Notre-Dame de Bonne Odeur (Verhaeren)

Les Ailes rouges de la guerreMercure de France (p. 89-93).

NOTRE-DAME DE BONNE ODEUR


À Tervueren, à la lisière d’un bois, près Bruxelles, une chapelle est dédiée à la Vierge. Les gens du pays l’ont appelée : « Notre-Dame de Bonne Odeur. »



Notre-Dame de Bonne Odeur,
Qui domines en ta chapelle,
À Tervueren, près de Bruxelles,
Les pacages en herbe et les jardins en fleurs,
Sois bienveillante
Dès ce printemps aux humbles plantes
Et mets également tes soins
À mûrir les raisins, les pommes et les coings,
Avant que la saison défaillante et fanée
Ne soit par les grands vents, vers sa mort, entraînée !


D’abord,
Ne faut-il pas pour nos grands morts
Des roses tristes ;
Et les femmes qui les assistent,
Ne cueillent-elles point des fruits clairs et rosés
Pour la soif de nos blessés, ?
Car l’heure sinistre à l’heure grave s’ajoute
En Flandre et en Brabant.
On n’y voit plus, au long des routes,
Les hauts charrois de foin aux cheveux retombants,
Ni les hommes portant la gaule
Ou la bêche sur leur épaule.
Ceux qui passent là-bas
Sont des reîtres marchant au pas
Et s’avançant vers les villages
D’après un mouvement compact et saccadé,
Soit pour le feu ou le pillage,
Soit pour le meurtre commandé.

Hélas ! où pousse et vit encor la marjolaine
Et la fleur du lilas et la fleur du sureau ?

Où sont-ils les parfums qui traversent la plaine
Et balancent, le soir, leur voyage sur l’eau ?
Où les brises qui murmurent sous les ramées
Pour que des mots d’amour soient soufflés à l’amant
Par la feuille tremblante et le branchage lent,
Quand les couples s’en vont sous la nuit enflammée ?
Où sont les sentiers clairs que cent petits pieds nus
Marquent de leur empreinte entre les brins de chaume ?
Où la bonne senteur du pain roux et grenu ?
Hélas ! où les clartés ? hélas ! où les arômes ?
Et de quoi désormais, en ces âges d’horreur,
Pourront se réjouir tes benoites narines ?
Voici l’âcre Allemagne en sang et en sueur
Qui remplit d’elle et tes chemins et tes ravines,
Notre-Dame de Bonne Odeur.