Monrose ou le Libertin par fatalité/III/31

Lécrivain et Briard (p. 179-183).
Troisième partie, chapitre XXXI


CHAPITRE XXXI

OÙ L’ON VOIT SYLVINA ET MONROSE PASSER
DE MAUVAIS MOMENTS.


Pour le coup, Sylvina était furieuse : honnête homme ou fripon, Monrose lui eût fait grand plaisir en l’embrassant. Je la privais d’un moment agréable : elle me couvrit d’un regard foudroyant On se taisait : le bon chevalier ne comprenait rien à cette scène muette. « Eh bien ! madame, dis-je d’un ton sec, vos plaintes, cette friponnerie ?… De quoi s’agit-il enfin ? — D’une bagatelle, riposta ironiquement la baronne. Cette bague qu’on a renvoyée fort inutilement à mon amie, lorsqu’elle n’y pensait plus… — Eh bien ? — Elle est fausse ! — Fausse ! s’écrie Monrose, outré surtout de ce que madame de Folaise avait l’air de chercher, sur sa physionomie, un embarras qui ne pouvait y régner… — Oui, monsieur, fausse. C’était bien la peine de faire, sans aucun à-propos, cette belle frime de désintéressement ; d’affecter un procédé par lequel, sous l’apparence d’être délicat, vous outragiez madame Popinel en lui rappelant le souvenir d’un instant de faiblesse… et tout cela n’aboutissant qu’à demeurer ingrat impunément et à mystifier une femme respectable ! Je vous accable, je le sens, et (d’un ton plus doux) Dieu sait pourtant qu’au fond du cœur je ne vous veux que du bien. » Monrose, si pur, si sensible, était près de se trouver mal. « Voyez, me disait tout bas madame de Folaise, voyez comme il est confus ! Que ne gardait-il le brillant qu’encore une fois on voulait bien qu’il eût gagné ! — Gagné ! madame, interrompit-il en se levant furieux. Vous croyez donc, vous autres, coq..... ! » Je tremblais : il n’acheva point la terrible épithète. Je le vis se mordre les lèvres et lever les yeux au plafond. La pauvre baronne, tremblante, s’était sauvée dans un coin, « Madame, lui dis-je, ne craignez rien. Vous savez bien que personne n’oserait vous manquer dans ma maison, et que le chevalier surtout en est incapable… — Cependant, à moins de me battre ! (Elle versait des larmes.) — Éclaircissons tout ceci, ma chère baronne. — C’est une imposture odieuse ! s’exclamait, pour son compte, le pauvre Monrose, frappant des pieds et des mains. Une bague fausse, ma chère comtesse ! J’aurais donc indignement escroqué madame Popinel ! j’aurais donc essayé de vous voler aussi, vous à qui je proposais un troc ! Fausse ! fausse ! madame la baronne, vous ne le croyez pas ! Non, vous ne pouvez le croire !… Que vous ai-je fait ? Quelle vengeance vous croyez-vous en droit d’exercer contre moi ? — Mais, mon cher, écoutez-moi… — Votre cher ! un escroc ! un homme capable de substituer un brillant faux ! — Certainement il n’était pas faux celui que vous donna mon amie !… — Et tel je l’ai bien rendu, madame. Parlez, comtesse ; c’est de vos mains qu’il est sorti pour retourner à celle qui m’avait fait ce don fatal. — Baronne, dis-je, n’était-il pas dans une petite boîte scellée de mon cachet ? Avez-vous reçu la boîte sans qu’elle ait été violée ? — Je ne dis pas que ce que j’ai reçu ne fût point en même état qu’en sortant de votre hôtel. — Eh bien ? — Mais ayant renvoyé cet objet sur-le-champ, sans avoir ouvert… — Eh bien ? — C’est pourtant une bague fausse que je reçus et que possède encore madame Popinel ! »

Je n’ai vu de ma vie un homme plus désolé que l’était en ce moment l’infortuné Monrose. Comment débrouiller la vérité d’un fait aussi confus ? Qui soupçonner, de l’accusé, de madame Popinel, de Sylvina ou des gens ? Monrose avait-il porté lui-même, à son insu, une bague fausse, la sienne lui ayant été escamotée quelque part ? Est-ce chez madame Popinel qu’on l’aura changée ? Le fait est-il un trait de vengeance ou peut-être une mystification ? Je m’y perdais.

Cependant cette Sylvina, qu’on sait n’être point une méchante femme, était au désespoir d’avoir fait imprudemment tant de mal à notre ami. L’état inexprimable où nous voyions celui-ci, déposait assez en faveur de son innocence. La baronne l’aimait encore : quant à moi, rien au monde n’eût pu me faire douter un instant de la droiture de mon pupille.

Je fis prier sur-le-champ certain inspecteur de police, mon proche voisin, de passer chez moi. Le hasard me servit à merveille : cet homme était sur les pas de mon domestique.

À peine avions-nous conté l’imbroglio de la bague que l’inspecteur, se recueillant et gardant un instant le silence, eut, bientôt après, cette sérénité que donne l’espoir d’une réussite… « Nous y sommes, dit-il en étendant la main. Vous venez, mesdames, par le plus grand hasard, de me donner la clef d’une intrigue que je me flatte de vous éclaircir dans un quart d’heure. (Il se lève.) Aurai-je l’honneur de vous retrouver ici ? — Dans un quart d’heure ? Oui, je le veux bien, » dit la baronne. Je promis également de ne point désemparer. « Pourriez-vous encore, ajouta l’homme public, vous procurer, pour un moment, la bague de cette dame ? » Sylvina expédia sur-le-champ un message. L’inspecteur nous quitta.

Cependant une heure s’était écoulée : nous possédions la bague, et notre homme n’arrivait point. En attendant, nous ne cessions d’examiner le faux brillant : Monrose lui-même avait peine à se persuader que ce ne fût pas celui qu’il avait porté pendant trois mois… Sylvina, qui prétendait avoir un engagement, s’impatientait enfin, lorsque l’inspecteur reparut, faisant annoncer en même temps un orfèvre.