Monrose ou le Libertin par fatalité/II/08

Lécrivain et Briard (p. 39-43).
Deuxième partie, chapitre VIII


CHAPITRE VIII

QUI PRÉPARE À D’HEUREUX CHANGEMENTS


« Il n’eût tenu qu’à moi, poursuivit Monrose, d’être tout ce jour-là dans la compagnie de madame de Folaise, d’Adélaïde, du président Blandin et du sieur d’Aspergue. Ces quatre illustres devaient arriver en calèche à l’heure du dîner, l’objet de la cavalcade étant de se réunir ainsi pour passer ensemble à la campagne l’une des plus agréables journées de la saison. Mais ma nouvelle conquête et moi nous étions trop fous pour qu’il ne fût pas dangereux de nous mettre de la sorte en représentation devant des éplucheuses telles que la baronne et, surtout, son experte amie. Un engagement supposé me tira d’affaire à merveille et rendit d’autant plus vraisemblable le hasard du cheval emporté. La société de madame de Moisimont, c’est-à-dire sa compatriote rebondie (objet, si vous vous en souvenez, des soins de ces Allemands qui s’étaient trouvés à la chaussée d’Antin), les maris, les deux étrangers, et j’oubliais une dame inconnue, tout ce monde, en un mot, ne me laissa partir qu’à condition que le lendemain je serais d’une partie d’huîtres chez le grand chanoine. Celui-ci, pour sa plus grande commodité, venait de transférer la coterie provinciale dans son hôtel garni qu’habitait aussi le plénipotentiaire.

« Vous voudrez bien, ma chère comtesse, ne pas oublier que le temps dont je parle était de peu de jours antérieur à l’aventure fâcheuse des omoplates de Saint-Lubin, et que ce fut avant d’avoir reçu le premier billet de Mimi que je détruisis, au prix que vous savez, la chimère de mon mariage avec madame Popinel… — De qui, par conséquent, M. Monrose a eu l’infamie de porter le solitaire pendant environ trois mois ! Poursuivez. » Tout interdit de mon observation, mais trop juste pour s’en offenser et trop ami pour se fâcher contre moi, mon pauvre neveu continua son récit dans ces termes :

« Les parties lassent et ruinent à la longue. J’avais resserré si bien, dans les obstacles, Sylvina et sa dangereuse amie, que je jouissais de mes chevaux à peu près gratis. Salizy m’avait, comme vous savez, réformé par caprice ; j’étais l’ami, mais non plus l’enfant gâté du duo de la chaussée d’Antin ; je ne me souciais plus de madame de Liesseval, qui m’avait donné de suite, sans beaucoup de mystère, trois francs libertins pour successeurs, et prétendait malgré cela ne pas renoncer à moi. J’étais surtout bien loin, ma chère comtesse, d’espérer qu’il fût possible de reprendre avec nous quelque durable engagement. Dans cette position je songeais sérieusement à faire une fin, c’est-à-dire à jeter de la cendre sur mes erreurs passées et à prendre dans le monde un aplomb décent. Par bonheur, j’étais exempt de mauvaises notes. Sans doute je devais ce silence de la satire au peu de goût que j’ai pour les sociétés d’hommes, et surtout à mon aversion pour les intrigants de tout ordre. Sur ce pied, jamais on ne me voyait à côté de ces roués, de ces immoraux, de ces renommistes[1] dont fourmillent les promenades, les maisons de jeux, les balcons et les foyers des théâtres. C’était déjà beaucoup trop dans ce genre que je visse l’unique Saint-Lubin ; mais il est si subalterne ! D’ailleurs ayant bien pris sa mesure, j’avais su réduire de loin presque à rien nos rapports extérieurs. Le vide que je viens de définir comportait la tâche d’une réforme. Dès lors je méditais de me faire une ou tout au plus deux habitudes, auxquelles je soumettrais enfin rigoureusement mon imagination et mes sens également effrénés. C’était donc le cas de me lier un peu solidement avec madame de Moisimont, de qui, tout au moins à cause de sa très-originale manière d’être jolie, j’étais passionnément épris à cette époque. Tout était convenance avec elle. Son état : s’il ne la plaçait pas dans l’élite de la société, du moins la séparait-il de la mauvaise compagnie ; ses liens en province : peut-être serait-elle dans le cas d’y retourner avant cette maturité de rapports qui comporte souvent le dégoût et la rupture. Je comptais aussi pour quelque chose l’accessoire d’une certaine Dodon[2] assez désirable, son amie, la Pénélope des voisins allemands, et chez qui l’examen débrouillait des attraits que le défaut de tournure et d’adresse empêchait seul de faire un certain fracas. Je voyais, dans le lointain, cette aubaine épisodique s’englober nécessairement dans la masse de ma faveur auprès de la fringante Colombine. — Allons, interrompis-je, me voilà encore une fois rassurée. Quand on pèse aussi froidement les chances possibles d’une inclination, on peut s’y livrer sans péril. Dans tout ce que vous m’avez raconté, mon cher neveu, je n’ai craint pour vous que la fièvre chaude. Heureusement, pour cette fois encore, je vous en crois garanti. Menez-moi vite chez ces honnêtes provinciaux, que je vous y voie un peu faire des vôtres ; j’aime en vérité beaucoup mieux vous savoir là que parmi ces enfants perdus de Paris dont vous ont approvisionné jusqu’à présent le Saint-Lubin et le d’Aspergue. »


  1. On suppose que, par ce mot inconnu, l’auteur a voulu désigner ces gens qui veulent à toute force qu’on parle d’eux, ne fût-ce que pour en dire du mal.
  2. Nom de société de la compagne et amie de Mimi de Moisimont.