Monsieur le Marquis de Pontanges/Ch. 29

Monsieur le Marquis de Pontanges
Œuvres complètes de Delphine de GirardinHenri PlonTome 2 (p. 355-356).
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XXIX.

LES HOSTILITÉS RECOMMENCENT.


M. de Marny devint donc singulièrement maussade. Ce fut d’abord une tristesse assez affectueuse, qui pouvait être intéressante.

Il pensa que cette mélancolie serait comprise ; il en attendit l’effet.

Cette mélancolie ne fut pas comprise ; Laurence était de ces femmes dont une éducation très-chaste a retardé l’intelligence ; elles pensent avec leur cœur ; elles croient longtemps que l’amour, c’est aimer.

Laurence demanda naïvement à Lionel ce qui l’affligeait. Il se fâcha… sa tristesse devint hostile. Il ne pouvait pardonner à Laurence de ne point la partager ; il lui en voulait de sa candeur. Tant de pureté la rendait indépendante. Lionel avait raison : une femme qui n’a donné aucun droit sur elle est encore libre, quelle que soit sa passion.

Un homme qui n’a rien obtenu est esclave de son amour, quelle que soit l’indépendance de son caractère. Son amour est une chaîne ; il veut qu’on l’aide à la porter ; il a hâte d’être heureux pour être libre ; il lui tarde qu’on l’aime pour moins aimer.

M. de Marny avait épuisé la patience ; il eut recours au grand moyen : aux menaces d’absence, menaces si terribles pour une femme accoutumée à votre amour.

— Je ne viendrai pas la semaine prochaine, dit-il un soir.

— Oh ! mon Dieu, que deviendrai-je sans vous ? Quand vous ne serez plus là, comment vivre ?

— Il ne tient qu’à vous de me voir toujours.

— Comment ?

— Venez à Paris.

— Je ne le puis.

Lionel sourit dédaigneusement.

— Mais vous, qui vous empêchera de venir ici ?

— Rien.

— Rien ? Pourquoi alors me faire de la peine ?

Elle s’approcha de lui. — D’où vient que vous êtes si mal pour moi, quand je vous aime tant ?

Elle prononça ces mots d’une voix étouffée qui trahissait son émotion.

— Que vous êtes froide ! reprit-il.

— Moi !… Vous riez, Lionel ; mais regardez-moi donc ! ne voyez-vous pas que je vous aime, ne le sentez-vous pas ?

Il leva les yeux sur elle, et, dans ce regard qu’il lui jeta, il y avait une tendresse morne dont elle fut épouvantée.

— Si vous m’aimiez, vous n’auriez pas tant de courage ; vous comprendriez entre nous deux la nécessité d’un lien de toute la vie ; vous auriez besoin de mon bonheur comme j’ai besoin d’assurer le vôtre Laurence… ! Laurence !

— Vous êtes impitoyable ! s’écria-t-elle. Je vous hais !

— Impitoyable ?… dit-il ; c’est vous !