Notes d’un voyage en Abyssinie
NOTES D’UN VOYAGE EN ABYSSINIE.
M. Guillaume Lejean, envoyé, en 1862, à Massaoua (île de la mer Rouge) par le gouvernement français, partit de Khartoum en septembre, remonta le fleuve Bleu jusqu’à Messalémie, se dirigea, à dos de chameau, vers Oued-Medinéh, et atteignit Sennar : il releva le plan de cette station, qui n’est qu’un amas de ruines. De là, il alla visiter les antiquités du mont Sagadi, à sept heures environ à l’ouest de Sennar : ces prétendues sculptures ne lui parurent être que des formes bizarres de roches. Il partit ensuite pour Karkodji, en face de Serou et d’un long marais à l’ouest du Nil, où il fut saisi d’un accès de fièvre. Il s’avança vers l’est et coupa les deux îles formées par le Nil-Bleu, le Dender et le Rahad. — De Rahad (14 novembre), M. Guillaume Lejean se dirigea presqu’à l’est vers Gallabat, étudia le massif de Ras-el-Fil, composé de trois chaînes parallèles à l’Albara, séjourna à Metamna, d’où il se rendit à Vohin, à Tchelga, résidence du belembras (chef des quatre forteresses) Guelmo, sorte de margrave abyssin. Enfin, il arriva vers la fin de janvier à Devra-Tabor. C’est de là qu’il nous a adressé les pages suivantes :
… L’une de mes premières excursions autour de Debra-Tabor fut pour cette fafatié ou cascade du Reb que l’on m’avait fort vantée. Je montai un beau matin à mule, et, tirant au sud-est, je laissai à gauche la grande et fertile plaine de Galat avec son torrent desséché, dont une traînée de beaux mimosas marque le lit, et le large mamelon de Chibehango avec ses ruines d’habitations et ses buissons d’acanthes. Je passai au pied d’une ligne de hauteurs, la plupart bien boisées, et je franchis avec quelque difficulté le torrent de Davezout. Une demi-heure plus tard, je tournais autour d’une haute colline, en suivant un sentier étroit, mais très-praticable, ombragé d’une épaisse végétation, et qui débouchait dans un petit vallon découvert, à pente douce et cultivé, où le Reb coule doucement sur un lit de rochers d’un bleu sombre. La cascade était à cinq pas de moi : je ne la voyais pas, mais une coupe effroyable dans le plateau et un mugissement sonore me l’annonçaient assez. Pour le voir de face, il fallait descendre dans cette faille à peu près à pic par un sentier en zigzag pratiqué au flanc de la roche, dans l’épaisseur d’une forêt vierge, où abondent les singes. Après trois minutes de descente, je m’arrêtai un instant pour boire à une source qui suinte abondamment du rocher dans la situation la plus pittoresque : trois canaux grossiers, en bois, plantés dans les fentes de la pierre, recueillent l’eau et annoncent que la source est assez fréquentée. J’appris qu’elle l’était surtout par les jeunes mariées des environs, qui viennent pieusement boire cette eau pour obtenir la fécondité.
Après m’être dépêtré de mon mieux des ronces et des lianes, j’arrivai au fond de la faille, en face d’un assez joli lac verdâtre, où tombait perpendiculairement une colonne d’eau d’environ quatre-vingts pieds de hauteur. Le lac, m’assura-t-on, est profond, et a des tournants qui rendent assez dangereuse toute tentative de natation. Après s’y être un instant reposé, le Reb en sort et conserve, sur une longueur d’au moins trois lieues, sa muraille basaltique de droite et de gauche. J’affirme hardiment qu’un paysagiste peut trouver, sur ce court espace de dix milles, au moins soixante vues admirables et variées.
3 janvier. — Le Reb, qui est à sec une partie de l’année, roulait une eau indigente sous les arches indestructibles du pont portugais bâti, nous dit-on, par ordre du roi Fasilides, pour mettre en relation Devra-Tabor et Gondar à l’époque des hautes eaux. Je jetai un regard sur la partie supérieure de la vallée. Ma vue embrassait la superbe chaîne qui, sous le nom de Libo, court des bords du lac jusque près d’Ibenat, dans une direction est, légèrement inclinée au sud. Derrière ses pics aigus et ses escarpements aux flancs inaccessibles, s’étend la Voina-Dega, plateau tempéré, comme son nom l’indique ; à l’est, elle descend en une pente plus douce vers le col à larges ondulations où passe la route d’Ibenat, et, à l’est de ce col, se relève brusquement en masses encore plus tourmentées, fouillées de plus de cent cinquante ravines, qu’on appelle Melza.
Ce dernier s’arrondit à son tour en une croupe qui porte des villages populeux et des églises renommées, et se rattache, par une légère dépression, au sud-est, à une masse de montagnes sédimentaires d’où sortent plusieurs belles rivières, délices des amateurs de beaux paysages : l’Amous-Oanze, le Makar, le Reb, le Gologué et la romantique famille des cinq Goumara. C’est le Gouna, que je ne pouvais voir en ce moment. Ainsi le Reb, plus bruyant qu’illustre, renferme son bassin capricieux dans cette ceinture de merveilles sauvages ; le Libo, une table, du moins tel qu’il m’apparut ; Melza, Gouna, deux mers solidifiées, et Devra-Tabor, sorte de géant sournois qui semble bouder les élégantes sierras ses voisines.
25 janvier. — On m’avait averti que le négus, que je n’avais jamais vu, devait venir ce jour-là à Gafat, et à tout hasard j’avais passé mon uniforme. Vers les dix heures, le missionnaire W… vint chez moi tout essoufflé, et me dit : « Voici Sa Majesté qui arrive ! » Je sortis avec lui et me trouvai face a face avec un cortége tumultueux de grands officiers portant le marghef (tunique brodée) des grands jours. Au milieu d’eux, il y avait une sorte de paysan de bonne mine, tête et pieds nus, vêtu d’une chama (toge) de soldat qui n’était pas de la première blancheur, un sabre de cavalerie à la ceinture, et à la main une lance dont il s’appuyait en marchant. Un homme familier avec les usages abyssins eût reconnu à l’instant le rang du personnage à un simple détail : il était le seul des assistants qui eût les deux épaules couvertes de la toge. Cet homme, plus que simplement vêtu, était Théodore II, roi des rois d’Éthiopie.
En me voyant, il m’adressa, d’un air de bonne humeur, le salut abyssin : Na deratcho (comment avez-vous dormi) ? L’étiquette ordonne de ne pas répondre et de saluer profondément. Maderckal, (ce jeune Abyssin que M. Lefèvre avait amené en France vers 1843, et qui y a fait son éducation) courait à reculons devant le nègre, en faisant une cabriole à chaque mot de Sa Majesté, et me traduisait les gracieusetés royales. Théodore II s’arrêta dans un petit clos où l’on avait apporté pour lui un tapis sur lequel il me pria de prendre place, à sa droite, avec le petit Émile B…, fils d’un armurier français à son service, entre nous deux. Ce singulier homme, dont la vie est si sanglante, paraît aimer beaucoup les enfants et a pour eux des attentions de grand’mère.
L’objet principal de la séance était d’essayer un obusier que les missionnaires bâlois lui avaient fabriqué. L’engin fut chargé, et M. B…, preacher fort honorable et fort aimable homme autant que mauvais artilleur, ôta sa chama, s’établit confortablement sur le sol, à deux pas en arrière de l’obusier et y mit le feu. Obusier et affût, comme une chose fantasque, se cabrèrent et faillirent se renverser sur le tireur : l’obus partit où il lui plut ; si le nègre fut émerveillé de l’essai, il ne le laissa guère voir.
Après quelques mots de courtoisie, il me demanda fort obligeamment quand il me plairait d’être officiellement reçu. Je répondis, bien entendu, que j’étais entièrement à la disposition de Sa Majesté. Le négus alors me fixa le lendemain pour me recevoir à Debra-Tabor avec les honneurs dus au pays que je représentais près de lui, et leva la séance. Telle fut ma première entrevue avec le « roi des rois. »
Théodore II est un homme d’environ quarante-six ans (nul ne sait au juste son âge, à commencer sans doute par lui-même), de taille moyenne pour un Abyssin, et bien prise, de figure ouverte et sympathique. Son teint est à peu près noir, son front développé, ses yeux petits et vifs : le nez et le menton rappellent le type juif et lui servent à appuyer ses prétentions de descendre de David et de Salomon : prétention fort gratuite, car la généalogie impériale dont il s’enorgueillit n’a été trouvée, par les poëtes et les docteurs abyssins, que depuis qu’il est sur le trône. Comme il est né au Kouara, et Kouaranya au moins par son père, le prince dedjaz Hailo Ouelda Ghiorghis (et non dedjaz Konfou, qui n’était que son oncle), je le croirais Agan ou Kamante, car ces deux populations sont fort répandues dans ces parages. Il est vraiment trop noir pour un Éthiopien pur sang.
Son extérieur est imposant, et annonce ce qu’il est réellement, un homme doué d’une agilité et d’une vigueur infatigables, avantages dont il est assez fier. Un de ses malicieux passe-temps est de grimper ou de descendre d’un pas rapide, appuyé sur sa fidèle lance, un coteau un peu ardu, et d’obliger ainsi ceux qui l’entourent à le suivre du même pas, également à pied : c’est l’étiquette. Il n’y a pas moyen de rester en arrière, on serait foulé aux pieds de la cavalerie la plus affreusement pittoresque qu’on puisse voir. Il m’a joué ce tour quelquefois, et une fois surtout dans l’Ibaba, j’en suis resté fourbu une grande heure, ma poitrine sifflant comme un soufflet de forge ; mais je me serais laissé crever sur place plutôt que de lui donner lieu de me croire moins infatigable que lui. À cheval, il ne se connaît plus : ce n’est plus un roi, mais un gaucho enivré d’air et de mouvement ; aussi on a vu ses chevaux trembler (à la lettre) quand il les approchait, en prévision du rude quart d’heure qu’ils allaient passer. Il a, comme tous les chefs abyssins, un cri de guerre qu’il pousse en chargeant : c’est Abba Senghia ! (père des chevaux).
Sa mise ordinaire est d’un négligé tel, qu’on pourrait le croire affecté ; mais c’est simplement le dédain d’un soldat pour la superfluité du costume. Il est habituellement mis comme le plus simple officier, la tête et les pieds nus ; il a la coiffure caractéristique des guerriers renommés, les cheveux tressés et formant trois grosses touffes sur le front et les côtés de la tête, et retombant gracieusement sur les épaules. Parfois un bandeau blanc, comme les rois homériques « pasteurs de peuples. » À mule, il porte habituellement sa lance horizontalement sur le cou, à deux mains, comme les coureurs arabes portent leur bâton.
Voilà l’homme physique. L’homme moral est bien moins aisé à connaître, et j’avoue que je ne le tiens pas encore. C’est une sorte de paysan rusé, sans scrupules, orgueilleux, très-dévot jadis, aujourd’hui une sorte d’athée mystique, et ayant un culte servile pour la mémoire de David, son douteux ancêtre, qu’il n’imite malheureusement qu’en deux choses : les massacres et Bethsabée. De Bethsabées il a six ou sept, et comme il sait fort bien qu’on en jase, il feint des retours à la vertu devant sa cour assemblée aux grands jours de fête et de pénitence.
« N’est-ce pas, ô mes enfants, que je suis un grand pécheur, un pilier de scandale dans toute’Éthiopie ? » Silence général : il serait peu prudent de faire la réponse du gendarme Pandore. « Ah ! je n’ai pas toujours été ainsi ; mais que voulez-vous ? je crois que le démon a triomphé de moi. Mais il faut que je m’amende… »
Et il s’amende en prenant une nouvelle dame et en gardant les anciennes.
Ce qui peut le justifier un peu, c’est le caractère de sa lemme légitime, la belle iteghi (impératrice) Toronèche (pureté), fille du fameux Oubié. On la représente un peu comme une de nos anciennes reines, Anne de Bretagne : petite, charmante, spirituelle, instruite, dévote, orgueilleuse, opiniâtre et vindicative. Il l’a beaucoup aimée un an ou deux, un peu par passion réelle, beaucoup par orgueil d’avoir une femme de si grande maison et si admirée ; puis un jour ils se sont brouillés pour une bagatelle où le négus, de l’aveu de tout le monde, avait tort, et sont restés ennemis. Comme au fond il l’aime toujours, je crois, il va de temps à autre la voir et passe une heure à s’entendre dire une foule de choses désagréables dont nul, en Afrique, ne lui dirait impunément la centième partie ; après quoi il s’en va, justifié à ses propres yeux par l’impossibilité de vivre avec une femme pareille.
Le négus est ce que les Abyssins appellent Fakerer ; c’est une nuance de plus que théâtral. Avec son mépris affecté pour les lettres et les lettrés, il est lui-même le premier lettré d’Abyssinie, au dire des Amharas, qui citent ses lettres et proclamations comme les modèles classiques de la langue. Il est certain qu’à travers son pathos mystique et cromwellien, percent comme des fusées d’originalité puissante atteignant parfois aux sommets de la poésie. Voici des extraits d’une proclamation de lui aux Européens d’Abyssinie, il y a quelques mois :
« Au nom du Père, et du Fils et du Saint-Esprit, un seul Dieu. Le roi des rois, Théodore, créé par la Trinité, serviteur installé et fait prince par Elle, à ses enfants donnés par Dieu, tous les Francs. Par votre Dieu et le Dieu de votre ami Théodore, qui apparut à Moïse au Sinaï et sur la mer Rouge, qui apparut à Josué à Jéricho, qui oignit du signe de Samuel Saül qui cherchait ses ânesses perdues ; qui, lorsque Saül quitta le créateur, commanda à Samuel d’oindre David. Comme Salomon fut roi par David selon la parole du prophète et de son père, quoique Adonias, sans la volonté de Dieu, eût la faveur de la nation et fût proclamé roi par elle ; Salomon, de la reine d’Asib (le sud-est), engendra Menilek qui fut négus d’Éthiopie. De Menilek, à la dynastie des Gallas, tous les négus ont été des histrions qui ne demandaient à Dieu ni génie ni, avec son assistance, les moyens de relever l’empire. Quand Dieu me choisit, moi son serviteur, pour roi, mes compatriotes dirent : « Le fleuve est tari, il n’y a plus rien dans son lit. » Et ils m’insultèrent parce que ma mère était pauvre, et m’appelèrent fils de mendiant. Mais la grandeur de mon père, les Turcs la connaissent, eux qu’il a rendus tributaires jusqu’aux frontières d’Égypte, aux portes de leurs villes. Mon père et ma mère descendent de David et de Salomon, et ils sont même de la liguée d’Abraham, serviteur de Dieu, mon père et ma mère ! Maintenant, ceux qui m’insultaient du nom de fils de mendiant, mendient eux-mêmes leur pain de tous les jours…
« Sans la volonté de Dieu, ni force ni sagesse ne sauvent de la ruine. Cependant, comme Dieu dit à Adam : « Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front, » il faut se tenir éloigné de l’abrutissement (de la paresse qui abrutit). Mais je n’ai pas besoin de vous donner ces conseils, car le proverbe dit : Ne recommande pas la sagesse à un sage et ne coupe pas la viande à un lion…
« Bien des puissants dans le monde ont eu abondance de bombes et de canons, et ils ont succombé. Napoléon en avait des milliers, et il est mort vaincu. Nicolas, négus des Moscovites, en avait en foule, et il a été vaincu par les Français et les Turcs, et il est mort sans avoir rempli le désir de son cœur…
« Si vous rencontrez dans vos contrées quelque partisan de Negousié le brigand, qui vient de dire comme les lettrés de ce pays-ci, que l’Éthiopie est gouvernée par le fils d’un mendiant, pariez avec lui une plaine couverte d’or, que moi, l’empereur présent, je suis sur le trône de mes pères, d’Abraham à David et de David à Fasil, et amenez-le ici qu’il soit confronté avec moi. C’est Dieu qui abaisse les puissants et relève les humbles. »
Cette lettre, qui ne paraît ici qu’étrange, est, dans l’original, un chef-d’œuvre de style-Tibère, plein de petits mots obliques, d’allusions sournoises, de protestations contre tout le monde et contre l’opinion publique, d’un immense orgueil sous une humilité feinte. Théodore II est là tout entier. Si je publie quelque jour cette lettre in extenso, je la ferai suivre d’un commentaire.
J’ai reçu aussi quelques lettres du négus, mais ce ne sont que des lettres sèches d’affaires ou de petits billets amicaux comme celui-ci :
« Au nom du Père, etc. Au consul français, le roi des rois, Théodore, envoie ce message. Comment avez-vous passé le temps ? Moi, Dieu soit béni ! je me porte bien. »
Madame, il fait grand froid et j’ai tué six loups.
Moi, le roi.
Mes gens méritent une revue. Ma maison particulière, c’est une réduction fidèle et variée du peuple abyssin.
Ettihoune (c’est-à-dire, ma sœur me reste), une vingtaine d’années, type abyssin pur, c’est-à-dire petite, bien faite, figure ronde comme une pleine lune et pourtant osseuse, teint de cuivre rouge, beaux cheveux dont elle prend un soin exagéré. Signalement moral : rusée, coquette, belle parleuse et posant volontiers pour la mélancolie.
Atamenio (je te désire vivement), cinq ans de moins, teint beaucoup plus foncé, visage allongé : la partie inférieure légèrement portée en avant et jointe à de fort belles dents, lui donne un air un peu féroce qui jure avec la placidité de son caractère.
Il ne faut pas s’étonner des noms un peu étranges que j’ai cités : ils tiennent à une habitude superstitieuse dominante en Abyssinie. Les Éthiopiens sont persuadés que si le Bouda (le malin esprit) qui rôde autour de nous — leo rugiens — entend prononcer le vrai nom de baptême d’un chrétien, il entre aussitôt en lui ; on donne donc le nom de baptême dans le plus grand secret possible ; mais dans l’usage ordinaire on y substitue le premier mot de gratitude ou d’affection échappé à la mère, et cela même pour les garçons. J’en ai ici, sous les yeux, un exemple curieux dans Addalò, la très-jolie sœur d’Atamenio. Il paraît que les mauvaises langues du village avaient, lors de sa naissance, recherché injurieusement sa paternité ; aussi le premier mot de la mère, en prenant dans ses bras l’enfant nouveau-né, fut : Addalô (ce n’est pas à lui, c’est-à-dire à mon prétendu complice). Le nom lui en est resté.
Parmi d’autres noms de femmes, j’ai entendu les suivants : Melkamia (beauté), Poronèche (pureté), Beledèche (la préférée), ce qui, par parenthèse, n’est pas aimable pour la sœur qui ne s’appelle pas Beledèche ; Ouarkenèche (précieuse comme l’or ; c’est plus souvent un nom d’homme). Le second de ces noms est aussi fréquent que la vertu qu’il rappelle l’est peu, en Abyssinie, s’entend.
Le 8 février au soir, l’empereur, qui partait pour le Godjam afin de soumettre le chef rebelle Tedla-Gualu, me fit donner l’option de retourner à Gafat ou à Foudar, ou de le suivre. Je tenais beaucoup, dans l’intérêt de ma mission, à rester près de lui le plus longtemps possible, et ma réponse, qui n’était pas douteuse, lui fit grand plaisir. Il me fit dire : « N’ayez aucune crainte pour cette campagne : je serai un mur solide entre les dangers et vous. » Je répondis à ce compliment oriental par un équivalent, et le négus ajouta : « J’ai appris que votre mule est fatiguée, et nous marchons vite : je vous en donnerai une qui pourra me suivre partout. » En effet, le lendemain matin, au moment où l’on allait se mettre en marche, on m’amena une mule gris perle fort belle même pour une mule d’Abyssinie, c’est-à-dire supérieure à tout ce que nous avons en France. Je n’eus que le temps de faire seller et de prendre place derrière le négus : on partait.
Cette campagne que je raconterai plus tard en détail, ne fut pas heureuse. Le premier district ennemi qu’on rencontra fut Arafa : c’était plutôt un district neutre, qui, depuis cinq ans que durait la révolte, avait oublié de payer l’impôt. Ce qu’apprenant, Tedla-Gualu avait envoyé dire aux gens d’Arafa : « Vous ne voulez rien payer à ce brigand de Kassa (ancien nom du négus), et vous avez bien raison : or, puisque vous n’êtes pas pour lui, vous êtes pour moi : donc, payez-moi vos impôts. » Les paysans trouvèrent la prétention fort plaisante, et le firent comprendre : bref, ils restèrent cinq ans sans payer.
Le négus lança sur eux des masses de cavalerie qui se mirent à brûler les villages et s’éparpillèrent pour piller. Les paysans, profitant de cette ineptie et appuyés par un corps de deux cents cavaliers de Tedla-Gualu, tombèrent sur les pillards et en firent (14 février) une boucherie assez méritée. Il est difficile d’avoir sur le moment des renseignements certains en pareil cas, mais j’entendis parler de cent fusils pris par l’ennemi, ce qui, vu la rareté des fusils dans l’armée du négus, indiquait un échec sérieux.
Ce revers exaspéra Théodore II, d’autant plus que les paysans du mont Miran avaient refusé d’obéir aux réquisitions de fourrage, et au mont Sagado, son cheval favori manqua de foin. « Comment, dit-il, on m’appelle le roi des rois, et je n’ai pas un peu de paille pour mon cheval ? » Et il ordonna de saccager les villages du Miran. L’ordre fut rigoureusement exécuté. Les paysans entassèrent leurs bestiaux dans les églises, qui jusque-là avaient toujours servi de lieux d’asile dans les guerres civiles d’Abyssinie : mais les soldats ne respectèrent rien cette fois. Un pillard eut le bras traversé d’un coup de lance par un paysan qui s’était placé à l’entrée d’une église et se donnait pour un gardien nommé par le négus. On amena le paysan à l’empereur qui lui dit : « Ne sais-tu pas que c’est un crime de mentir ? Qui t’a nommé gardien de cette église ? » Et il lui fit couper la main et le pied.
Le Miran et l’Arafa continuèrent à brûler plusieurs jours comme deux fournaises. Une nuit, je sortis de ma tente par un doux clair de lune pour jouir du coup d’œil qu’on embrassait des flancs du Sagado, et passant à côté d’un feu autour duquel riaient et babillaient mes deux serviteurs, je regardai tour à tour le coteau au-dessous de moi, illuminé par des centaines de feux, et les lignes sévères du Mizan, où couraient de longs serpents de flamme. Ces flammes étaient, les unes celles des incendies, les autres celles des brûlis du sâr, ces hautes graminées dont les pluies estivales couvrent les plaines d’Abyssinie, et que le paysan brûle pour cultiver ou préparer le sol à un vert tapis d’herbes nouvelles. C’était un spectacle grandiose et dont j’aurais joui davantage si j’avais pu oublier quelles populations en deuil erraient autour de ces abominables incendies.
Un dimanche matin (c’était, je crois, le 22 février), une troupe d’environ quatre-vingts paysans de tout âge et des deux sexes, hâves, maigres, couvrant à peine de quelques haillons des corps qui, on le voyait assez, étaient naturellement robustes et bien faits, vint implorer la pitié du négus. Les soldats leur avaient tout pris : ils ne réclamaient ni leurs vêtements ni leur bétail, mais un peu de pain. Leur aspect était déchirant, c’était celui que devaient présenter les paysans de l’Allemagne et de l’est de la France durant la guerre de Trente ans. Ils s’arrêtèrent au pied de la colline où le négus, entouré de quelques officiers et pelotonné jusqu’au nez dans sa chama, se réchauffait au soleil du matin. Un grand bel homme, d’une quarantaine d’années, un peu chauve, tête de Cincinnatus, et que je vois encore, prit la parole et fit un discours pathétique, débité d’un ton fort digne, sans jactance et sans servilité. Un petit homme à l’œil vif, d’une laideur spirituelle, était à sa gauche et semblait parfois lui servir de souffleur. À l’air dont les paysans s’en allèrent, je jugeai que la réponse avait été favorable.
Après quelques revers, Théodore II, plus démoralisé que battu, ordonna la retraite (17 février).
Nous repassâmes la Gounara et campâmes trois jours près Zetava, en face de Debra-Mai et dans la province de Mietcha.
Un messager qui revenait du nord m’apporta la fâcheuse nouvelle que le courrier que j’avais envoyé à Massaoua pour y prendre une correspondance et divers colis était resté vingt jours à Gondar. J’appris plus tard que ce bruit était faux : mais tout était croyable de la part de ce courrier, un debtera ou lettré abyssin, c’est-à-dire un mauvais drôle. Le plus sûr, dans cette circonstance, était de me rendre moi-même à Massaoua, d’y expédier les affaires consulaires les plus pressées et de revenir au plus vite.
Le 2 mars, je chargeai en conséquence le fidèle achate du négus, Zooudié, de lui demander pour moi la permission de faire ce voyage, craignant d’autant moins un refus que le 26 janvier l’empereur m’avait spontanément laissé l’option d’aller à Massaoua ou de rester encore quelque temps avec lui.
À midi, Zooudié vint m’annoncer que le négus désirait que je restasse jusqu’au retour d’un sieur B., ex-comptable de l’isthme de Suez, venu en Abyssinie pour y vendre des fusils, et dont Théodore s’était fait, moyennant 500 talaris, un envoyé d’occasion près de l’empereur des Français. Ceci était contraire à mes devoirs consulaires autant qu’à la sécurité de ma correspondance officielle ou privée, car les environs d’Adoua étaient justement alors au pouvoir d’un rebelle nommé Kassa, qui coupait les routes et avait obligé M. Duncan Cameron, consul britannique, à prendre asile dans l’église d’Axum. Je renvoyai Zoodié avec invitation d’exposer tout cela au négus ; mais voyant qu’il ne revenait pas, je passai mon uniforme, et suivi de mes domestiques, j’allai vers la colline royale pour demander moi-même une audience.
Le négus me vit venir, et comme, selon l’étiquette, je m’étais arrêté à mi-côte, le chapeau sous le bras, il me fit demander ce que je voulais. Je répondis que je désirais parler à Sa Majesté elle-même. Il appela alors trois Européens qui parlaient amaringa (langue officielle de l’Abyssinie) et les envoya me demander de quoi je voulais l’entretenir. Je répondis : « Je désire demander à aller à Massaoua, qui est mon pûste, parce que j’apprends que les gens de Massaoua se plaignent de n’avoir pas encore vu un choum (fonctionnaire) qui est nommé depuis onze mois : en second lieu, je désire convoyer moi-même deux caisses de présents destinés à Sa Majesté par mon souverain, et qui doivent y être arrivées. Je voudrais partir immédiatement pour être de retour avant les pluies » (c’est-à-dire fin juin).
Pour comprendre l’incroyable scène qui suivit, il faut savoir trois choses : Théodore II, humilié par un sujet rebelle, venait d’apprendre que les Égyptiens (qu’il redoutait fort, ayant été honteusement battu par eux en 1848), avaient occupé sa province de Gallabat. À cette surexcitation s’en joignait une autre plus physique. Le négus a le cognac fort mauvais, et il n’est pas très-habile de l’aborder passé deux heures après midi. Or, ce jour-là, m’a-t-on dit, il était gris. En dernier lieu, il avait confié, en 1855, à un touriste russe de passage, une lettre pour « son frère de Russie, » où il lui proposait une coopération militaire qui leur permettrait de se partager le monde (ou seulement l’Orient, je ne sais pas-bien lequel). Le czar avait, comme bien on le pense, jeté au panier cette lettre extravagante, si toutefois il l’a jamais reçue : et il paraît que le négus, craignant un pareil accueil de Napoléon III, voulait au besoin se réserver un otage.
Quoi qu’il en soit, à peine les trois interprètes eurent ils parlé, que Théodore, au paroxysme de la colère :
« Je le retiendrai à tout prix ! Qu’on le prenne, qu’on le mette aux fers, et s’il cherche à fuir, qu’on le rattrape et qu’on le tue ! »
Le ras (colonel) à qui il s’adressait passa derrière la colline pour requérir un demi-bataillon qui y stationnait.
« Qu’est-cela ? dit le négus. Cinq cents hommes pour en arrêter un ?
— Que Votre Majesté remarque, dit le ras tremblant, qu’il a sous le bras quelque chose de très-brillant (c’était mon chapeau dont le galon d’or brillait vivement au soleil couchant), et que c’est peut-être une machine formidable qui peut nous tuer tous.
— Donkoro (idiot), ne diras-tu pas bientôt qu’il peut vous tuer avec ses sourcils ? Six hommes et qu’on le prenne ! »
Les hommes commandés, accompagnés des trois Européens, vinrent à moi, qui étais fort éloigné et à mille lieues de ce qui s’était passé.
J’entendis sans défiance les Abyssins murmurer entre eux : talandja alle (a-t-il des pistolets) ?
Pendant que les interprètes me balbutiaient quelques mots que je ne pus comprendre, les autres passèrent sournoisement derrière moi, et l’un d’eux me jetant les bras autour de la poitrine, me serra si violemment, que je pouvais à peine respirer : deux autres m’ôtèrent mon chapeau et mon épée, et deux autres enfin me saisirent les poignets.
Plus irrité qu’alarmé, je demandai vivement à l’orateur européen, M. Kienzlen : « Qu’est-ce ceci ? » Il tremblait comme la feuille et me répondit au hasard en anglais : Ok ! never mind, M. Consul, never mind (n’y faites pas attention).
Je fus aussitôt entraîné violemment derrière la colline : mon kavas nubien également garroté, venait derrière moi. On me fit arrêter à trente pas de la tente royale et asseoir sur une grosse pierre.
Je n’avais rien compris à ces brutalités ; mais j’y vis plus clair quand on apporta une lourde chaîne, terminée par deux grossières menottes, et qu’un officier de marque, comme on le voyait à son marghef, m’en fit passer une au poignet droit, et, armé d’une grosse pierre, se mit en devoir de me la river. Je ne sais si aucun de mes lecteurs connaît cette sensation, plus morale encore que physique, d’avoir eu les fers rivés au poignet, et d’avoir ressenti chacun de ces coups de marteau dans ses oreilles et dans sa chair à la fois. C’est au cerveau surtout que ces coups secs et métalliques retentissent comme des coups de tonnerre : je ne connais rien de plus irritant et de plus douloureux. Ma surexcitation, d’abord violente, fit subitement place à un calme singulier. Je n’étais guère en voie de réflexion, mais trois choses se dessinèrent vigoureusement dans le miroir de ma pensée : mon innocence, mon caractère officiel, l’honneur de la grande famille à laquelle j’appartenais parmi les nations. Je compris qu’ici, comme en bien d’autres cas, le rôle d’offensé était encore matériellement préférable à celui d’offenseur, et j’assistai avec sang-froid et une sorte de curiosité bizarre à tous les détails brutaux de l’opération. La chose faite, on attacha à l’autre bout de la chaîne un pauvre diable chargé de répondre sur sa tête que je ne m’évaderais pas, et je fus ramené, toujours EN GRAND UNIFORME, à ma tente qu’on avait dressée à quinze pas de là, et qui fut aussitôt entourée de gardiens armés, pendant qu’une douzaine d’autres s’installaient à l’intérieur.
Le lecteur me fera grâce de mes vingt-cinq heures de fers. On comprendra, sans que je l’exprime, la situation ridicule et pénible que me faisait, à chaque instant, la présence de mon compagnon de fers. Le lendemain matin, il obtint du chef de mes gardiens, qui n’était pas un méchant homme, un congé de deux heures qui m’apporta un grand soulagement, suivi d’un autre encore plus sensible. J’avais payé cruellement une particularité dont je n’ai jamais été fier, la petitesse de ma main. Pour être bien sûr, après divers essais, qu’elle ne passerait pas à travers la menotte, l’homme à la chaîne avait trouvé prudent de la river si serré que la pointe du fer m’entrait à chaque mouvement dans les chairs du poignet. Mon aimable geôlier, ce voyant, s’empressa de la faire desserrer de quelques millimètres, et ma situation devint supportable. Mon fidèle Ahmed, quoique ferré comme moi, mettait d’ailleurs le plus grand dévouement à me rendre tous les bons offices possibles.
Ce qui m’était le plus pénible, c”était l’abandon absolu où me laissaient mes serviteurs et les trois Européens du camp. Pour ces derniers, je savais sous quelle terreur ils vivaient : quant à mes serviteurs, je sus la vérité plus tard. Mon drogman Abba Hailo, sorte d’ecclésiastique, qui avait fait trois ans de fers pour sa religion ou pour autre chose, et que je gardais un peu par pitié pour ce qu’il avait souffert, avait menacé mes serviteurs de la colère du roi s’ils restaient au service d’un suspect comme moi. Il agissait ainsi par servilité ou par méchanceté naturelle, car plus insigne coquin je n’ai vu onc en Abyssinie. Les pauvres gens, qui s’étaient d’abord sauvés au bois, n’avaient pas voulu le croire sur parole et étaient allés aux informations ; ils avaient appris que le négus n’avait jamais songé à eux, et s’étaient remis à leur besogne. Dès le premier soir, j’eus bon espoir en voyant la toile de ma tente se soulever et le fin museau d’Ettihoune passer entre les piquets, se glisser près d’Ahmed et commencer à cuisiner comme si de rien n’était. Puis la bonne tête d’Atamenio apparut à son tour, me regardant avec de grands yeux compatissants qui me donnaient les plus grandes envies de rire, car je voyais bien que je ne serais pas pendu : puis vinrent les autres à leur tour. Je ne perdais pas cependant de vue le négus, et je comptais sur une de ces réactions communes chez les ivrognes. Vers le soir, je lui écrivis en anglais un mot poli, mais sec, où je lui demandais un instant d’explication. Mon geôlier se chargea de le lui faire passer, et tint si bien parole, que le 3 mars, vers cinq heures et demie du soir, je vis arriver à ma tente le bataillon européen marchant comme à un enterrement, ou
comme un recteur suivi des quatre facultés.
Ils étaient chargés par le négus de me dire que je serais libre si je voulais lui promettre mon amitié d’abord, puis de rester sur parole à Gafat jusqu’au retour de son agent. J’hésitais et je voulais parlementer : mais Kienzlen me dit rapidement : Promise, promise, monsieur Consul,’tis better to be free amongst us than bound. C’était incontestable. Je donnai la parole demandée et je fus libre. Je suivis ces messieurs à leurs tentes : ils me témoignèrent une sympathie dont je fus très-touché. Kienzlen me dit en riant : « Eh bien, monsieur le consul, vous êtes le second Français mis aux fers en Abyssinie[2] ! »
Je répondis d’un ton indifférent : « J’espère bien être le dernier. »
Le 4 mars, le négus, sachant que les autres Européens et moi avions un vif désir de faire l’ascension d’un pic isolé, à une heure du camp, et appelé Aouala-Négus (le roi des Vampires), chargea spontanément un de ses officiers de nous y conduire. C’est un lieu redouté des superstitieux Abyssins, qui croient que c’est la demeure du roi des Bouda, esprits malfaisants, dont je parlerai longuement plus tard, car à leur nom se rattache un des phénomènes pathologiques les plus curieux du monde.
L’ascension du dernier tiers du mont, masse basaltique fort ardue, fut très-pénible : mais nous fûmes bien dédommagés par l’admirable vue dont nous jouîmes. De la muraille sombre du Mizan, au sud, le regard embrassait toute la plaine de Mietcha et se perdait dans la nappe bleue du Tzaua, au nord, avec ses escarpements, ses îles, sa belle presqu’île de Zephié, connue par les meilleurs cafés de l’Abyssinie. Au milieu de coteaux d’un vert semé de bandes jaunes, le petit lac de Kourtabahar (le lac séparé du Tzana) brillait comme un saphir dans l’or. Debra-Mai montrait au nord ses massifs de genévriers, et à nos pieds la T’oul roulait son joli filet clair dans sa ravissante vallée qu’encadrent des murs de basalte.
L’Aouala-Négus est piriforme, le sommet surmontant le gros bout de la poire, et le bout effilé, tourné au nord, supporte une enceinte presque cyclopéenne en forme de D. Une enceinte non moins massive tourne à l’ouest, autour du mont, aux deux tiers de la hauteur. Un de nous suggéra que ce lieu pouvait avoir été une ancienne forteresse des Falachas, qui, passant parmi les Abyssins pour être possédés du Bouda, ont pu donner à l’Aouala-Négus sa terrible renommée. Cette conjecture est gratuite sans être improbable.
Ces lignes sont les dernières que nous ait adressées
M. Guillaume Lejean, et au moment où nous les imprimons[3],
nous ne connaissons personne qui, depuis
plus de six mois, ait reçu de lui aucune lettre. Quelques
journaux ont successivement annoncé que notre collaborateur
était une fois devenu le prisonnier du roi de Choa,
à la suite d’une bataille perdue par Théodore II, puis
qu’il avait été repris par ce dernier et traité avec plus
de loyauté, et récemment enfin qu’il avait été rendu à
la liberté. Mais ce sont là des assertions dont il est
impassible de constater l’exactitude. Nous ne sommes
donc pas encore délivré de toute inquiétude sur le sort
de M. G. Lejean.
- ↑ Voy. tome V, 1862, page 397, et tome VIII, 1863, page 199.
- ↑ Allusion au traitement subi par le voyageur Rochet d’Héricourt.
- ↑ 15 janvier 1864. — 18 janvier. Une lettre de M. Lejean arrive à l’instant. Il est en liberté.