Napoléon et la conquête du monde/II/44

H.-L. Delloye (p. 476-481).

CHAPITRE XLIV.

LE SACRE.



Deux circonstances avaient retardé le couronnement du monarque universel, fixé d’abord, comme nous l’avons dit, au 20 mars 1828 : à cette époque, tous les rois du monde n’étaient point encore arrivés ; quelques-uns, retenus par les vents contraires, avaient dépassé le temps limité par le roi des rois. Enfin, la cathédrale prodigieuse que l’empereur faisait construire à Paris sur les ruines de l’ancien Palais-de-Justice et de la place Dauphine n’était point encore terminée.

Nous dirons ici quelques mots de ce monument.

Ce fut le plus magnifique, le plus vaste édifice de l’univers ; Napoléon, partant pour l’expédition d’Asie, en avait posé la première pierre ; huit années de travaux sans relâche n’avaient pas suffi pour le terminer tout-à-fait, et quelques mois encore étaient indispensables pour son entier achèvement : c’était, disait-il, la cathédrale de l’univers. Elle était d’une étendue triple de celle de Saint-Pierre de Rome ; on sait son architecture originale, sublime, et n’étant imitée d’aucun autre monument de la terre ; de ses deux façades, l’une, la principale, se développe devant le Pont-Neuf, qui avait été entièrement reconstruit en granit et en marbre, et était devenu par sa magnificence et sa largeur le plus beau monument de son genre. Tout devint en harmonie dans les abords de l’église et du fleuve, et celui qui s’arrête sur ce pont ou sur la place en face de ce temple et des palais qui l’environnent a le plus grand spectacle qui se puisse avoir.

Les travaux furent poussés avec une activité nouvelle ; l’église fut entièrement terminée au mois de juin 1828. Le 2 juillet suivant, le pape Clément XV en fit, avec beaucoup de pompe, la dédicace sous l’invocation de saint Napoléon, qui devint le patron de la France et du monde.

Cependant tous les rois étaient arrivés à Paris ; et Napoléon, qui avait foi aux dates, choisit le 15 août 1828, jour anniversaire de sa naissance, pour la cérémonie de son sacre.

Les plus extraordinaires préparatifs eurent lieu.

L’église Saint-Napoléon, parée de toutes les richesses de la terre, étincelait d’or et de pierreries.

Un plancher avait été construit sur la Seine, du Pont-Neuf au Pont-des-Arts, il s’appuyait aussi sur les quais des deux rives. Le fleuve avait disparu dans cet espace ; cette place immense et improvisée se continuait jusqu’au portail de la nouvelle église, et était recouverte de velours bleu parsemé d’abeilles et de globes d’or, dans toute son étendue.

À midi les portes du Louvre, en face du pont des Arts, s’ouvrirent. Les tonnerres des canons et des cloches éclatèrent de toutes parts, et le cortége commença à sortir du palais.

Tous ceux qui en faisaient partie étaient à pied.

Il faudrait un livre entier pour redire quelle était cette foule si bien ordonnée de troupes, de peuples des quatre parties de la terre avec leurs costumes nationaux, de hérauts d’armes, de généraux, de magistrats, de princes souverains, de ministres, de grands dignitaires et de grands officiers de l’empire et de la monarchie universelle.

Après ce peuple des peuples, parut le corps des cent maréchaux de France.

Puis les quatre connétables de la monarchie.

Enfin venait Napoléon, à cheval, recouvert de pourpre et d’hermine, portant une épée à sa ceinture, et un globe dans ses mains.

Suivaient dans l’ordre le plus imposant, tous à pied et revêtus des ornements royaux :

Les rois du sang impérial ;

Les rois d’Europe ;

Les rois d’Asie ;

Les rois d’Afrique ;

Les rois d’Amérique ;

Les reines venaient ensuite et dans le même ordre.

Et après elles se voyait encore un autre peuple de princes et de grands, non moins nombreux que celui qui marchait en tête du cortége.

Arrivé sur le plancher construit sur le fleuve, le cortége se développa avec un ordre et une pompe magnifiques, et il se dirigea d’un pas solennel vers l’église.

Avant d’arriver aux portes, Napoléon descendit de cheval ; il fit quelques pas en avant, et le pape l’ayant reçu et harangué, il entra dans l’église.

Il y avait déjà un autre peuple dans cet immense édifice, et ses acclamations, jointes aux chants des prêtres et au tumulte de la musique et de l’artillerie, formaient une confusion et un bruit enivrant pour le cœur d’un maître.

Dans le fond de la cathédrale étaient rangés une longue suite de trônes ; un peu au-dessus d’eux s’en trouvait un où l’impératrice Joséphine avait déjà pris place avant l’arrivée du cortége, et plus haut encore était le trône réservé au monarque de la terre.

Tous prirent place et la cérémonie commença.

Le pape Clément XV, entouré des soixante cardinaux et d’un grand nombre d’archevêques et d’évêques, officia.

À un certain moment de cet office il se tourna vers Napoléon et il l’appela par son nom.

L’empereur descendit quelques marches, et, se trouvant ainsi de niveau avec les derniers degrés de l’autel, il s’avança vers le pape.

Alors S. S. Clément XV invoqua le Seigneur ; il répandit l’huile sacrée sur le front de Napoléon, et, ayant pris sur l’autel une couronne d’une forme particulière, il la présenta au monarque, et lui dit :

— « Dieu vous consacre par mes mains monarque universel de la terre. Que son nom soit adoré, que le vôtre soit glorifié ! »

Napoléon, qui avait fléchi le genou, se releva, saisit la couronne, et, se l’étant placée sur la tête, il remonta sur son trône, où il se tint assis.

Un cardinal vint lui présenter une autre couronne, que l’empereur posa sur le front de Joséphine.

Tous les rois vinrent ensuite au pied de son trône lui renouveler le serment de fidélité et de soumission, en leur nom et au nom de leurs peuples.

Les dernières cérémonies achevées, le cortége sortit de l’église, et, reprenant le même chemin, regagna le palais dans le même ordre et avec la même solennité.