Monrose ou le Libertin par fatalité/III/30

Lécrivain et Briard (p. 174-178).
Troisième partie, chapitre XXX


CHAPITRE XXX

OÙ SYLVINA REPARAÎT


J’ai dit, chapitre III de cette partie, que dès le commencement de mon séjour à ma terre, je m’étais flattée d’y posséder ma mère, ma sœur, milord Sidney et certaine nièce qui devait être aussi du voyage. Ne pouvant comprendre pourquoi cette famille ne m’avait point tenu parole, dès que je fus de retour, j’écrivis à milady Sidney. Cher lecteur, je vous rendrai compte de la réponse qu’elle me fit ; mais il est à propos que vous sachiez d’abord comment je fus occupée pendant un mois à peu près, qu’il me fallut attendre des nouvelles d’Angleterre.

À peine avais-je respiré deux jours, après des distractions et des courses comportées par la reprise de mes habitudes, que j’eus à ma porte madame de Folaise. C’était une visite outrante. Je m’y serais d’autant moins attendue, qu’elle avait assez publiquement clabaudé contre moi pendant mon absence, et tâché de persuader à sa commérante société que je perdais Monrose, non moins par mes exemples que par mes conseils. Quel pouvait être l’objet de la baronne en me recherchant dans une circonstance où son rôle naturel était plutôt de m’éviter ?… Je la reçus.

Il s’agissait de m’engager à servir des personnes auxquelles j’étais bien étonnée de lui voir prendre intérêt. C’étaient monsieur et madame de la Caffardière, venus à Paris à l’occasion d’un procès considérable perdu en province, et dont ils appelaient au conseil.

« Monsieur et madame la Caffardière, madame, vous voudriez que je me misse en course pour ces gens-là ! — Oh ! mais, ma nièce, je sais… je vous accorde qu’ils sont fort ridicules. Mais il est bon de vous apprendre que ma chère Adélaïde et madame de la Caffardière sont cousines germaines. Leurs mères étaient sœurs. Celle d’Éléonore, aînée et avantagée, épousa le président que vous savez. Longtemps après, la cadette, destinée au couvent, s’unit, malgré sa famille, avec un aigrefin très-pauvre, et qui la rendit malheureuse. Adélaïde, leur fille, n’a pas eu deux écus. Tout aux uns et rien aux autres ! Ainsi va le monde ! Quoi qu’il en soit, ma chère comtesse, vous avez le cœur bon, vous vous intéresserez, j’en suis sûre, pour les Caffardière, parents d’Adélaïde, mon amie ; oui, vous les servirez à cause de moi. — La main à la conscience, ma chère tante, méritez-vous bien que j’aie cet égard ? (Elle rougit et se troubla.) Vous savez que la franchise fut toujours l’une des qualités par lesquelles je tâche de racheter ces vices que vous me connaissez si bien, et dont vous faites à qui veut l’énumération avec tant de complaisance ! (Elle ne me croyait pas aussi instruite.) — Moi, ma nièce !… (Osant à peine lever les yeux.) — Oui, vous, ma tante. Cependant croyez que je ne vous veux aucun mal dans le cœur pour vos propos, dont voici bien naturellement l’occasion de vous faire des reproches. — En vérité, je ne comprends rien à cette sortie, ma chère Félicia ! — Tout à l’heure vous la comprendrez à merveille. Je gâte donc Monrose ? Mes conseils et mes exemples lui sont pernicieux ? — Je vois, mon cœur, qu’on vous a considérablement exagéré… — Exagéré ! Fort bien. Ainsi ce n’est pas pour vous, ma chère baronne, mais pour ceux qui exagèrent, qu’il est bon de vous dire ceci : jamais il n’y eut de plus mauvais exemple pour un jeune homme que ceux qui durent le frapper chez vous dès son début à Paris. Votre cousinage impromptu, votre souper fin, où le paravent s’abattit, votre négligé de nuit à la suite de ce spectacle, l’admission de mademoiselle Adélaïde à votre petit jour, et ce qui s’ensuivit, tout cela, ma chère baronne, n’était pas fait pour édifier mon neveu… — Comment ! le monstre vous a raconté ces particularités… que pourtant un galant homme ne publie jamais ! — Publier n’est pas le mot : ceux qui publient sont en effet aussi vils que méchants ; mais on confie à son amie les secrets dont le cœur peut être bourrelé. C’est ainsi que j’ai su ce que je viens de vous dire, et la scène du remercîment pour les chevaux, où vos prières du matin furent interrompues, et celle du peignoir d’Adélaïde un moment après, et, depuis, vos officieux soins chez la dame Popinel ! — Vous me cassez les bras ! L’ingrat aurait-il bien encore trouvé moyen de corrompre… — Daignez m’écouter. Avant tout, ma chère tante, vous deviez consulter Monrose ; vous deviez aussi savoir d’avance qu’une madame Popinel n’était nullement son fait. — Il serait peut-être fort heureux quelque jour de trouver… — Qu’il trouve ou ne trouve point, j’espère du moins que personne ne se mêlera plus de lui chercher des femmes… Et puis, qu’est-ce, s’il vous plaît, que ce tripotage à l’occasion d’une bague qui, je le sais, a fait tenir de fort impertinents propos ?… — Vous savez donc la friponnerie ? — Comment ? — Ah ! vous ne savez rien ! Je n’en suis point étonnée… Ces choses-là, par exemple, on ne les confie pas. — Expliquez-vous. — Non, non, ma nièce, je ne suis pas une commère : je déteste ces éclaircissements qui n’ont pour but que de mortifier les gens. (Elle se levait.) — Vous ne me quitterez point encore… Une friponnerie, disiez-vous ? (Je sonne.) — Quelle est votre intention, ma nièce ? (Un domestique paraît.) — Dites à Monrose que j’ai besoin de lui sur-le-champ. — Vous voulez faire une scène ? — Une scène ! je ne vous comprends point. — Si vous m’y forcez, je lui dirai en face tout… oui, tout ! (Elle s’enflammait.) Croyez-moi, ma nièce, ne me retenez pas. Épargnez à ce jeune homme, plus faible sans doute que criminel, une mortification… »

Monrose accourait : il allait se jeter amicalement dans les bras de la baronne ; je l’en empêchai.