Bibliothèque de l’Action française (p. 245-259).

Conclusion



Ce que nous devons au catholicisme




Il a commencé de travailler pour nous avant même notre naissance. Nos origines portent le sceau d’une prédilection. Les hommes qui furent nos pères, appartenaient à la race où s’est le mieux réalisée la civilisation du Christ : ils venaient de la France, pays de raison harmonieuse et de foi apostolique, et ils sortaient d’elle à la plus grande heure de son histoire.

Le catholicisme va dominer notre vie entière. À toutes les époques d’une existence particulièrement laborieuse, il sera la force la plus active de celles qui nous ont façonnés.


Le premier labeur et le plus âpre pour la Nouvelle-France fut de naître noblement. Pendant soixante ans, les rois ou leurs subordonnés tenteront de fonder la colonie avec les rebuts du royaume. L’échec les éclairera, mais surtout l’Église qui a vu le dessein apostolique de la monarchie française et l’accorde avec son idéal. En plaçant au premier plan les intérêts éternels du Nouveau-Monde, elle comprend que le point d’appui de son apostolat auprès des races indigènes ne peut être qu’une race probe et catholique. N’est-ce pas sa volonté enfin triomphante qui s’exprime dans l’édit des Cent-Associés : « Monseigneur le Cardinal Richelieu estant obligé par le devoir de sa charge, de faire réussir les sainctes intentions et desseins des dits Seigneurs roys, avait jugé que le seul moyen de disposer ces peuples à la cognoissance du vray Dieu, estoit de peupler ledit païs de Naturels François Catholiques, pour, par leur exemple, disposer ces peuples à la cognoissance de la Religion Chrestienne… »

Cette simple loyauté de l’Église nous valut de naître du meilleur sang de France et dans la foi catholique. Huguenots et gibiers de prison furent écartés d’une terre où l’on voulait fonder un peuple apôtre. Et comment évaluer ce qu’une telle composition de nos éléments nationaux représentait de cohésion, de vigueur morale, de ferments vertueux ?

Sur ces éléments encore informes, l’Église fit planer son souffle créateur. Née à la vie, notre jeune race dut aborder un autre labeur, non moins âpre, celui de sa croissance. Elle grandit, comme l’on sait, dans la pénurie de l’assistance administrative, presque dans la misère ; à peine sortie du berceau, elle ne connut d’autre jeu que celui de la guerre et, pour conquérir un sol dur entre tous, elle dut manier le fusil presque autant que la hache.

Pour traverser ces rudes débuts, la Nouvelle-France retrouva la même égide. Jusqu’à l’année 1663, date où intervient le roi, ce sont des hommes d’Église, les Récollets puis les Jésuites qui suppléent les compagnies et assistent les gouverneurs. À partir de 1648, le Supérieur des Jésuites fait partie du conseil de la colonie. Bientôt la Nouvelle-France va saluer l’arrivée de François de Laval qui, par le prestige de son caractère et de sa vie, sera le premier personnage du pays. Telle est alors la prédominance de l’élément religieux que des historiens ont parlé de théocratie. Théocratie qui n’usurpe, en tout cas, que le droit de se dévouer intelligemment, si j’en crois ce mot de Colbert à Mgr de Laval : « La colonie canadienne n’a de vie que depuis le temps où vous vous êtes dévoué pour elle ».

Avant même l’arrivée de l’évêque, le dévouement de l’Église devançait les besoins de la Nouvelle-France. À Québec il n’y a guère, en 1635, que 300 habitants lorsque les Jésuites fondent leur collège. Quatre ans plus tard, les Ursulines ouvrent leur première école pour 40 petites filles, cependant qu’à Ville-Marie Marguerite Bourgeoys attend, pour les instruire, que les enfants soient en âge. Œuvres d’enseignement, œuvres de charité, tous les organismes se créaient l’un après l’autre ; et, chaque fois, pour jeter dans notre histoire un ferment immortel, un saint ou une sainte était préposé à la tâche de fonder. Champlain, François de Laval, Marie de l’Incarnation, la Mère de Saint-Ignace, Maisonneuve, Jeanne Mance, Marguerite Bourgeoys, les Pères Le Jeune, Lalemant, les Sulpiciens Souart, Dollier de Casson, appartiennent à l’humanité des élus qui se mêlent éternellement aux œuvres qu’ils fondent.

Grâce à ces puissantes ressources spirituelles nous allions traverser une autre phase périlleuse de notre croissance. Avec l’arrivée des colons de Colbert, la Nouvelle-France se met à grandir par accroissements subits, précipités. Quel état peu propice à la morale que ces établissements hâtifs où les arrivants se croisent et se mêlent, où les colons se dispersent sur un immense pays, sans églises, presque sans prêtres et sans cadre social. Les guerres continuelles, les exigences de la traite des fourrures aggraveront cette incohésion. Pendant longtemps la population de la Nouvelle-France aura l’air d’une série de camps volants. Contre l’Iroquois qui dévaste le pays, contre l’Anglais qui menace les frontières, au service des traitants qui mobilisent les canotiers, hommes mariés, jeunes gens se font en grand nombre coureurs de bois ou de fleuves, vagabonds de la gloire qui étendent les frontières encore plus qu’ils ne les défendent. Le spectacle est magnifique d’audace aventureuse et chevaleresque. Mais quel péril pour les mœurs que ce nomadisme prolongé où succombe une trop grande partie de la population.

Le bonheur de la Nouvelle-France fut alors d’être gouvernée par des évêques de la grande tradition dont la hardiesse apostolique allait aussi loin que le devoir. Leurs mandements de ce temps-là nous révèlent avec quelle vigueur, quelle ténacité, ils s’élevaient contre tous les dérèglements. Pour eux le progrès, la civilisation véritable n’est pas dans les gains du commerce ou de la gloire ; elle consiste avant tout dans la dignité des mœurs, dans la domination de la volonté sur les mauvais instincts de la nature humaine. Aussi le luxe, la vanité, l’usure, l’indécence, l’ivrognerie, le mépris du dimanche se heurteront-ils à de véhémentes dénonciations. Quel fier courage que celui de ces chefs d’Église dont l’un osait bien s’adresser « au gouverneur et à la gouvernante », pour leur rappeler l’obligation où ils sont de donner le bon exemple au peuple. »[1] Leur sévérité est sans ménagements pour les corrupteurs ; ils n’admettent point « qu’il y ait des cabarets dans les paroisses », et ils défendent d’absoudre « ceux qui veulent gagner leur vie par ce détestable commerce ».[2] Rigueurs excessives, diront quelques-uns. Rigueurs salutaires, diront les autres qui verront les précoces vermoulures écartées du millier de familles qui allaient devenir les souches d’un peuple.

Pour la défense de la race, il est deux bastions, entre autres, que nos évêques ont élevés de leurs mains : la famille et la paroisse. La famille du Canada français est une des gloires de notre peuple, « une des plus grandes merveilles de l’Église catholique en ces deux derniers siècles », a écrit un historien.[3] Et ces grands éloges, l’on veut qu’ils lui soient décernés pour la façon admirable dont elle s’est acquittée de ses fins naturelles. Mais qui a fait la famille canadienne-française ? Qui lui a donné ses lois, son âme, ces vertus de force et de pureté qui, au courage de faire son devoir, lui ont ajouté la puissance de le bien accomplir ? Ici encore, ayons la loyauté de le reconnaître, l’Église a tenu le premier rôle et le plus actif. À l’heure où se fondaient nos premiers foyers, les Jésuites puis François de Laval leur imposèrent comme idéal la sublime famille de Nazareth. C’est l’Église qui a défendu chez nous la dignité du mariage ; sur les sources de notre vie, elle n’a cessé de veiller pour que rien d’impur ne s’y mêlât. Rappelons seulement, pour montrer jusqu’où allait en ce temps-là sa vigilance, que les prêtres ne pouvaient admettre à la bénédiction nuptiale, les soldats séducteurs et leurs victimes.[4]

L’histoire de nos origines prendra, de ce fait, une particulière noblesse. C’est ainsi que les registres du gouvernement de Québec n’attesteront que deux naissances illégitimes jusqu’à l’année 1690 et qu’un relevé de toutes les naissances de la colonie révélera à peine huit accidents par 1,000 enfants.

Ces foyers pleins d’honneur, c’est déjà une première garantie de l’éducation des enfants que l’Église n’a pas moins surveillée. N’est-ce point par l’autorité sainte dont elle revêt le père, le vrai chef familial pour elle, n’est-ce point par l’ardeur de piété qu’elle allume au cœur de la mère que Mgr de Saint-Vallier pourra appeler chaque famille canadienne « une petite communauté bien réglée » ? L’œuvre de l’Église, voulez-vous la voir dans une forme concrète ? Contemplez-la dans la symbolique cérémonie de la bénédiction, au matin du jour de l’an, alors qu’agenouillés devant leur père, devenu pontife domestique, les enfants confessent l’unité chrétienne de la famille et son ordre qui est un ordre divin.

Là ne s’arrêtera pas le génie organisateur de l’Église. Le régime féodal n’avait guère jeté, entre les habitants d’une même seigneurie, que des liens juridiques. La véritable société publique, celle qui élève une autorité au-dessus des groupes familiaux, les associe pour un progrès plus étendu et plus parfait, cette société ce sera la paroisse, institution strictement ecclésiastique sous l’ancien régime. Par un arrêt de son conseil d’État, en date du 17 mai 1699, le roi retire définitivement aux possesseurs de fiefs le patronage des églises qui sera conféré à l’évêque avec le droit de faire bâtir des temples où celui-ci le jugera convenable.

« L’évêque de Québec a eu une part essentielle dans le Règlement des districts fait en 1721 », écrivait Mgr Plessis. « Il a toujours été en possession d’ériger les paroisses. Les archives de l’évêché font foi de 38 paroisses anciennement érigées par les Évêques de ce pays, entre lesquelles quatre n’ont eu leur érection que depuis le Règlement des districts… Toutes ces érections consistent en un Décret ecclésiastique latin, signé de l’évêque et contresigné de son secrétaire. »[5]

La paroisse canadienne est constituée avant tout pour le progrès religieux. Mais le progrès religieux ne s’isole pas dans sa transcendance. L’une de ses vertus est de faire de l’ordre au-dessous de lui et de n’être une règle que pour devenir un principe vivifiant. La paroisse, cela voulait dire, au temps de la Nouvelle-France, l’homme de Dieu, le gardien de la foi et de la morale, constitué chef de la société ; cela voulait dire les rapports des hommes réglés par la charité et la justice chrétiennes ; l’église devenant le pôle attractif des âmes et les unissant par le lien le plus vigoureux, celui d’une foi commune. La paroisse, ce fut même, pendant longtemps, le seul cadre où s’épanouit quelque vie publique. Jusqu’après le régime français, les réunions pour fins d’église sont à peu près les seules assemblées populaires. Dès l’érection des premières paroisses, François de Laval remet aux habitants les frais du culte ; les fabriques sont constituées avec marguilliers électifs ; et le synode de 1690 rappellera qu’« il a été ordonné que les curés feront part aux marguilliers des choses qu’ils souhaiteront faire dans leurs églises ».[6]

Assises de nos familles, assises de nos paroisses, tout cela nous le devons à nos évêques. Pourtant leur action a voulu s’étendre encore plus loin, atteindre l’État lui-même ou ce qui fut alors notre organisme de gouvernement. Conseillers du conseil souverain, et, pour ainsi dire les seuls permanents, nos évêques ont tenu, au parlement de la Nouvelle-France, le premier rôle. C’est déjà marquer en quel sens ils vont orienter la législation de la colonie d’où nous vient une partie de notre droit actuel. L’on sait également avec quelle énergie, contre les gouverneurs et les parlementaires gallicans du conseil, ils ont défendu les prérogatives de la puissance spirituelle. Autant qu’ils l’ont pu, ils ont fait admettre et fait passer dans nos mœurs publiques, la juste subordination des pouvoirs. Et qu’est-ce à dire si ce n’est poser là le fondement de l’ordre social et politique ? Ceux qui savent le rôle de la vérité dans la vie d’un peuple, les relations étroites des droits de l’homme aux droits de Dieu, salueront dans ces hommes d’Église de vrais hommes d’État. Il n’est pas nécessaire d’avoir fouillé bien longuement l’histoire du monde, pour apercevoir dans l’État désorbité et sans frein, un fauteur de désordre, l’ennemi le plus dangereux de la liberté humaine. « Droits de l’homme, liberté de l’homme, liberté humaine, existence distincte des nations », a dit Louis Veuillot, « autant de pensées du Christ, voulues et acceptées par sa seule Église ».

De cet ordre catholique, de la prédominance de l’idée religieuse, devait naître une jeune race remarquable par sa haute moralité et le bel ensemble de son âme. Son histoire sociale sera émouvante comme une pastorale traversée de chants épiques ; son histoire militaire fera penser à un manuel d’héroïsme. Mais nous ne savons si l’Église n’a pas déposé au front du jeune peuple un laurier encore plus glorieux.

La Nouvelle-France est restée fidèle aux desseins de ses fondateurs. La pénétration française au cœur du continent ne fut pas seulement une merveilleuse aventure commerciale et militaire ; ce fut en même temps, une irrésistible poussée de l’apostolat catholique. Rarement les explorateurs dépassent les missionnaires. Quand Champlain touche au pays des Hurons en 1616, les Récollets l’y ont précédé ; quand de Saint-Simon s’en va vers la baie d’Hudson, le Jésuite Albanel l’accompagne ; Marquette est de la flottille qui avironne vers le Mississipi ; Cavelier de la Salle mène toujours avec lui des religieux et des prêtres ; et le Père Mesaiger puis le Père Aulneau sont de l’expédition des La Vérendrye.

Mais voici qui vaut mieux encore : l’évangélisation des indigènes n’est pas seulement l’affaire des missionnaires ; c’est une œuvre collective à laquelle tout le jeune peuple s’associe. Ville-Marie est fondée pour être à la fois un bastion de la colonie et un séminaire d’apôtres. Aux associés de la Sainte-Famille, François de Laval propose de « servir à la conversion des infidèles de ce pays, par l’exemple d’une vie irréprochable ». À partir de l’année 1636 ce vœu se propage, parmi les colons de Québec, de communier douze mois de suite, de dire autant de fois le chapelet, de jeûner la veille de l’Immaculée-Conception pour obtenir « la conservation de ce pays et la conversion des pauvres sauvages qui l’habitent ». Oui, telle était bien l’atmosphère des âmes. Et si « la prière de chaque nation », comme l’a écrit le comte de Maistre, « indique l’état moral de cette nation, » quelle grandeur l’Église n’avait-elle pas déposée dans l’âme de nos pères !

Viennent maintenant les jours mauvais ! Les noblesses de son histoire, tous ses grands souvenirs deviendront des énergies morales pour notre peuple, des impulsions immatérielles qui l’animeront à durer.


Car le labeur de la Nouvelle-France n’est pas achevé. Après avoir eu tant de peine à naître et à vivre, la question se posera pour elle de survivre.

Le premier service que nous rendit l’Église, au lendemain de 1760, fut de nous conserver la foi. Qui oserait prétendre, en effet, que la foi des vaincus eût subsisté en ce pays, si nos chefs religieux avaient cédé aux manœuvres du vainqueur et accepté la suppression de l’épiscopat ?

Ce service, a déjà quelque valeur pour un peuple qui sait le prix de la vérité religieuse. Mais ajoutons avec l’histoire que l’Église a coopéré plus que personne à la préservation nationale. Si nous cherchons les causes de notre survivance, il faut écarter résolument tout ce qui évoque l’idée de la puissance matérielle. Qu’était-ce, pour faire face à la plus grande puissance européenne du dix-huitième siècle, que 65,000 paysans ruinés par la guerre, abandonnes à eux-mêmes ? Si nos pères ont survécu, c’est qu’une certaine dignité morale leur a donné la fierté de rester eux-mêmes ; c’est que leurs institutions familiales, la pureté de leurs mœurs, leur permirent d’enfanter abondamment de la vie ; c’est que le travail les garda laborieux, leur accorda de refaire leur pays et d’en agrandir le domaine ; c’est enfin que leur organisation sociale sut grouper, pour les rendre puissants, les petits efforts et les modestes ressources. Les œuvres, les organismes de vie et de résistance que ni la richesse ni le nombre ne pouvaient créer, le désintéressement, le courage les mirent debout. De telle sorte que, parmi les causes de notre survivance, aucune ne saurait être nommée qui n’appartienne à l’ordre moral, lequel relève de l’Église.

La volonté de rester nous-mêmes, qui l’a plus fortement affirmée que notre clergé ? Mgr Hubert, le deuxième évêque de race canadienne-française, appliquera, l’un des premiers, à notre groupe ethnique, le mot « nation ».[7] Ce sont nos évêques, nos prêtres qui redoutent le plus l’anglicisation parce qu’ils y voient une menace d’apostasie. À Québec c’est Mgr Hubert, à Montréal ce sont les Sulpiciens qui fondent les premières écoles bilingues pour arracher les écoliers canadiens-français aux écoles anglo-protestantes. C’est l’Église qui, la première, a vu le piège de l’Institution Royale et a fait écarter cette mainmise de l’église anglicane et de l’élément anglo-saxon sur notre enseignement public. Aujourd’hui encore n’est-elle pas la seule à mettre des entraves à la fréquentation des écoles et des universités de religion et de langue étrangères ?

Depuis la conquête, la famille canadienne n’a pas trouvé, non plus, de protectrice plus courageuse que l’Église. Qui ne voit, par exemple, que la prohibition des mariages mixtes protège non seulement la foi, mais notre homogénéité française ? Nos foyers, l’Église les défend chaque jour et presque seule contre les abus et les errements de toute sorte, en particulier contre le mal abominable du divorce. Et puisque, au témoignage de le Play, « les familles soumises à Dieu… sont la vraie force des nations libres et prospères », qui donc, en bonne vérité, oserait attribuer à d’autre que l’Église la conservation de cette force ?

Pour les mêmes fins elle a fortifié le cadre social de la paroisse. « La paroisse a sauvé la race française du Canada », répètent de toutes parts historiens et économistes. Et, sans doute, c’est une vérité indiscutable. Mais si la paroisse fut pour notre race le bastion sauveur, si l’on a vu s’y épanouir, depuis 1760, une vitalité plus vigoureuse, plus féconde même que sous l’ancien régime, à qui le devons-nous, si ce n’est à l’homme qui, par le départ ou la démission des autres, demeura la plus grande et quelquefois la seule autorité sociale ? C’est par cet homme qui fut le prêtre, que la prééminence de l’idée religieuse s’imposa plus que jamais à la paroisse canadienne. Par le prêtre toujours, l’organisme religieux acquit assez de force pour animer de son esprit l’organisme scolaire et même l’organisme civil qui se développaient en lui. Et voilà comment s’est vérifiée pour nous cette loi universelle, qu’en toute vie composée d’éléments divers, le progrès s’affirme avec puissance où l’élément supérieur gouverne les autres.

Gardienne de la famille et de la paroisse, l’Église fit comme elle avait fait sous l’ancien régime : elle se chargea en plus des intérêts généraux de la race. Personne ne conteste qu’elle ait créé, sans la moindre assistance de l’État, notre enseignement secondaire et supérieur ; l’enseignement primaire, elle l’avait soutenu jusqu’à 1760, de son dévouement encore plus que des subventions royales ; après la conquête, elle le maintient au milieu des ruines et elle le relève. Pendant longtemps il n’y aura d’école qu’à l’ombre de l’église. Lorsque, enfin, échappés à la servitude, politique, nous commencerons à organiser les fonctions de notre vie sociale, nous retrouverons encore l’Église dans le même rôle ; elle défendra les droits de la famille contre les nouveaux pouvoirs comme elle les avait défendus jadis contre les assimilateurs. Et le régime d’enseignement public qu’elle fera prévaloir, s’il n’est point sans infirmités, n’en a que d’imputables à l’ambition de l’État.

À ce moment, sa fécondité magnifique ajoute au droit de l’Église de parler haut. Pendant que les écoles naissent sur tous les points, au milieu d’un peuple trop pauvre pour les soutenir de ses seuls deniers, l’Église met au plus bas prix le coût de l’enseignement. Elle fait venir de France des communautés enseignantes ; elle en crée un bon nombre sur place. En peu d’années, ces grandes familles spirituelles assument la plus lourde part du fardeau et donnent à nos écoles un haut caractère moral.

L’Église fait de même pour le service de la charité. En même temps qu’elle le met au plus bas prix, elle s’efforce de lui maintenir son auréole surnaturelle. Communautés étrangères et communautés canadiennes se vouent au soulagement de toutes les misères. Et c’est, au milieu de nous, une floraison d’œuvres qui représentent pour l’État d’incalculables économies et font l’étonnement de l’étranger.

La fécondité sera telle que l’Église prélèvera sur cette richesse pour prêter aux autres. Du surplus de ses vocations et quelquefois de son nécessaire, elle organisera la vie religieuse de toutes les provinces canadiennes ; elle suivra jusqu’aux États-Unis nos frères exilés ; elle dépassera même ces vastes champs ; et la voici en train d’accomplir dans les pays de missions une œuvre apostolique sans parallèle. Rôle sublime qui n’établit pas seulement devant le monde la qualité morale de notre peuple, mais qui ajoute à la majesté de notre histoire et accroît peut-être nos chances de survie. Si Dieu est le grand personnage de l’histoire humaine, ce peuple-là n’amasse-t-il point des gages d’avenir qui se fait le collaborateur des œuvres divines ?


Voilà bien ce que nous devons au catholicisme. Pour apercevoir ce rôle immense, il faudrait comprendre ce que cela vaut à un peuple d’avoir trouvé, dans son berceau, comme un cadeau de naissance, la foi catholique, c’est-à-dire cette lumière allumée devant les hommes pour éclairer les réalités divines et qui, par cela même, projette le plus de clarté sur les réalités humaines. La foi catholique, cela veut dire, pour un peuple, la vérité domestique, la vérité politique mises hors de question ; cela veut dire, dans un pays, la salubrité intellectuelle, la préservation des aventures doctrinales qui se paient en reculs quand ce n’est pas en catastrophes. La foi catholique, cela veut dire aussi la morale qui atteint le plus profondément chaque individu d’une nation, qui fournit à la volonté humaine le plus haut idéal de vertu et les moyens les plus efficaces de l’atteindre. D’avoir été un peuple qui priait et allait à la messe, qui se confessait et communiait, qui pratiquait le culte des saints, héros supérieurs de l’humanité, qui pourrait dire ce que notre histoire a gagné, par cela seul, en force et en beauté ?

Ce n’est pas assez de dire du catholicisme qu’il fut l’arc-boutant de notre race ; il en est l’armature, l’âme indéfectible qui soutient tout. Si quelque raison pouvait ajouter à la grandeur de ce rôle, ce serait la constance avec laquelle il a été tenu. Depuis le jour où l’Église suspendait la croix au portique de notre histoire, qui oserait marquer une défaillance, une interruption dans son dévouement, une heure où elle ait paru lassée d’être la bienfaitrice du peuple canadien-français ? Puissions-nous ne jamais oublier de tels services ! Puisse-t-on s’en souvenir en quelques hautes sphères où l’on fait voir quelquefois plus de puissance à détruire qu’à créer !

Dans un autre âge que le nôtre, en l’une de ces époques de foi où les réalités religieuses s’imposaient fortement aux esprits, un grand artiste se lèverait parmi nous pour figurer sous quelque forme idéale cette Providence magnifique. Qui sait ? Le jour viendra peut-être où notre hommage animera quelque pierre sublime. Ce jour-là le monument sera dressé sur l’un des plus hauts points du pays et la reconnaissance d’une race aura gravé sur le socle : « À la Mère auguste de la patrie ! »

Novembre 1923.
  1. Mandements des évêques de Québec, t. I, pp. 169-174
  2. Mandements des évêques de Québec, t. I, pp. 511-512
  3. Dom Benoît, Vie de Mgr Taché, t. I. p. 2
  4. Mandements, des évêques de Québec, t. I, pp. 300-301
  5. Lettre de Mgr Plessis à Mgr Denaut, 19 mars 1798, Archives de l’Archevêché de Québec.
  6. Mandements des évêques de Québec, t. I. p. 273.
  7. Mandements des évêques de Québec, t. I, pp. 392, 396, 397.