Monrose ou le Libertin par fatalité/II/34

Lécrivain et Briard (p. 196-199).
Deuxième partie, chapitre XXXIV


CHAPITRE XXXIV

VISITE CHEZ M. FAUSSIN


« Cependant, chère comtesse, il me semblait pressant de voir ce procureur chez qui devait avoir été déposé l’acte faux dont on m’avait laissé copie ; je pris à la hâte un négligé du matin, et ayant ordonné qu’on mît les chevaux au vis-à-vis, je me fis conduire à la rue du Pet-au-Diable…

« À l’odeur fétide de l’obscure maison où j’arrêtai, à la figure diabolique du maître, je fus tenté de croire que c’étaient sa personne et son manoir qui avaient décidé du nom burlesque de cette rue. J’avais eu d’abord quelque peine à reconnaître pour un humain certaine figure qui, lorsque j’entrai dans le cabinet au delà de l’étude, rampait à travers une profusion de sacs dont les carreaux étaient jonchés. M. Faussin, après m’avoir écouté tout en paperassant, me dit avec un nazillement causé par l’interposition de ses lunettes : « Ma foi ! monsieur, je suis fâché que mon ami la Bousinière ait une assez mauvaise tête pour gâter, en dépit de mes conseils, les meilleures affaires du monde ; je l’avais bien averti que, sa fille fût-elle grosse jusqu’aux dents, il convenait qu’il ne vous parlât de rien jusqu’au moment de l’échéance de votre obligation très-authentique ; mais ce vieux fou, que cinquante ans d’expérience de procès n’ont pu former, a la fureur de tout prématurer et par conséquent de tout perdre. Foi de procureur, s’il échoue encore pour ce troisième mariage, comme pour les deux premiers, je le prierai de placer ailleurs sa demi-confiance, qui n’aboutit qu’à lui faire apporter coup sur coup dans mon étude des affaires nouvelles où, par sa faute, il n’y a jamais une pistole à gagner, ni pour lui, ni pour moi !… »

« Après quelque pourparler encore, je témoignai le désir de voir la pièce originale sur laquelle son client fondait le désir de me victimer. « Rien de plus juste, dit le magot ; mais (venant me regarder presque sous le nez avec une haleine de vieux bouquin qui faillit me donner mal au cœur) vous ne la verrez qu’avec les précautions convenables. Tudieu ! depuis qu’un des vôtres, je veux dire un seigneur, a dévoré dans cette même étude une obligation de six mille livres, je n’expose plus inconsidérément les titres de mes parties. » Alors il appela despotiquement trois polissons qu’en passant j’avais vu juchés sur des escabelles et griffonnant au grand galop : « Soyez là, leur dit-il, et regardez bien ! » Sur ce, le cauteleux procureur glisse certain papier entre une espèce de cadre et son carreau transparent, et me présentant cet objet comme un reliquaire : « Satisfaites-vous, monsieur, voyez ! » Je lus alors distinctement ce que je savais d’avance. Il n’y eut de neuf pour moi que de reconnaître ce papier, dont l’objet était de me lier ou de m’enlever quarante mille livres, pour celui sur lequel j’avais écrit mon adresse le premier jour, Armande me l’ayant demandée sous prétexte de pouvoir me faire avertir dans le cas où quelque contretemps rendrait nécessaire de changer le jour ou l’heure de notre seconde entrevue. On avait, après mon nom de famille, retranché tout le reste. Deux plis en croix, à l’angle desquels se trouvait de Kerlandec, me prouvaient qu’on m’avait présenté une feuille pliée en quatre, qui, déployée ensuite, avait donné de la marge pour écrire au-dessus ce qu’on avait voulu et en avant de ma simple signature, Hippolyte Monrose, en caractères assez mal imités des miens. Le corps du billet était d’une main contrainte : le dol sautait aux yeux.

« Je ne me plaignis point : je ne mis au jour aucune de mes réflexions. Content de sentir que j’avais encore au moins six semaines devant moi, je me retirai tenant sous le nez mon mouchoir arrosé d’eau de Cologne. Une circonstance assez piquante allait achever de me réconforter, en me procurant, avec un surcroît d’utiles renseignements, un passe-temps fort agréable pour le reste de cette pénible journée. »