Myrtes et Cyprès/Écrit près de Locarno

Librairie des Bibliophiles (p. 89-91).


ÉCRIT PRÈS DE LOCARNO


Un jour j’entrai dans une église de village
Obscure et retirée ainsi qu’un ermitage.
L’autel était désert ; la lampe de vermeil
Reluisait faiblement sous l’éclat du soleil.
Tout se taisait, et, seul dans ce temple rustique,
J’éprouvais en moi-même un effroi magnétique.
L’instant est solennel quand l’homme, devant Dieu,
Effleure en gémissant les dalles du saint lieu.
J’étais resté songer longtemps, tête baissée,
À la pure candeur de l’enfance passée.
Tous ces doux souvenirs d’hier et d’autrefois
Parlaient à mon esprit, semblant me dire : « Crois,

Comme tu le faisais étant enfant, naguère. »
Et moi, triste, indécis, à cette voix austère
Qui m’eût rendu l’espoir, j’osais répondre : « Non »
Soudain au fond du chœur j’entends un vague son.
Je me lève, je cours, je m’arrête. Ô surprise !
Je crois rêver. Devant l’autel était assise
Une de ces beautés, au front de dix-sept ans,
Un ange aux cheveux blonds, aux yeux bleus pénétrants.
Elle priait, du moins son regard de colombe
Voulait trouver le ciel en contemplant la tombe.
Mon pas lourd retentit sur le pavé durci :
Elle se retourna. Qu’elle était belle ainsi !
J’aurais cru voir une âme habitant ces demeures
Où dans l’éternité tombent gaiement les heures.
En écoutant le bruit, son visage adoré,
De pâle qu’il était, devint rose nacré.
« Pardon ! dis-je, confus, pardon, je me retire. »
Mais elle, cette enfant, avec un doux sourire,
Tendit sa blanche main vers un Sauveur en croix.
« Ô qui que vous soyez, fit entendre sa voix,

Vous qui cherchez ici la calme solitude,
Vous qui fuyez peut-être une existence rude,
Habitant de la ville, étranger, voyageur,
Pourrais-je demander un mot à votre cœur ?…
Vous consentez, je crois, votre menton s’incline.
Écoutez-moi… Je suis une pauvre orpheline ;
Depuis un an j’ai vu mes parents au tombeau.
Je n’accuse point Dieu : lui, si grand et si beau,
Ne pourrait envers nous commettre une injustice.
Ici je viens prier, pour moi c’est un délice
De parler à ma mère en parlant au Seigneur,
Car alors, étranger, je sens moins la douleur.
Voulez-vous maintenant unir votre prière
À celle de l’enfant qui pleure, mais espère ? »
Je fléchis les genoux, je ne répondis pas.
Ma bouche se taisait, mon cœur parlait tout bas,
Et mon œil rencontra le crucifix d’ébène
Qui semblait regarder l’orpheline sereine.


Bellinzona, 20 juillet 1867.