le sol de la Nouvelle-France.

Lorsque, cinquante ans plus tard, aux heures tragiques de la guerre iroquoise, le devoir commun fut d’être prêt à mourir pour la colonie ; lorsque la fleur de la jeunesse masculine fut tombée dans le flamboyant holocauste du Long-Saut, les héros n’eurent pas de peine à susciter des héroïnes. Madeleine de Verchères ne trouva pas trop lourd pour ses mains de jeune fille, le mousquet de Dollard, et Jeanne Le Ber, comme une lampe de sanctuaire derrière sa grille, se consuma lentement pour la patrie.

Plus tard encore, lorsque les dernières défaites eurent abattu les drapeaux des régiments de France, lorsque le conquérant s’installa en maître dans ce pays, et que ce fut, pour nos pères, une angoisse de savoir si leur race n’allait pas mourir ; lorsque, dans la désespérance trop grande, les abdications commencèrent à se multiplier, la race fit encore signe aux héroïnes d’hier. Alors il se trouva des demoiselles de chez nous pour être fières de leur sang et de leur foi plus que de toute chose. Et leur résistance s’incarna dans cette idéale Blanche d’Haberville qui refusa d’être « la première à donner l’exemple d’un double joug aux nobles filles du Canada ».

Quand, séparés depuis longtemps de la France et ne recevant plus de là-bas les renforts religieux de jadis, il fallut trouver chez nous des héroïsmes de femme pour continuer les ministères de la charité et de l’éducation, nos évêques firent signe aux filles du Canada français. Et sur tous les points du pays, ce fut une poussée soudaine de couvents, d’hospices, d’asiles, de monastères qui croissaient plus drus et plus forts que les blés de la terre canadienne.

Quand notre jeune race, redevenue assez vigoureuse pour sortir d’elle-même, se ressouvint de l’apostolat de la Nouvelle-France ; quand nos missionnaires s’en allèrent vers le lointain nord-ouest, retrouver les traces des fils de Loyola, ils appelèrent à leur suite, jusque dans les régions glacées, les petites religieuses du Québec. Et dans le canot qui, en 1845, emportait vers la Rivière-Rouge le Père Aubert et le Frère Taché, avaient pris place deux Sœurs Grises de Montréal qui s’en allaient rejoindre leurs compagnes parties l’année précédente.

Quand le Canada français voulut prendre sa part du glorieux champ des missions lointaines ; que, fils de la France, il voulut, comme elle, étendre aux confins du monde, les horizons de sa foi, nos missionnaires virent un jour arriver derrière eux, en Chine, au Japon, aux Indes, et jusqu’au cœur de l’Afrique, des femmes qui étaient de leur foi et de leur sang. Et pendant qu’aujourd’hui même, sur les bords de la Rivière-des-Prairies, s’élèvent les murs de notre séminaire des missions étrangères, presque à son ombre s’élève aussi le noviciat des petites Sœurs de l’Immaculée-Conception qui, demain, iront mourir dans quelque léproserie chinoise.


« En ces jours de mollesse, où l’on n’a plus guère que le culte du confortable », il est bon, dirait Laure Conan, « d’arracher les âmes au présent, de reporter les regards vers cette aube étrangement pure, où apparaissent, dans leur suprême beauté, la force, la générosité… le sacrifice… »

Novembre 1923.