Napoléon et la conquête du monde/II/43

H.-L. Delloye (p. 471-475).

CHAPITRE XLIII.

LETTRES ET BEAUX-ARTS.



La littérature et les beaux-arts s’élevaient à la hauteur de ces grandes choses ; les livres se multipliaient, toujours plus dignes des peuples et du monarque ; la poésie, l’histoire, la philosophie, la littérature dramatique, donnaient des chefs-d’œuvre et agissaient profondément sur des âmes de plus en plus capables de les sentir et de les comprendre.

La musique, cet art sublime, mystérieux, qui vient saisir l’âme sans passer par l’intelligence, qui est senti sans être compris, qui enivre et qu’on ne peut définir, la musique fit de sublimes progrès. Ce ne fut plus la sensation privilégiée des riches et des savants, mais la joie de tous ; elle était répandue partout, il semblait que l’air fût imprégné de ses voluptueuses exhalaisons. Des chants populaires universels se faisaient entendre sur toute la surface du globe, et il faut placer à leur tête celui nommé le Chant du monde, dont Rossini fit la musique et Lamartine la poésie ; hymne commençant ainsi :

Napoléon, tu vois la terre…

Une langue imaginaire, n’exprimant pas d’idées, mais si mélodieuse qu’elle berçait délicieusement les cœurs lorsqu’elle se faisait entendre, fut inventée pour la musique, et dans les nouveaux opéras, ainsi écrits, la pantomime, plus excitée, expliquait ce que la musique et ces paroles inexplicables ne pouvaient faire comprendre.

Les spectacles étaient également extraordinaires. Ils dépassèrent même les bornes de la civilisation ; des spectacles de gladiateurs s’étaient établis en Asie et dans le nord de l’Europe : l’empereur interdit cet horrible plaisir.

La pensée, devenue plus rapide, avait besoin d’instruments qui eussent de sa célérité ; la sténographie devint l’écriture commune, et des machines à touches, des pianos d’écriture, peignaient, avec la plus grande rapidité, la pensée à peine jaillie de l’âme.

Une science qu’on pourrait nommer les mathématiques de l’histoire, la statistique arriva au plus haut degré de perfection. Ses résultats se formulaient en lois, et, grâce à elles, la législation et la morale devinrent des sciences exactes. L’histoire elle-même reçut un immense développement que lui imprima l’action administrative.

Dans chaque commune, le conseil municipal et les maires furent chargés de recueillir toutes les traditions historiques, les faits singuliers, les circonstances physiques, les coutumes antiques et modernes, et les détails les plus étendus sur les mœurs, le langage, les patois, les fêtes, les chants, la littérature, les monuments, la biographie, les événements, les usages religieux, l’agriculture et le commerce dans la contrée. Une journée au moins de la session des conseils était consacrée à ces travaux, qui excitaient davantage l’amour du pays natal dont l’importance s’agrandissait par ces recherches historiques.

À mesure que l’on remontait des communes les plus petites aux plus anciennes et aux plus populeuses, ces documents si précieux offraient un plus grand intérêt. Celles qui avaient conservé leurs anciennes coutumes législatives, les chartes de leurs droits et leurs archives, ne manquaient pas de les recueillir avec le plus grand soin.

Ces masses de documents étaient transmises aux conseils-généraux de département, auprès desquels furent créées des commissions historiques chargées de les réunir et de les coordonner ; et les travaux de ces commissions, se rassemblant dans un centre commun, apportaient à ce foyer unique les matériaux de l’histoire universelle.

Tandis que les études historiques recevaient cette impulsion remarquable, la littérature, au contraire, modérait son élan ; plus difficile sur elle-même ou plus craintive de l’opinion, elle était moins féconde. Mais ses œuvres, plus originales et plus laborieusement préparées, atteignirent souvent une grande gloire. Elle ne se revêtit pas cependant de formes nouvelles, une seule innovation frappa les esprits, ce fut lorsque Lamartine fit paraître, en 1830, son poème en vers blancs sur Napoléon ; et ces vers étaient si beaux et si harmonieux, que, sans faire proscrire la rime, ils partagèrent avec elle la poésie.

La sculpture comme la peinture grandit et trouva des procédés nouveaux ; la dernière retrouva les secrets du coloris de Jean de Bruges et de Rubens, qui étaient perdus.

La nouvelle architecture naquit : elle ne fut plus grecque ou gothique, mais française et universelle.

Tout devenait grand dans ce grand siècle.

Un jour que le roi de Suisse, Lucien Napoléon, rappelait à l’empereur le siècle de Léon X, en ajoutant qu’une pareille réunion de génies était impossible, l’empereur lui demanda huit jours pour répondre.

À huit jours de là, étaient réunis dans les salons du Louvre : Chateaubriand, Walter Scott, Lamartine, Beethoven, Byron, Manzoni, Niébühr, Goëthe, Geoffroy Saint-Hilaire, Mme de Staël, Béranger, Courier, Thiers, de Maistre, Villemain, Victor Hugo, Brown, Volta, La Mennais, Cuvier, Canova, Ingres, Thomas Moore, Kant, Berzélius, Poisson, David le sculpteur, David le peintre, Champollion, Thénard, Dupin, Delambre, Gérard, Brougham, Lawrence, Chaptal, James Watt, Rossini, Jenner, Herschell, Hauy, Paësiello, Humboldt, Thorwalsden, Fourier, Royer-Collard, Thierry, Guizot, Ampère, Laplace, et d’autres grandes intelligences de l’univers.

— « Voilà mon siècle, » dit-il en montrant cette réunion.