Nostradamus (Bonnellier)/Tome 2/… Puis mourir, mort cruelle !

Abel Ledoux (2p. 269-276).


XVII.

… PUIS MOURIR, MORT CRUELLE !


Le 2 juin 1559, l’hôtel des Tournelles étoit en grande rumeur pour fêtes et réjouissances royales à l’occasion du mariage de Marguerite duchesse de Berry, sœur de Henri II, avec Emmanuel-Philibert, duc de Savoie, et d’Élisabeth de France, fille du roi, avec Philippe II, roi d’Espagne.

Le grand enclos de l’hôtel représentoit une magnifique arène, autour de laquelle s’élevoient des galeries étagées où toutes les dames de la cour, où la belle noblesse, faisoient briller leurs atours, richesses, parures et courtoisie ; et certes, c’étoit affaire à la Florentine, comme l’appeloient les malveillans, de dresser une cour au luxe, au charme des belles manières, et à la douce galanterie : car pour une impudeur semblable à celle qui força Louis-le-Débonnaire à chasser toutes les dames de son palais, jamais Catherine de Médicis ne l’eût tolérée.

Trois cents femmes, toutes plus belles et plus illustres les unes que les autres, caquetoient, papillonnoient, étinceloient autour de la femme de Henri II, la suivoient dans ses voyages, l’accompagnoient dans les fêtes et carrousels, et jamais elles ne suscitèrent d’autre bruit que celui de leur esprit, de leur élégance et de leur beauté ; laissant, vertueuses qu’elles étoient, à des femmes cependant moins exposées aux tentations, le triste avantage d’une célébrité en intrigues et en amour.

Donc, à l’occasion de ce double mariage dans la famille du roi, ce brillant essaim se trouva réuni sous l’estrade de la reine, offrant aux regards de la foule et des chevaliers courtisans l’aspect délicieux d’une corbeille de fraîches et riches fleurs.

Henri avoit voulu qu’avant l’instant des beaux coups de lance qui devoient faire la solennité des joutes, il y eût une répétition des combats et singularités dont la ville de Lyon lui avoit donné le spectacle au retour de son voyage en Savoie.

Ainsi, parurent dans l’arène douze gladiateurs, six desquels vêtus de satin cramoisi, les autres de satin blanc, costumes taillés à l’antique. Ils combattirent à armes différentes, la zagaie, l’épée à deux mains, l’épée et le poignard boulonnois, l’épée et le bouclier barcelonnois. Le simulacre de leur combat à outrance fut si dextrement et loyalement exécuté, les épées, les zagaies, les boucliers étoient brisés par tels coups et en tels éclats, que les regardans s’en émurent fortement, pensant que ces gens étoient des condamnés au dernier supplice ; et il n’y eut pour eux qu’un cri de grâce et de merci de tous les coins des galeries. Tout à coup, après avoir tour à tour enfoncé leurs rangs, après s’être éparpillés pendant cette lutte acharnée, ils se reformèrent sur deux rangs calmes et unis, et d’une marche noble et gracieuse vinrent saluer la reine, les illustres et nouvelles épouses, le roi, les princes et l’assistance. L’admiration étoit à son comble ; voyant le sol si cruellement élabouré par ces vaillans hommes, et tant d’armes en pièces, on avoit peine à croire que ce fussent les mêmes qui venoient de combattre.

Certes, il ne falloit rien moins que ce qui devoit suivre pour faire désirer autre chose que cet attrayant spectacle ; mais après qu’une musique bien harmonieuse, venue d’Italie par les soins de Catherine de Médicis, eut reposé les yeux, enchanté les oreilles et attendri les ames, on vit soudain paroître dans la lice, sur quatre grands et beaux chevaux, quatre cavaliers au plus fier maintien, à la plus chevaleresque apparence.

C’étoit Henri II, roi de France, portant les couleurs blanche et noire, à cause de la belle veuve qu’il servoit ;

C’étoit M. de Guise, aux couleurs blanche et incarnat ;

C’étoit M. de Ferrare, aux couleurs jaune et rouge ;

Et M. de Nemours, ceint d’une écharpe jaune et noire. — Jouissance et fermeté.

L’assemblée se leva, les cavaliers saluèrent, et tous quatre, les meilleurs hommes d’armes qu’on pût trouver en France, offrirent le combat à tous venans.

Aux approches de la nuit, la lice étant vide de combattans, toutes les carrières étant fournies, et les quatre héros vainqueurs de tous, — Henri II fit appel au comte de Montgommery. Soit respect, soit crainte d’ajouter par sa défaite une victoire à toutes les victoires du roi, soit pressentiment, le comte de Montgommery refusa. La reine fit dire à son époux de s’abstenir ; le vaniteux prince insista.

— Sire, dit à l’oreille du roi un page de Catherine, la reine m’envoie vous dire qu’à votre zénith vient de s’arrêter un nuage noir, ayant forme de tête de mort… regardez-le…

— Bien, répondit le roi, celui qui tombera de Montgommery ou de moi verra le nuage ; quant à la reine, va lui dire que cette dernière course est en son honneur… Montgommery, — cria-t-il très-haut, — la lance au poing, le roi le veut !

Le comte se mit en arrêt ; les trompettes sonnèrent… lorsque le nuage de poussière élevé par les chevaux fut un peu dissipé, on vit le roi renversé sur l’arène.

Le connétable, qui faisoit les fonctions de maréchal-de-camp du tournois, accourut et releva le prince.

— Qu’on m’emporte d’ici, — dit Henri II avec calme ; — puis, qu’on se hâte d’arracher de mon front ce bois de lance… il a crevé la cage d’or… Je pardonne à Montgommery… Nostredame me l’avoit dit !… Il s’évanouit.

Dix jours après François II régnoit.