Notes et impressions d’une parisienne/08


Les Diamants
de la Troisième République


1er décembre 1898.


On va vendre les diamants de Mme Carnot, et le produit s’ajoutera aux onze mille francs de rente que la femme de l’ancien président de la République a assurés à l’œuvre de bienfaisance qu’elle a fondée à la suite de l’assassinat du malheureux président.

Une femme du monde avait eu l’idée de mettre ces riches joyaux en loterie ; le projet était bien féminin et il était pratique par-dessus le marché ; à 1 franc le billet, on aurait obtenu 1 million pour le moins.

Quoi qu’il en soit, on va vendre les parures de l’une des six présidentes que la France a vues passer à l’Élysée depuis la troisième République.

La première, Mme Thiers, avait peu de diamants, quelques écrins de riche bourgeoise, mais sans grand éclat. Dans ce ménage rangé, où Mme Thiers, accompagnée de sa sœur, Mlle Dosne, faisait son marché elle-même, on n’avait pas voulu mettre trop d’argent en pierres dormantes. Pourtant, la présidente eut un jour l’occasion d’avoir une belle parure, et elle ne la laissa pas échapper ; les événements seuls ne lui permirent pas de voir son rêve réalisé.

Le shah de Perse allait venir à Paris, et on se préparait à recevoir le monarque oriental avec un luxe de mise en scène qui devait prouver que la France n’était ni épuisée ni ruinée. C’était le premier souverain qui nous rendait visite depuis nos désastres et on voulait grandement faire les choses.

Le shah, avant de quitter Téhéran, fit demander diplomatiquement quel cadeau serait heureuse de recevoir Mme Thiers, Nassar-Eddin désirant lui offrir un souvenir. Après un conciliabule, la femme du chef de l’État se prononça pour une rivière.

Tout fut ainsi arrêté ; le shah choisit, dans sa collection, des diamants qui, de l’avis de tous, étaient des merveilles de limpidité et de grosseur. Mais, quand Nassar-Eddin arriva à Paris, M. Thiers était remplacé par le maréchal Mac-Mahon, et c’est à la maréchale que le souverain offrit la somptueuse rivière destinée à Mme Thiers.

Mme de Mac-Mahon portait ces diamants royaux à toutes les réceptions, et elle les a donnés à sa bru, la jeune duchesse de Chartres, quand elle a épousé le commandant Mac-Mahon.

Mme Grévy possédait relativement peu de bijoux : une paire de solitaires ordinaires, une rivière médiocre et quelques bagues de bourgeoise cossue. C’était tout.

Quand M. Carnot fut nommé président et qu’il voulut donner ses premières soirées, il désira acheter les bijoux qu’on va vendre demain ; Mme Carnot trouvait bien que c’était un peu cher pour leur fortune, qui, sans être modeste, ne comportait pas une pareille dépense, mais, désireux de représenter avec convenance, les deux époux, d’un commun accord, firent le sacrifice, et Mme Carnot, aux soirées officielles, porta la belle rivière et le diadème dont les pauvres vont bénéficier.

Mme Casimir-Périer possède les plus jolis diamants des six femmes de président. Ce sont des bijoux de famille extrêmement riches et artistiques, mais nous avons eu à peine le temps de les apercevoir ; la démission de son mari les a fait tôt rentrer dans leurs écrins.

Quant aux parures de Mme Félix Faure, on me permettra de n’en pas parler ; tout le monde les a vues aux soirées de gala ; c’est très sortable pour une bourgeoise qui n’a pas toujours connu la fortune, mais ce n’est que cela.

Ils n’ont pas la royale beauté de ceux offerts par le shah à Mme de Mac-Mahon, ni l’air de famille de ceux de Mme Grévy ; ils n’ont pas non plus l’éclat et la richesse de ceux de Mme Carnot ; on ne saurait encore moins les comparer aux bijoux de grande allure et d’ancienne date de Mme Casimir-Périer.

Mme Félix Faure possède des diamants dont les femmes de fonctionnaires disent : « C’est beau ! » mais que les princesses apprécient avec une moue au coin des lèvres.

— Ce sont des diamants de femme d’un président de chambre de commerce qui a le sac, disait un jour une de ces grandes-duchesses que M. Félix Faure recherche et qui juge ses façons pleines de désinvolture pour ne pas dire plus.

Interrogez là-dessus la grande-duchesse Wladimir.