Monrose ou le Libertin par fatalité/IV/26

Lécrivain et Briard (p. 146-149).
Quatrième partie, chapitre XXVI


CHAPITRE XXVI

COURT, PARCE QU’IL EST AFFLIGEANT


Cependant, ma sœur, bien naturellement favorable à son fils, était enchantée, et du désistement volontaire de sir Georges, et de l’heureuse étourderie par lequel notre héros croyait s’être assuré de la tendre persévérance de miss Charlotte. En conséquence, milady, sur l’heure, était partie pour aller retirer sa pupille du couvent…

Monrose rentrait ivre de joie ; mais la funeste nouvelle qu’il apprend de l’état où se trouve la chère marquise glace soudain son âme, dont toutes les portes s’ouvrent dès lors à la douleur. Cette révolution n’étonnera point qui se définira la véritable position de Monrose entre Charlotte et la marquise d’Aiglemont. Quel intérêt le liait à cette dernière ? Une galanterie promptement heureuse, alimentée par le plaisir et qui, n’ayant souffert aucune épreuve, n’avait pu prendre le caractère d’une passion. Par quoi ce commode attachement se trouve-t-il maintenant balancé ? Par un goût jadis frivole qu’ont tout à coup réveillé le cri de l’honneur, le souvenir de quelques charmes et la très-récente impression d’une grande beauté ; mais c’était surtout le malin plaisir de contrecarrer un déplaisant rival qui avait motivé tout ce qu’on a vu faire à l’ardent Monrose. J’affirme qu’il n’y a pas non plus de quoi lui croire encore pour miss Charlotte, toute charmante qu’elle est, une passion décidée. Le degré d’intérêt qu’elle lui inspire ne peut donc le rendre insensible, ingrat envers une femme adorable, tout de bon amoureuse, et de qui chacun des messages que nous allions faire d’heure en heure va nous rapporter que, dans l’égarement de son transport fiévreux, elle ne cesse de parler de son cher toutou.

Miss Charlotte a quitté son couvent. Monrose l’apprend vers le soir ; mais, uniquement occupé du malheur d’Aiglemont, il ne lui vient point dans l’esprit de courir à l’Hôtel d’Angleterre. Il s’est confiné dans son appartement, en pleurs, tourmenté, déchiré. Le lendemain, on lui trouve un peu de fièvre… Je veux le voir : il me fait prier de permettre qu’il reste seul jusqu’à ce que le sort de l’infortunée marquise soit décidé ; seulement il supplie qu’on l’instruise de tout ce dont on pourra s’être informé à cet égard, puisqu’il n’est plus en état d’aller lui-même en prendre connaissance.

Pendant deux jours la maladie du trop sensible jeune homme augmente ; mais c’est bien pis encore à l’hôtel d’Aiglemont, et toujours je suis exclue de chez mon neveu : la chère Aglaé, ma sœur elle-même (une mère !) n’ont pas plus de privilége !…

Le quatrième jour, l’éplorée Zéïla vient m’apprendre que sa pupille et Brigitte ont disparu… J’aurais dû dire plutôt… et Senneville aussi ; car, dès midi du jour où je l’avais si bien traité, où je l’avais vu si frappé d’Aglaé, il s’était clandestinement échappé de notre capitale.

Quel chaos d’incidents ! Ne plaint-on pas et le cher Monrose et tant de personnes pour qui mon récit doit avoir inspiré quelque intérêt ? Ne me plaint-on pas un peu moi-même ? Mais, ennemie jurée du noir, à l’époque de ces malheurs, j’aurais cessé d’écrire s’il en était arrivé d’irréparables à des êtres que l’on sait m’être chers. Le tragique ne me contriste plus, dès qu’il n’offre pour victimes que des individus étrangers à mon cœur, ou plutôt j’avoue que je trouve un plaisir, quoique peut-être peu généreux, à voir châtier qui s’est rendu vilainement coupable. Je vais donc surmonter ma répugnance à tracer des scènes d’afflictions et de sang, et vous raconter, cher lecteur, non pas toutefois avec le ton et la complaisance d’un d’Arnaud, les sombres aventures que ce qui précède peut déjà vous avoir fait pressentir.