Notes et impressions d’une parisienne/09


Une Visite
aux Bijoux de Madame Carnot


2 décembre 1898.


Une large affiche, à l’entrée de la galerie George Petit, accroche l’attention du passant, qui s’arrête, lit rapidement et s’engage dans le long vestibule de la maison, que des expositions permanentes de tableaux, de grès et d’étains rendent si artistique.

Dans la grande salle du premier, tendue de velours rouge, tout un essaim de jeunes femmes papote à demi-voix ; c’est un babillage doux et charmant ; des messieurs parlent dans un coin avec assez d’animation.

— Je vous dis qu’ils sont magnifiques.

— Oui, oui…

— Ne faites pas le malin, c’est une superbe parure.

Ce sont les diamants de Mme Carnot, dont la vente aura lieu samedi, qui attirent ainsi les amateurs et les curieux.

Devant la petite vitrine, perdue à demi dans cette immense salle, défilent les uns après les autres tous ces visiteurs.

Sur un coussin de velours rubis étincellent les gemmes : les boucles d’oreilles très grosses, très belles, et le collier à double rang composé de trente brillants qui s’irisent et chatoyent sous la lumière crue des lampes électriques.

La procession continue. Voici venir maintenant quelques marchandes à la toilette, qui, d’un œil circonspect, une loupe à la main, se mettent à examiner les bijoux.

Elles sont très drôles, ces brocanteuses en pierreries qui se lancent entre elles de mauvais regards, essayant de se dégoûter les unes les autres d’un achat possible.

— Vous savez, dit une de ces bonnes dames à l’oreille de sa voisine avec un petit ton confidentiel pour la forme, vous savez, ils ne sont pas tous parfaits : il y en a deux de tachés dans le collier.

Et la voisine de répéter au plus tôt aux confrères :

— Pas si beaux que cela, tous ces diamants : il y en a trois dont la limpidité…

Ce petit manège est vraiment amusant pour l’observateur de loisir.

Amusante aussi vers cinq heures, l’entrée en coup de vent de jeunes trottins montés entre deux courses admirer les diamants d’une ancienne présidente de la République.

— C’est chic tout de même, hein, Mathilde ! s’écrie la plus délurée, une brunette jolie comme un cœur.

— Pour sûr, et dire que la grande Jeanne, celle qui était encore à l’atelier avec nous l’an passé, s’est fait offrir une parure presque aussi riche que celle-là.

Un soupir, puis cette conclusion :

— Ah ! il y a des veinardes qui ont trop de chance tout de même !

Corrects et graves, se présentent ensuite les grands joailliers, silhouettes que l’on a souvent remarquées à la bourse des diamants, qui se tient le matin, à un certain café de la rue Châteaudun, et où il n’est pas rare d’entrevoir sur une table de marbre, entre un bock et une verte, une poignée de bijoux étalés, qui représentent la valeur. d’une petite fortune de braves gens.

Lentement, minutieusement, ils inspectent, avec des hochements de tête, puis repartent sans avoir proféré une appréciation ni trahi la moindre de leurs impressions.

De quart d’heure en quart d’heure le public se renouvelle et repasse devant la petite vitrine ouatée de velours rubis, perdue dans la grande salle, et où miroite, dans un braisillement aux multiples couleurs, la parure de fête de la femme de bien que fut Mme Carnot.