Monrose ou le Libertin par fatalité/II/23

Lécrivain et Briard (p. 126-130).
Deuxième partie, chapitre XXIII


CHAPITRE XXIII

D’UNE PAIRE DE POCHES. RÉVOLUTION FÂCHEUSE. MONROSE CONTINUE


« — Je vous trouve bien plaisant ! dit à son époux madame de Moisimont avec une hauteur indécente ; il sied bien vraiment à un étourneau comme vous d’insulter un galant homme quand il ne tiendrait bien qu’à lui de prendre sa revanche !… — En effet, madame, » dit alors d’un grand sang-froid M. Des Voutes, qui venait d’aviser sur le lit une paire de poches de femme. Il s’en était saisi, et les tenait au bout de son bras étendu. Ces poches étaient, comme vous le devinez, celles de Mimi, qu’elle avait quittées, pour être plus à son aise apparemment. Une autre femme aurait été terrassée du coup ; mais celle-ci avait plus d’intrépidité et de ressources : au lieu de paraître interdite, elle va tranquillement à son amie, et lui frappant les hanches : « Tu es en règle, dit-elle ; tu as gardé les tiennes ! » Nous en tremblâmes. Pouvait-on avouer plus effrontément un crime, et compromettre en même temps une complice avec plus de cruauté ! Les pauvres maris virent clair alors. « Montez chez vous, madame, » dit avec tranquillité M. Des Voutes à sa moitié. Elle obéit plus morte que vive : il la suivit. Quant au petit bel-esprit, il voulait tempêter… « Monsieur, interrompit fort sèchement le comte, l’exemple de votre confrère est bon à suivre. Ces dames sont malheureuses d’avoir affaire à gens qui n’entendent point le badinage, et sont assez sots pour ne pas laisser le temps de leur rien expliquer. Vos femmes sont plus sages que vous ne le méritez l’un et l’autre. Madame ayant eu besoin de ses poches, qu’elle avait oubliées, se les est fait apporter, et par décence elle n’a pas osé les attacher devant deux hommes. Elle n’a voulu que plaisanter avec son amie. Tout bourru qu’est M. Des Voutes, il aurait très-bien entendu raison, si précédemment vous ne l’aviez pas mis de mauvaise humeur. J’ai grand plaisir à vivre avec mes voisins ; mais quand ils ont vos travers, je suis bien leur serviteur, et les prie de ne pas plus oublier chez moi ce qu’ils se doivent que ce qu’ils doivent à moi-même. »

« C’est ainsi que la présence d’esprit et la dignité du comte tiraient Mimi d’un fort mauvais pas. Nicette et le baron coururent à l’instant chez M. Des Voutes : ils y trouvèrent les époux en paix ; mais M. Des Voutes donnait fort tranquillement ses ordres pour qu’on pût partir sous trois heures. Il n’avait en effet aucune affaire à Paris, où c’était purement par complaisance pour sa femme qu’il avait suivi ses amis. On eut beau raconter à cet homme la prétendue vérité des poches ; il dit pour toute réponse : « Je ne me mêle point des affaires d’autrui : on voudra bien ne point se mêler des miennes ; mais je suis fort occupé : serviteur ! » Après cette courte audience, donnée dans l’antichambre, il se renferma.

« Cependant le petit Moisimont n’était pas fort à son aise. Son appartement était commun avec celui de ce terrible homme qui paraissait en vouloir à ses oreilles : il fallait se revoir. Autre embarras : madame de Moisimont se croyait offensée et sous ce point de vue, elle faisait, rancune tenante, cause commune avec son mari. « Je parlerai, dit-elle, à ce cheval de carrosse de Des Voutes. Quant à vous, monsieur (à son mari), vous mériteriez bien qu’abandonnant absolument tout ce que j’ai mis ici pour vous sur le tapis, je m’éloignasse avec mon amie ; mais je veux bien encore ne pas vous punir de vos sottises par la ruine de vos intérêts ; j’achèverai donc mon ouvrage, mais songez à ne pas abuser de ma bonté… Mon cher comte, je vous demande pardon pour l’impertinence de monsieur. Il n’est pas étonnant que le sot adorateur d’une Flakbach ne sache pas demeurer en mesure avec des personnes honnêtes. Au surplus, je ne prétends pas en souffrir, et de quelque manière que les choses tournent, comte, et vous aussi, chevalier, je me flatte bien que nous continuerons de nous voir et de vivre parfaitement ensemble !… »

« Ici le pauvre époux se mit en grands frais de soumissions et d’excuses. Il avait si peur de ne pas devenir fermier général ! Il assura qu’à l’instant il allait tout raccommoder dans le haut, qu’il retiendrait à Paris ses amis et qu’il n’y aurait nullement de sa faute si désormais toute la société ne jouissait pas de la plus édifiante union. Ensuite, les époux nous laissèrent seuls.

« — Que le diable emporte l’antiquaire et son Jupiter ! dit alors le comte, qui doutait fort du succès du petit Moisimont à retenir son confrère. Parbleu ! ces gens de vos provinces sont d’étranges animaux ! Voyez un peu quelle scène ! De l’aventure nous perdons la succulente Dodon, j’en suis sûr. — Mais la charmante Mimi me reste, répliquai-je en souriant — Vous reste… Je vous entends fort bien. Il faut encore que je sois persifflé quand je me trouve entre deux selles… à terre ! »