Notes et impressions d’une parisienne/16


Chez Thérésa


24 mars 1899.


On la croyait oubliée et voilà qu’elle revient tout à coup à la mode ; on parle d’elle de tous côtés, les journaux lui consacrent des chroniques, on redonne son répertoire à la Bodinière, les conférenciers la prennent comme sujet de leurs commentaires, et, lundi prochain, Sarcey lui-même montera sur la scène de la « Guinguette fleurie » pour saluer une fois encore cette étoile de la chanson, qui dira — ne promettant pas de chanter — quelques-unes de ses meilleures créations.

Voir Thérésa, recueillir ses impressions, était à coup sûr curieux.

Qui aurait pénétré, l’autre après midi, dans la coquette garçonnière de la rue Pigalle, tout à fait là-haut, près du boulevard, aurait trouvé la célèbre artiste causant gravement d’un rôle qu’on venait lui proposer dans un drame fait à sa mesure.

Un drame pour Thérésa ?

Tout simplement, mais la chanteuse le refusa, avec quelques regrets du reste.

— Non, je vous assure, je ne peux pas, à mon âge, jouer cette partie-là ; le rôle me convient et me tente, mais il y a trop à dire, trop de sentiments émus ; avec ma maladie de cœur je n’y résisterais pas.

Et la voilà racontant ses émotions quand elle créait une chanson.

— C’est que, voyez-vous, moi, je suis une traqueuse ; chaque fois que j’aborde le public, j’ai peur littéralement ; ça passe vite, mais le premier moment est dur tout de même.

— Pourtant, vous reparaissez bien lundi prochain devant le public ?

— Oui, mais pour une fois, une seule, une coquetterie… Et puis ça causait tant de plaisir à ma filleule, que j’aime comme ma fille. Cette pauvre enfant dirige, avec son mari, un cabaret où on chante, là-bas, rue Buffaut. « Tu devrais bien paraître sur notre petite scène, m’a-t-elle dit l’autre jour. Tu reprendrais quelques-uns de tes refrains, et pour nous ce serait le succès. » Je n’ai plus de voix, je ne chante plus, mais je puis dire une de mes vieilles romances, la dire avec tout mon cœur, cette grosse bête de cœur-là. Et je ne sais pas si je me trompe, mais je crois que je pleurerai et que les spectateurs aussi iront de leur larme.

— C’est M. Sarcey qui vous présentera !

— Ah ! ce bon Sarcey, je suis allée le trouver l’autre matin et lui demander à déjeuner. Puis, au dessert, je lui ai fait comme ça : « Dites donc, l’oncle, puisque maintenant tout le monde vous appelle ainsi, vous devriez bien me faire un bout de conférence à la “Guinguette fleurie” pour ma dernière sortie. — Ça te fait plaisir, ma brave Thérésa, m’a répondu Sarcey. Eh bien, ça va. » Et l’oncle vient parler pour m’être agréable, ce sera mon seul bénéfice. Vous jugez si ma filleule est contente. Et moi donc !

— Et après vous ne chanterez plus ?

— Plus jamais, n i ni fini, c’est ma dernière fugue.

— Il ne faut jamais dire : « Fontaine… »

— Oh ! je le dis, moi, je me retire dans ma ferme, près de Neufchâtel, dans la Sarthe, pour soigner mes lapins et mes poules. La campagne ! C’est là où l’on entend la grande chanson de la nature que nul de nous n’a jamais imitée.

On sonne.

C’est une chanteuse de café-concert, qui voudrait reprendre une partie des chansons de Thérésa ; elle vient lui demander conseil.

— Mets-toi là, au piano, ordonne l’ancienne étoile à la nouvelle arrivée avec une brusquerie aimable, et chante, voyons, n’aie pas peur, que diable !

Cependant qu’a lieu cette répétition on éprouve le sentiment d’avoir vu une femme de beaucoup de cœur et qui a été une des personnalités originales de ce temps, comme disait Veuillot…

Mais, au fait, relisez Veuillot ; vous aurez le portrait de la Thérésa d’il y a trente ans, alors que tout Paris l’applaudissait, et ce portrait est buriné par une plume de maître.