Monrose ou le Libertin par fatalité/I/31

Lécrivain et Briard (p. 155-158).
Première partie, chapitre XXXI.


CHAPITRE XXXI

ASSAUT DE FRANCHISE ET DE GÉNÉROSITÉ


« Je pris à l’instant mon parti (continua le conteur). Debout et n’écoutant guères l’orateur Lebrun, qui rabâchait, en m’habillant, toute la kyrielle du menaçant esculape, je me fis donner, dans un élégant négligé, la meilleure tournure qui convînt à mon état de pénitent et de malade… Mes chevaux sont mis, je vole à mon rendez-vous.

« Quoiqu’il fût à peu près trois heures quand j’arrivai, ces dames étaient encore à leur toilette. J’y fus admis. On accourait à moi : quatre bras amoureux s’entr’ouvraient pour m’étreindre ; mais, au lieu de me livrer à leurs flatteurs enlacements, je tombe à genoux, me courbe, et voulant exprimer autant de honte que de repentir, je couvre de mes suppliantes mains des yeux à qui je n’ai pas même permis la douceur de s’élever jusqu’à ceux de mes amantes.

« Eh bien ! eh bien ! s’écrie la tendre Belmont. — Est-il devenu fou ? » repart avec agitation la vive Floricourt. On s’incline, on me relève ; mes pleurs commencent à bouillonner, mon cœur se comprime, je suis près de me trouver mal. Mon trouble a bientôt causé celui des plus aimantes créatures. Dès le premier moment, elles m’ont entraîné dans un cabinet de bains ; j’y suis un peu grondé de n’avoir pas fait attention à une espiègle soubrette devant qui mon extravagant début peut m’avoir compromis… Il est temps enfin de dévoiler mon fatal secret… Je parle net, et sans chercher à fléchir mes juges quand je suis moi-même pénétré du sentiment de ma turpitude ; je raconte tout ce qui m’est arrivé.

« Si ma confession laisse Belmont consternée, elle met Floricourt en fureur. Celle-ci s’élance… « Où cours-tu ? » lui dit avec émotion sa moins pétulante amie, la retenant par son peignoir. « Écrire à cette Flakbach : je veux la voir à cheval au bois de Boulogne avant la nuit, et, mettant une balle dans la tête de l’exécrable Messaline, je prétends délivrer toi, Monrose, moi, l’univers entier d’un monstre qui pourrait se faire un jeu de multiplier ainsi ses assassinats réfléchis !… » Malgré sa très-sincère affliction, Belmont ne put s’empêcher de sourire. « Calme, dit-elle, ce transport martial. N’ajoutons pas à nos malheurs : que le mépris seul nous venge… » Et comme en même temps ses yeux se tournaient de mon côté. « De moi, peut-être ! » m’écriai-je du ton d’un homme qui craindrait d’entendre prononcer son arrêt de mort. « Non, non, Monrose, — non, mon ami, » dirent à la fois mes trop généreuses beautés. Floricourt semblait avoir aussitôt passé de la colère à l’attendrissement. Tels sont les plus violents caractères, qui presque toujours sont aussi les meilleurs. « Ta franchise, continua Belmont, tes remords, tout ce qui décèle en toi l’âme la plus délicate, nous prescrit de te pardonner : tu n’as péché que par la funeste bévue de ton amour-propre égarant ton ingénuité. Non, mon ami, tu ne nous as point offensées : n’est-ce-pas, Floricourt, que nous ne devons pas cesser de l’aimer ? — Je le crois : si, pour mon compte, je voulais me dédire, je ne sais s’il ne me forcerait pas à lui tenir parole, en enrageant… »

Pendant ce récit, je riais sous cape de voir mon candide historien entraîné par sa ponctualité jusqu’à se dire à lui-même, au nom de ses belles, d’assez agréables douceurs. Je me gardai bien de l’embarrasser par une observation qui, par bonheur, ne fut point devinée.

« Ainsi, ma paix était faite, continua-t-il. De doux serrements, des baisers… — mais, hélas ! si différents de ceux de la veille, — m’assurèrent qu’on daignait me conserver une faveur que j’avais si bien mérité de perdre…

« À travers ce traité l’on vint avertir que M. d’Aspergue était survenu. Ces dames ordonnèrent qu’on le fît attendre au salon. Ensuite, d’après l’avis de Floricourt, adopté vivement par son amie, et contre lequel s’élevèrent en vain les scrupules de ma délicatesse, il fut résolu que je demeurerais en prison dans l’hôtel, pour être soigné sous leurs yeux, cet état d’esclavage devant, sous peine de rupture, durer jusqu’à ma parfaite guérison. »