Myrtes et Cyprès/Chanson de troubadour

Librairie des Bibliophiles (p. 81-83).


CHANSON DE TROUBADOUR


Si j’étais le zéphyr volage,
Ou la brise jouant sur l’eau,
Je remplirais le doux roseau,
Je remplirais le frais bocage
De ces chants qu’on aime à ton âge
Parce qu’on est soi-même oiseau.

Si j’étais la branche du chêne,
Je m’inclinerais au printemps
Sur ton beau front de dix-sept ans ;

Et quand l’ouragan se déchaîne,
Je te défendrais, ô ma reine,
Contre les atteintes des vents.

Si j’étais la vague écumante
Rongeant le granit du rocher,
Le soir, quand tu viendrais baigner
Ton pied dans l’onde frissonnante,
Je l’embrasserais, ma charmante,
Sans que tu puisses t’en douter.

Si j’étais formé d’un nuage
Glissant au bout de l’horizon,
Je rafraîchirais le gazon,
Je rafraîchirais le feuillage
Où tu cours, gazelle sauvage,
Durant la première saison.

Si j’étais un oiseau timide,
Alouette ou bien rossignol,

Le matin je prendrais mon vol
Vers la fenêtre encore humide
Où tu penches ton front candide,
Comme un rayon touche le sol.

Si j’étais même roi de France,
Tu serais l’objet de mes vœux ;
J’oublierais la terre et les cieux
Pour une heure de ta présence,
Pour un regard de tes yeux bleus.

Mais, puisque je n’ai que ma lyre,
Je l’ai consacrée à ton nom,
Je le chante avec passion…
Enfant, quand mon âme soupire,
Verse sur mon brûlant délire
Un peu de ta compassion.


Pau, 27 avril 1871.