Myrtes et Cyprès/En voyant approcher l’hiver

Librairie des Bibliophiles (p. 85-87).


EN VOYANT APPROCHER L’HIVER


Qu’importent ton ciel gris et ton manteau de brume,
Clouant le solitaire à son âtre qui fume ?
Qu’importe le matin où la neige s’étend
Comme un morne linceul sur la campagne humide ?
Le triste hiver, qui livre au souffle âpre du vent
La feuille que Zéphyr caressa si souvent,
Ne pourrait arracher au cœur jeune et content
Ce qu’ailleurs il détruit sous son ongle perfide.
Espoir, bonheur, ivresse, amour que je bénis,

Par la muse joyeuse en mon cœur réunis,
Survivront à tes coups, vieillard mélancolique !
Tes frimas se fondront à ce contact brûlant,
Comme la nuit pâlit devant l’astre magique
Lorsque des cieux voilés il dore le portique,
Ou comme un rêve affreux, un songe chimérique
Que l’esprit tourmenté dissipe en s’éveillant.

Le rossignol s’enfuit, rejoint par l’hirondelle.
À nos rives en deuil quelques mois infidèle,
Il laissera les bois déparés et muets !
La fleur a pour longtemps refermé son calice,
Et les jardins, séjours intimes et discrets
Où de tendres amants chuchotaient leurs secrets,
Ne leur offriront plus de roses ni d’œillets,
Car il n’est rien, hiver, que ta main ne flétrisse !…

Mais, si la chanson meurt, si le rayon s’éteint,
Si la glace en tordant les ondes qu’elle atteint
Fait taire du ruisseau le timide murmure,

Mon âme restera libre dans son essor.
Je veux aimer toujours, je veux chanter encor,
Et dans mes dix-huit ans conserver, pur trésor,
Ce dont le gai printemps compose sa parure.


Novembre 1873.